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Catherine Deneuve fait partie des 100 Françaises qui ont dénoncé hier dans Le Monde, « la haine des hommes » que provoquerait le mouvement de dénonciations #MeToo.

Chronique

Catherine dans le métro (ou dans le champ)

Une question comme ça : à quand remonte la dernière fois où on a vu Catherine Deneuve dans le métro ? Dans la vraie vie, s’entend. Pas au cinéma. Dans un vrai wagon, à l’heure de pointe, un wagon bondé et puant où la proximité forcée finit toujours par libérer de sinistres mains baladeuses et des frottements rarement désirés.

À quand ? Ça doit faire au moins cent ans que la star de cinéma et ex-égérie de Chanel n’a pas pris le métro, si tant est qu’elle y ait déjà mis les pieds.

Je pose la question parce que la grande Catherine, aujourd’hui âgée de 74 ans, est une des 100 signataires d’une lettre qui, dans le journal Le Monde, se portent à la défense des hommes et de leur droit d’importuner les femmes, aussi bien au bureau que dans le métro.

« Une femme peut veiller à ce que son salaire soit égal à celui d’un homme, mais ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro même si cela est considéré comme un délit », affirment Catherine et ses 99 cosignataires issues pour la plupart des milieux culturel et littéraire parisiens.

Je repose ma question : à quand remonte la dernière fois où Catherine Deneuve ou Catherine Millet (qui a rédigé une bonne partie de la lettre) ou Catherine Robbe-Grillet ou Élisabeth Lévy, toutes des stars à leur façon dans leurs milieux respectifs, ont pris le métro et eu affaire à un frotteur ? Jamais, évidemment. Si cela avait été le cas, elles n’auraient jamais laissé passer une phrase aussi malheureuse.

Il faut être mal lunée ou carrément de mauvaise foi pour défendre la liberté d’importuner pour les frotteurs dans le métro, une des pires races de l’humanité.

Pour le reste, la réflexion de ces Françaises dont l’âge moyen se situe au-dessus de 60 ans ne manque pas de pertinence, même si on ne peut s’empêcher d’y voir un élan aussi bien générationnel que profondément ancré dans la culture française, une culture où le droit de cuissage fut longtemps un droit acquis.

Mais ces femmes ont raison de craindre une « vague purificatoire » qui enferme leurs semblables dans un rôle de proies et d’éternelles victimes, incapables de se défendre et nécessitant d’être constamment protégées.

« La confession publique, l’incursion des procureurs autoproclamés dans la sphère privée, voilà qui installe comme un climat de société totalitaire », écrivent-elles, se positionnant à des années-lumière des actrices qui ont défilé au micro des Golden Globes avec leurs robes noires et leurs poings levés au nom du mouvement Time’s Up, célébrant la prise de parole des victimes de prédateurs. Contrairement aux Américaines, les Françaises cherchent plus à protéger les hommes qu’à les blâmer, tout cela au nom de la liberté sexuelle et de la crainte d’un retour du puritanisme, crainte qui me fait bien rigoler dans la mesure où la France est sans doute le dernier pays où le puritanisme risque de fleurir.

Malsaine scission

Quand Catherine et ses amies s’opposent à la rectitude politique qui revient à plein régime ou à la censure d’œuvres d’art, je partage leur point de vue. Pour le reste, c’est bien plus la lettre ouverte de Daphne Merkin dans le New York Times qui traduit le mieux mon malaise.

L’auteure et essayiste évoque la très malsaine scission qui s’est installée entre le discours public et le discours privé. « En public, nous sommes toutes pour le mouvement #MoiAussi, écrit-elle en substance. Nous l’écrivons, nous le tweetons, nous le partageons.

« Mais en privé, poursuit-elle, combien de féministes lèvent les yeux au ciel, parfaitement exaspérées par l’indignation sans nuance qui accompagne la cause, transformant un moment de prise de conscience en un festival d’accusations sans preuves. »

Le fait que ces deux discours cohabitent n’est pas un bon signe, croit-elle. « Cela suggère une forme d’intimidation sociale sous laquelle se cache la culture de la rectitude politique », selon elle.

Évidemment, il n’est nullement question de défendre les Kevin Spacey, les Matt Lauer ou les Harvey Weinstein de ce monde, mais de s’insurger contre la pensée unique qui régit le mouvement #MoiAussi et interdit toute nuance. 

Il s’agit aussi de remettre en question « l’absence troublante de clarté et de distinction » dans les expressions véhiculées qui mettent sur un pied d’égalité aussi bien le viol et l’inconduite sexuelle que le frôlement ou le flirt maladroit.

Comme les Françaises, l’Américaine déplore le retour à un paradigme victimaire où les femmes sont perçues et se perçoivent comme de fragiles poupées de porcelaine de l’ère victorienne.

C’est ce qui me chicote moi aussi : la victimisation et le fait qu’on n’évoque jamais assez le droit des femmes de repousser, de dire non, bas les pattes, va te faire voir ailleurs : en somme, le droit de se défendre et de se tenir debout face à ceux qui abusent de leur pouvoir.

On a beaucoup célébré le courage des femmes qui ont dénoncé les harceleurs et les prédateurs. On pourrait maintenant célébrer celles qui leur ont tenu tête et qui en ont parfois payé le prix et parfois pas.

Si des résidus de sexisme et de machisme survivent au raz-de-marée de ce formidable mouvement, ce sera l’exemple de ces femmes-là qu’il faudra suivre. Les frotteurs dans le métro n’ont qu’à bien se tenir. 

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Deneuve (encore) sur la sellette

Deux jours après le discours d’Oprah Winfrey, dimanche aux Golden Globes, qui annonçait « une aube nouvelle » se profilant à l’horizon féminin, 100 Françaises ont jeté un pavé dans la mare en signant un texte qui dénonce « la haine des hommes » que provoque le mouvement de dénonciations d’inconduites sexuelles. « Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit ni la galanterie une agression machiste », arguent-elles dans leur texte publié hier dans le journal Le Monde

Plus qu’un simple retour du balancier, leur lettre polarise un débat déjà très chaud et sensible dans les relations hommes-femmes, en plus d’exposer un fossé culturel entre la France et l’Amérique du Nord.

À contre-courant du mouvement #MoiAussi, les signataires, dont font partie les actrices Catherine Deneuve, Ingrid Caven, Catherine Robbe-Grillet et l’auteure Catherine Millet, s’opposent à la « campagne de délation » mondiale depuis l’affaire Weinstein.

« Nous pensons que la liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d’importuner, [...] indispensable à la liberté sexuelle. » 

— Les signataires d'un texte dans Le Monde

Le collectif estime que les dénonciations tous azimuts transforment les femmes en victimes, en plus d’encourager un retour du puritanisme. « C’est le propre du puritanisme que d’emprunter, au nom d’un prétendu bien général, les arguments de la protection des femmes et de leur émancipation pour mieux les enchaîner à un statut d’éternelles victimes, de pauvres petites choses sous l’emprise de phallocrates démons, comme au bon vieux temps de la sorcellerie », écrit le collectif.

Ces femmes, issues surtout du milieu artistique et littéraire, parlent d’une « vague purificatoire » sans limite allant jusqu’à la censure. Elles citent en exemples la volonté de censurer des tableaux de maîtres dans des musées et la demande d’interdire une rétrospective des films de Roman Polanski à la Cinémathèque de Paris. Paraphrasant le philosophe Ruwen Ogien : « La liberté d’offenser est indispensable à la création artistique. »

Paroles de star

Hier, tout ce qui grouille et scribouille sur l’internet en France s’en est pris à Catherine Deneuve. Elle est vite devenue le bouc émissaire du débat. Le mot-clic #CatherineDeneuve avait déjà suscité plus de 23 000 réactions sur Twitter, hier après-midi.

La star a fait l’objet de plusieurs critiques. Plusieurs ont souligné l’ironie que la vedette « qui se déplace dans Paris avec chauffeur et garde du corps » banalise le fait que des femmes se sentent traumatisées « par des frotteurs dans le métro ».

Au Québec, Catherine Deneuve a été à la fois critiquée et… saluée pour sa sortie publique. Sur Facebook, le réalisateur Jean-Claude Lord a écrit que le texte représente un « point de vue intéressant pour éviter de tomber dans un puritanisme dont [il] ne [se souvient] que trop bien ».

« Pour ce qui est de Catherine Deneuve, c’est l’histoire qui se répète […]. Une tête de cochon, une belle tête de cochon, mais “balance ton porc” sera plus fort ! Paroles de fille d’agriculteur. »

— L’auteure Lyne Robert

En octobre dernier dans le Huffington Post, Catherine Deneuve avait déjà pris ses distances devant le « déferlement » sur les réseaux sociaux. Deneuve affirmait de ne pas être certaine de l’efficacité de #BalanceTonPorc : « Est-ce que c’est intéressant d’en parler comme ça ? Est-ce que ça soulage ? Est-ce que ça apporte quelque chose ? Est-ce que ça va régler le problème d’une certaine façon ? » 

Avant cela, dans une entrevue télévisée sur TF1, la comédienne avait pris la défense du cinéaste Roman Polanski, condamné à Los Angeles en 1977 pour avoir eu des relations sexuelles avec une mineure. « Cette jeune fille ne faisait pas son âge. Et de toute façon, on peut imaginer qu’une fille de 13 ans puisse faire 15, 16 ans », avait-elle déclaré à l’émission Quotidien, animée par Yann Barthès. « Il [Polanski] ne lui a pas demandé sa carte de visite. Il a toujours aimé les jeunes femmes. J’ai toujours trouvé que le mot de viol avait été excessif. » 

Les propos de la célèbre actrice ont été jugés « déplacés et rétrogrades » par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’équivalent du CRTC en France. 

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