Dans les années 70, les frigos étaient fabriqués pour des générations. Aujourd’hui, on est chanceux quand nos électros durent 10 ans. Est-ce que le même phénomène touche maintenant l’industrie du vêtement ?
Styliste depuis 19 ans, Marie-Claude Pelletier a passé des milliers d’heures dans sa carrière à choisir un nombre incalculable de vêtements dans une foule de commerces. Cette expérience lui permet d’affirmer que nos « observations sont vraies ». Les vêtements durent de moins en moins longtemps.
« Avant, il n’y avait pas de trous dans le bas des chandails ! lance Adrien Landry, chef des ateliers de tissage du Centre des textiles contemporains de Montréal, convaincu que la baisse de qualité est généralisée. Aujourd’hui, on utilise du fil à torsion faible pour donner un aspect moelleux aux tricots [un t-shirt est un tricot]. Et c’est la torsion qui procure de la résistance. »
Le choix des matières, les tendances d’achat, les modes de fabrication et même nos habitudes de lavage sont montrés du doigt par les acteurs du milieu de la mode.
« Le lycra est une plaie. Il n’y a pas de raison d’en mettre dans autant de tissus. Ce n’est pas résistant à moyen terme. »
— Adrien Landry
Yves England, qui donne un cours de 120 heures sur le textile au cégep Marie-Victorin, abonde dans son sens. Lui aussi déplore qu’il y ait du lycra – aussi appelé élasthanne et spandex (anagramme de « expands ») – partout, ce qui réduit la résistance à l’usure, l’abrasion, la chaleur et le lavage, énumère-t-il.
« Tout ce qui est à base de pétrole n’offre aucune résistance. Les longues fibres, on n’aime pas ça, on veut que ça ressemble à de la laine ou du coton, alors on coupe les fibres [pour leur donner cette apparence] et là, ça bouloche », explique le professeur. Comment voir si la fibre est courte ? Elle est matte, tandis que les fibres longues sont douces et brillantes.
Le coût des bas prix
Les consommateurs, qui ne veulent plus payer cher pour leurs vêtements, ont aussi leur part de responsabilité. « Le milieu de la mode est bien drôle. La robe qu’on payait 50 $ il y a 10 ans, on la paie 30 $ aujourd’hui ! », constate Marie-Claude Pelletier, fondatrice de l’agence de style Les Effrontés. Et généralement, « quand on ne paie pas cher, ça ne vaut pas cher ».
« J’ai 58 ans et dans la vingtaine, je payais 70 ou 80 $ pour une belle paire de jeans, soit le même prix qu’aujourd’hui. »
— Yves England
L’enseignant se désole de voir que la majorité ne veut payer ni pour de la qualité ni pour des techniques de fabrication plus écologiques.
Il faut dire que depuis 15 ans, les chaînes de mode éclair H&M, Zara et Forever 21 sont arrivées au Canada. Elles ont connu une croissance fulgurante qui a bouleversé le marché. Leurs bas prix ont changé les attentes et les perceptions des consommateurs en matière de prix, forçant ainsi les autres détaillants à vendre leurs vêtements moins cher pour être concurrentiels.
De plus, il n’est pas rare de voir des prix courants majorés en fonction des rabais déjà prévus au calendrier plutôt que du coût de production, explique Marie-Claude Pelletier, ce qui vient brouiller les cartes.
Yves England note pour sa part que le vêtement vendu 100 $ « a coûté 5 ou 6 $ à fabriquer ». Il n’y a pas de miracle.
Nettoyage performant, mais…
Face aux attentes des consommateurs, les fabricants trouvent toutes sortes de stratégie pour produire des vêtements à moindre coût. Leur apparence est parfois trompeuse, car les changements ne sont pas visibles au premier coup d’œil, observe Marie-Claude Pelletier. « Des fois, il y a moins de fils au pouce, des fois la torsion des fils est moindre, donc, l’espérance de vie est moindre. »
Il n’y a pas si longtemps, les fils étaient tordus de 500 à 1200 fois par mètre. Aujourd’hui, la moyenne est plutôt de 500 torsions, relate Adrien Landry. « Pour les entreprises qui font du fil, c’est plus rentable et ça va plus vite. »
On lave par ailleurs nos vêtements plus souvent qu’il y a 20 ans, ce qui nuit, ajoute Yves England.
« Il y a 20 ans, on avait peut-être plus de temps pour laver à la maison. Et nos laveuses et sécheuses d’aujourd’hui sont plus performantes. La matière dans le filtre, c’est le tissu ! Ça me fait dire que c’est très abrasif. »
À quoi se fier ?
« Ça m’arrive de me faire prendre, confie l’enseignant. La plupart du temps, ce sont des tricots de laine qui boulochent ou dont la forme change. On oublie de regarder la qualité des fibres quand on magasine. »
« Le prix n’est pas un gage de qualité », tranche Adrien Landry, qui lui-même se fait parfois avoir lorsqu’il achète des vêtements. « Même moi, j’ai de la misère à évaluer la qualité quand je magasine. J’ai acheté un t-shirt à 200 $ et il a fait des trous comme les autres. Ce n’est plus fait comme avant. »
Marie-Claude Pelletier est plus nuancée. Peut-on se fier au prix ? « Oui et non, répond-elle. Des fois, il y a des vêtements pas chers de bonne qualité et des fois tu paies pour le marketing. » Au lieu de se fier au prix, mieux vaut se fier à certains détails de confection, comme les fils qui dépassent et la distance entre les points de couture.
On ne peut même pas se fier au nom sur l’étiquette, prévient la styliste. « Des fois, dans une même marque, tu peux avoir des qualités différentes. »
David Feig, qui travaille pour AsiaInspection, une entreprise américaine offrant aux détaillants des services de contrôle de qualité dans les usines, assure qu’il y a une grande différence dans la fabrication des polos à 9,99 $ et à 150 $. « Ce ne sont pas les mêmes usines, ni les mêmes tissus, ni la même qualité de boutons. » Mais, dit-il, « ceux qui achètent ceux à 9,99 $ ne voient pas la différence entre les deux. Ceux qui se paient des polos à 150 $, croyez-moi, ils la voient ! »