Microbiologie

Une potion médiévale pour tuer des superbactéries

Un manuscrit venu du fond des âges. Une recette qui semble tout droit sortie d’une histoire de sorcières. Et une trouvaille étonnante. Des chercheurs de l’Université de Nottingham, en Angleterre, ont découvert qu’une potion médiévale à base de vin, d’ail et de bile de vache arrivait à tuer des superbactéries contre lesquelles les antibiotiques conventionnels sont devenus inefficaces. Explications.

L’IDÉE

Cette curieuse histoire débute lorsque Christina Lee, experte en études anglo-saxonnes de l’Université de Nottingham, en Angleterre, plonge le nez dans le Bald’s Leechbook – écrit il y a quelque 1000 ans et l’un des plus vieux ouvrages médicaux connus. Elle tombe sur la recette d’un remède contre l’infection de l’œil et décide de vérifier le degré d’avancement de la science de l’époque.

LA COLLABORATION

Grâce à un travail interdisciplinaire assez unique, cette spécialiste de l’époque médiévale s’allie à des microbiologistes de la même université afin de reproduire la recette du remède et de la tester en laboratoire. Christina Lee prend soin de traduire aussi fidèlement que possible le document, rédigé en vieil anglais.

« Il y avait plusieurs termes ambigus et nous avons dû réfléchir attentivement pour savoir ce qu’ils signifiaient », dit Freya Harrison, la microbiologiste de l’Université de Nottingham qui a dirigé les travaux de laboratoire, dans une vidéo mise en ligne par l’université.

LA RECETTE

En voici en gros la teneur : 

INGRÉDIENTS

Ail

Oignon ou poireau

Vin

Bile extraite de l’estomac d’une vache

INSTRUCTIONS

Mélanger des quantités égales d’ail et d’oignon. Ajouter le vin et la bile en quantités égales. Laisser reposer dans un contenant de cuivre pendant neuf jours. Filtrer à travers un morceau de tissu. Appliquer avec une plume dans l’œil infecté du patient avant le coucher.

Les chercheurs ont tout fait pour respecter la recette originale, notamment en utilisant du vin issu d’un vignoble qui existe depuis le IXe siècle.

LA CIBLE

Les chercheurs ont testé la potion contre la superbactérie Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (ou SARM), une bactérie résistante aux antibiotiques. Les superbactéries, qui prolifèrent dans les hôpitaux et infectent les patients, sont décrites comme « un problème majeur de santé publique au Québec » par l’Institut national de la santé publique du Québec. En 2013, elles ont entraîné des coûts évalués entre 14 et 26 millions au Canada et fait au moins 23 000 morts aux États-Unis.

LES RÉSULTATS

« Nous avons été sincèrement stupéfaits des résultats de nos expériences en laboratoire », dit Freya Harrison.

Les chercheurs ont testé la potion sur des colonies de bactéries organisées en biofilms, une configuration qui protège les cellules et complique l’action des antibiotiques. La potion a tout de même réussi à tuer 99,9 % des bactéries.

Des tests menés à la Texas Tech University, aux États-Unis, ont aussi montré que le remède tue 90 % des bactéries dans des plaies sur des souris,  un résultat décrit comme « aussi bon, sinon meilleur, qu’avec les antibiotiques conventionnels utilisés ».

LE MÉCANISME D’ACTION

Pour l’instant, les chercheurs ignorent comment la potion agit. Ils se sont assurés qu’aucun des ingrédients pris isolément ne fonctionnait.

« Il se peut que le mélange contienne divers composés actifs qui attaquent les bactéries sur plusieurs fronts à la fois », dit la microbiologiste Freya Harrison.

Elle souligne que la potion contient de l’alcool, un solvant capable d’extraire et de concentrer des molécules. Le fait que le mélange doive reposer plusieurs jours fait croire aux chercheurs que des réactions chimiques s’y déroulent.

« Il est possible que les ingrédients servent de précurseurs pour créer de nouvelles molécules », dit Mme Harrison.

LES APPLICATIONS

Cécile Tremblay, directrice du Laboratoire de santé publique du Québec, attend de voir les données scientifiques sur la fameuse potion avant de sabler le champagne.

« Mais on a besoin de nouvelles molécules contre ces bactéries, c’est clair, clair, clair », dit-elle.

Il est possible de combattre les bactéries résistantes aux antibiotiques conventionnels par des antibiotiques de deuxième ou troisième ligne, mais ceux-ci ont souvent un mode d’administration complexe ou des effets secondaires importants.

« C’est comme tuer une mouche avec un bazooka », illustre Mme Tremblay.

Les chercheurs de Nottingham, eux, ont bon espoir de voir leur découverte déboucher sur des applications concrètes.

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