Adolescence

Premier cellulaire, mode d’emploi

Plus sécuritaire pour les trajets seul, plus pratique pour s’organiser, indispensable pour communiquer avec les copains… Les adolescents ont des arguments pléthoriques pour justifier l’achat d’un téléphone cellulaire. Mais à quel âge est-il judicieux d’en donner un à son enfant ? Doit-on imposer des règles d’utilisation ? À partir de quel moment doit-on s’inquiéter du temps passé dessus ?

UN DOSSIER DE CHLOÉ MARRIAULT

Un téléphone intelligent à 12 ans

Il y a trois ans, la fille aînée de Dominique Perron, 12 ans, avait une idée fixe : obtenir un cellulaire. « Elle nous tannait, nous disait que ses amies en avaient, nous demandait pourquoi elle n’en aurait pas », se souvient sa mère.

Pendant huit mois, elle et son conjoint refusent : « On trouvait qu’elle était trop jeune, que c’était inapproprié et pas forcément utile. On ne voulait pas qu’elle soit toujours dessus. » Le couple commence à changer d’avis au moment où sa fille se rend seule chez des amis, à pied ou à vélo. « C’est plus sécuritaire avec un cell », indique Mme Perron. Ils finissent par lui en acheter un, mais lui font signer un contrat pour instaurer des règles par rapport à son utilisation. Les principales clauses : continuer de prendre le temps de jouer dehors et de lire, ne pas utiliser son cellulaire à table, ne pas publier des photos de la famille sans autorisation sur Facebook, laisser un contrôle de la part des parents sur Facebook…

Au moment de l’achat du téléphone de l’aînée, la benjamine en réclame un aussi. Les parents lui disent qu’elle devra attendre d’avoir l’âge de sa grande sœur, elle n’a qu’un an de moins. Le couple prend un forfait sans données, pour que leur fille ait accès à l’internet uniquement lorsqu’il y a du WiFi. À la maison, le WiFi est coupé quotidiennement à 22 h. « Un soir, une de mes filles a eu besoin d’internet après cette heure-là, raconte Dominique Perron. Ça l’a dérangée qu’on ait coupé l’internet, elle ne comprenait pas et a fait une crise. On lui a dit qu’elle pouvait se lever plus tôt le lendemain et que pour les prochaines fois, elle devrait s’organiser. »

Dominique Perron concède qu’il est difficile de savoir à quel âge il est opportun d’acheter un premier cellulaire à ses enfants.

« On est jugés comme parents parce qu’on l’a [téléphone cellulaire] donné jeune. Des parents nous ont dit clairement qu’ils ne comprenaient pas pourquoi on leur avait acheté ça. »

— Dominique Perron

Avec le recul, elle se dit qu’elle aurait peut-être pu attendre un peu. Mais en même temps, elle ne le regrette pas, le téléphone étant très pratique pour joindre ses filles et être jointe par elles.

Des jeunes « obnubilés par leur machine »

Malgré les règles imposées et le WiFi limité, elle déplore le fait que ses filles – et les adolescents – soient obsédées par leur cellulaire. « Ils sont complètement obnubilés par leur machine. C’est difficile de concevoir que c’est le prolongement de leur main, ça me fait capoter. Si on s’en va dans un chalet sans WiFi, elles vont me demander pourquoi, car elles ont besoin de ça pour vivre. C’est difficile de constater cette espèce de drogue. »

À partir de quel moment faut-il s’inquiéter d’un usage excessif ? « Quand on n’arrive pas à l’enlever aux adolescents sans que ça devienne un drame », estime Thierry Karsenti, professeur à l’Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le numérique en éducation. Pour lui, il faut que « le cellulaire ne soit pas un droit acquis, mais un privilège qui vient avec des responsabilités et des moments sans. C’est la seule façon de prévenir la dépendance ».

Le cellulaire s’immisce jusque dans les salles de classe. En janvier, Vincent Duguay, un élève de 15 ans de Saguenay, avait adressé à la commission scolaire des Rives-du-Saguenay une mise en demeure. Il contestait la décision de son école de confisquer pendant 24 heures les téléphones cellulaires des élèves pris à l’utiliser en classe. L’adolescent a finalement obtenu une fin de non-recevoir de la commission scolaire.

Selon Magali Dufour, professeure agrégée au département de psychologie à l’UQAM, si les adolescents passent autant de temps sur leur téléphone, c’est en partie parce que les médias sociaux le « renforcent ».

« Le jeune reçoit des likes sur Facebook, sur Instagram, qui peuvent le nourrir à un moment où il est plus vulnérable. On échappe à notre réalité, on s’évade, par exemple sur Instagram. »

— Magali Dufour

Elle rappelle qu’il y a une certaine pression chez ces jeunes : tout le monde a un téléphone intelligent, tout le monde est disponible tout de suite.

Dès le début, fixer des règles

Miguel Therriault est coordonnateur des services professionnels au Grand Chemin, un centre spécialisé pour les adolescents qui ont, entre autres, des problèmes de cyberdépendance. Il met en garde les parents : ils ne peuvent prêcher la bonne parole auprès de leurs enfants si leur usage est contraire à ce qu’ils préconisent. « Plus saine sera l’utilisation des parents, plus ce qu’ils diront aura du poids. » Il recommande aux parents de s’investir dans la vie de l’adolescent hors ligne, de s’assurer qu’il a des activités. Il ajoute quelques conseils : « Il faut éviter que les téléphones soient dans la chambre durant la nuit, éviter la surstimulation avec l’usage de différents écrans, par exemple un téléphone intelligent devant la télévision, et désactiver les notifications des médias sociaux quand on travaille. »

Une question demeure : à quel âge est-il judicieux d’acheter un premier cellulaire ? Thierry Karsenti, Magali Dufour et Miguel Therriault pensent que cela dépend de la maturité de l’enfant. Et ils sont unanimes : dès le départ, les parents doivent fixer des règles.

« Le téléphone cellulaire, c’est un outil d’apprentissage, d’accès à la connaissance, de communication, de socialisation, de distraction… Bref, c’est un outil très puissant et personne ne montre aux jeunes – ou aux moins jeunes – comment bien l’utiliser », regrette Thierry Karsenti. Il suggère : « À quand les premières écoles primaires au Québec où l’on enseignera le bon usage du téléphone cellulaire, à l’école comme à la maison ? »

18 ans et pas de cell

Les jeunes qui n’ont pas de cellulaire font figure d’exceptions. Certains n’en possèdent pas par choix, d’autres, pour des raisons financières. Au quotidien, cela demande d’anticiper et de s’organiser. Rencontre.

« Je n’ai pas de cell, car mes parents ne veulent pas m’en payer un, indique d’emblée Camille Pilon, 18 ans. Ils pensent que ce n’est pas forcément utile puisque je peux utiliser le téléphone public ou celui de mes amis. J’utilise les téléphones publics environ une fois par mois. Je suis la seule de mon groupe d’amis à ne pas avoir de cellulaire. Ils ne comprennent pas comment je fais pour vivre. Ils demandent souvent comment ils peuvent me contacter, je leur réponds qu’il faut appeler chez moi.

« Sans cell, je dois être deux fois plus organisée. Quand j’ai un rendez-vous, je fixe avant un endroit bien précis. C’est contraignant pour mes amis aussi. Si j’arrive en retard, ils doivent m’attendre, car ils ne peuvent pas me dire s’ils bougent. Alors, j’arrive en avance parce que si j’ai du retard, je ne peux prévenir personne. Je dois suivre un calendrier en papier, me réveiller avec un vrai cadran et essayer de me rappeler les numéros de téléphone, ou les noter et ne pas les perdre. Je dois avoir un 50 cents si je veux passer un appel depuis le téléphone public. J’ai toujours un livre avec moi pour m’occuper, par exemple dans l’autobus. Je sais que c’est pas si grave, mais c’est tellement plus pratique quand on a un cell…

« J’ai un iPod que je peux utiliser quand il y a du WiFi. Sinon, je n’ai pas de données GPS, alors je me suis souvent perdue. Une fois, j’avais un rendez-vous au McDo. En sortant du métro, au lieu de tourner à droite, j’ai tourné à gauche. Je me disais toujours que j’étais bientôt arrivée. Au final, je me suis retrouvée à une heure trente à pied, chez ma grand-mère, pour appeler mes parents.

« Mes amis sont tout le temps sur leur cell. Sans cell, on dirait que tu apprécies plus certains moments. Pour mon travail d’été au camp de jour, on m’en prête un. Je me rends compte à quel point c’est pratique au quotidien. Je pense m’en acheter un à la rentrée. »

Une source d’endettement

Nous avons demandé à Sylvie De Bellefeuille, avocate, conseillère budgétaire et juridique à Option consommateurs, de répondre aux principales interrogations par rapport aux responsabilités financières liées au téléphone cellulaire.

Quels conseils donneriez-vous aux parents qui achètent un premier cellulaire à leur enfant ?

Il faut avant tout se demander s’il a vraiment besoin d’un cellulaire. On tient cela pour acquis aujourd’hui, mais avec la pression sociale et la publicité, il faut se demander si c’est un besoin réel ou un besoin que l’on se crée. Si c’est un besoin réel, il faut établir avec le jeune ses besoins. Est-ce pour appeler ses parents une fois de temps en temps pour dire qu’il va souper chez son ami ? Ou pour avoir de longues conversations avec ses amis en tout temps ? Est-ce qu’un bon vieux flip ne ferait pas l’affaire ? Est-ce qu’un forfait familial vaudrait la peine ? A-t-on besoin d’avoir accès à l’internet en tout temps ; a-t-il absolument besoin de vérifier Facebook dans l’autobus ? Ou finalement, l’accès à l’internet avec le WiFi public et à la maison suffit-il ? Si l’on prend un contrat avec un engagement sur deux ans, il faut s’assurer que ses besoins ne vont pas évoluer sur cette période. Il est important de bien évaluer les besoins quant au forfait – minutes, textos, téléchargement – pour éviter de payer des services superflus. Il faut lire les conditions pour mettre fin au contrat. Si l’on a un téléphone dit gratuit, on peut être amené à rembourser la balance du prix du téléphone.

Que conseillez-vous aux parents qui financent ?

Un téléphone, ça coûte cher. Quand les jeunes ne le payent pas, il peut être facile de dépasser un forfait, de l’utiliser de façon plus grande que si c’était eux qui payaient. C’est une bonne occasion de faire un peu d’éducation budgétaire auprès de son enfant. Quand ce sera son tour de payer, cela lui évitera peut-être de se retrouver avec une mauvaise surprise. On peut barrer les téléphones quand le forfait est au nom de l’adulte. Ainsi, l’autorisation de dépasser le forfait si on a utilisé trop de données doit être validée par le parent. Cela évite au parent de se retrouver avec une facture beaucoup plus salée, à laquelle il n’a pas forcément consenti.

Que recommandez-vous aux jeunes qui payent leur forfait ?

Il faut se faire un budget pour voir combien on peut payer et prendre le temps de faire le tour des différents forfaits. Le cellulaire est une source d’endettement. Il n’est pas rare que l’on reçoive de jeunes adultes qui viennent en consultation budgétaire à cause de dettes auprès de trois ou quatre fournisseurs différents. Certains ont commencé à s’endetter à l’adolescence. Or, nos bonnes ou mauvaises habitudes de paiement vont affecter notre dossier de crédit. Si j’ai une très mauvaise note avec un ancien fournisseur de cellulaire et que je cherche une carte de crédit ou un nouveau logement, cela peut poser des obstacles. Ces informations restent au dossier de crédit pendant les six prochaines années. Seul le temps finit par effacer tout ça. On peut se voir refuser du crédit, certains types de contrats, se voir demander des garanties supplémentaires, par exemple un propriétaire qui demanderait une caution s’il accepte de louer. Ou un nouveau fournisseur de cellulaire qui demanderait un dépôt de garantie.

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