Opinion : Réforme Morneau

Les petites entreprises vont écoper

Le mécontentement grandit au sujet de la réforme fiscale mise de l’avant par le ministre des Finances, Bill Morneau. Selon la logique qu’il a répétée dans sa lettre ouverte de mardi dernier, il souhaite imposer aux particuliers à revenu élevé qui ont créé leur petite entreprise des taux d’imposition effectifs comparables à ceux des salariés ordinaires. Pour y arriver, il propose de hausser les impôts liés au fractionnement du revenu, aux placements passifs et à la conversion de revenus d’entreprise en gains en capital.

Beaucoup de gens seront stupéfaits d’apprendre qu’une hausse des impôts liés aux stratégies financières des petites entreprises entraînera, ô surprise, une augmentation des impôts… des petites entreprises ! Et ces impôts frapperont les propriétaires de petite entreprise en général plutôt que le 1 % des plus riches.

La rhétorique du gouvernement emploie la formule des « échappatoires fiscales ».

Certes, on peut aisément affirmer que certaines stratégies fiscales exploitent ces échappatoires, mais c’est tout autre chose de prétendre qu’elles sont répréhensibles et doivent être éliminées.

Qui plus est, tout accroissement de l’équité fiscale que pourrait susciter ce projet de réforme doit être contrebalancé par ses effets sur l’efficience économique et, à ce propos, le fardeau de la preuve incombe au gouvernement.

Certaines de ces « échappatoires » existent depuis presque aussi longtemps que notre système fiscal et on serait naïf de penser que le gouvernement ne s’en est pas préoccupé durant tout ce temps. Ainsi, le fractionnement du revenu avec des enfants de moins de 18 ans, un des aspects de la réforme actuelle, a déjà été réglé et taxé en conséquence il y a longtemps ; le fractionnement du revenu avec un époux a fait l’objet de contestations judiciaires depuis plus longtemps encore.

Des balises suffisantes

Nous disposons déjà de balises suffisantes pour prévenir les abus et nous pourrions très bien améliorer celles-ci sans mettre notre système fiscal sens dessus dessous. Ces questions spécifiques peuvent et doivent être résolues par des lois ciblées qui admettent la possibilité d’utiliser ces diverses pratiques à des fins honnêtes et légitimes.

De cela découle un autre point : chacune de ces soi-disant échappatoires occupe une place importante dans notre système fiscal et dans l’environnement de la petite entreprise d’aujourd’hui. Sans elles, nos petites entreprises paieraient plus d’impôt et les investisseurs seraient moins disposés à les financer. Dans certains cas, elles parviendraient peut-être à changer leurs méthodes et à pratiquer une planification fiscale plus dynamique, ce qui entraînerait une hausse de leurs frais administratifs. Dans tous les cas, cependant, le taux de croissance économique en souffrirait, au détriment de tous les Canadiens.

Entre autres effets imprévus de la réforme, il pourrait devenir plus avantageux pour un propriétaire entrepreneur de vendre son entreprise plutôt que de la transmettre à la prochaine génération.

Au Québec, la vente d’entreprises à des acquéreurs étrangers a été un enjeu important ces derniers temps. Ces craintes sont souvent exagérées, car il est tout à fait normal que des entreprises soient vendues au plus offrant, qu’il soit du Canada ou d’ailleurs. Mais cela ne veut pas dire que nos lois devraient encourager activement ce genre de chose.

Dans le domaine fiscal, la distance entre un projet de réforme et la réalité concrète est considérable. Quand les règles changent, on constate, entre autres choses, que les gens s’y adaptent. Que ce soit en recourant davantage à une planification fiscale ingénieuse, en passant par l’économie clandestine, en négligeant la diversification et la préparation dans l’éventualité d’un ralentissement économique ou en ne transmettant pas leur entreprise par la voie successorale, les petits entrepreneurs s’adapteront. Reste à savoir si nous aimerons les résultats.

Nous sommes tous en faveur de l’équité fiscale. Cependant, si nous voulons réformer le système pour le rendre plus équitable, nous devrions réduire les impôts au lieu de les augmenter. Actuellement, les États-Unis discutent d’une réforme qui pourrait réduire de beaucoup leur impôt des sociétés alors que notre régime fiscal est l’un des rares aspects où le Canada offre un environnement plus favorable pour les affaires. Il n’est jamais opportun d’augmenter les impôts des entreprises, même au nom de l’équité, mais ce serait tout simplement téméraire dans ce contexte.

Opinion : Réforme fiscale fédérale

Les couples canadiens veulent aussi s’unir fiscalement

Si les Canadiennes et les Canadiens ne « font qu’un » lorsqu’ils se marient ou qu’ils décident de vivre ensemble, pourquoi ne pourrait-il pas en aller de même sur le plan fiscal ?

Je donne des cours en fiscalité depuis 10 ans. Au dernier semestre, un étudiant m’a interrogé au sujet du fractionnement du revenu et de l’utilisation de fiducies. Sa question : « Pourquoi ceci est-il permis ? Cela n’a aucun sens. » Ma réponse : « Je ne sais pas pourquoi ça a toujours été toléré. »

Cette pratique – qui n’a jamais été empêchée par le ministère des Finances – semble s’être simplement intégrée à notre système fiscal, à telle enseigne que des spécialistes bâtissent leur carrière en offrant des fiducies à tous les clients qui croisent leur chemin. C’est pourquoi, lorsque j’ai entendu parler de la refonte de la fiscalité du ministre Morneau et plus précisément en ce qui concerne l’attribution de dividendes aux membres de la famille, je me suis dit enfin, on corrigera une situation qui peut paraître injuste aux yeux de certains Canadiens.

Une question plus pertinente aurait été : « Le fractionnement du revenu entre des membres d’une même famille qui n’ont pas de lien avec l’entreprise est-il une façon de faire équitable ? » Ma réponse aurait été non. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucun article que j’aurais pu présenter à mes étudiants pour justifier une telle mesure.

À bien y regarder, cependant…

Je crois que, par le passé, les autorités fiscales ont mis en place des mesures à même d’avoir des incidences négatives plus sérieuses sur la motivation des entrepreneurs. À titre d’exemple : la réduction des crédits pour la recherche et le développement, ou l’exigence d’avoir au moins trois employés pour obtenir une réduction de taux d’impôt au Québec.

L’élimination du fractionnement du revenu avec le conjoint d’un entrepreneur n’a un impact que lorsque l’entreprise commence à être rentable.

Selon moi, un entrepreneur ne devrait pas être freiné sur sa lancée parce qu’il peut réduire sa facture fiscale quand son entreprise connaît enfin du succès.

Cela dit, il est malheureux que quelques avantages, qui constituaient une sorte de compensation pour le risque encouru, soient appelés à disparaître. En effet, n’est-il pas acceptable d’obtenir un peu de répit après avoir trimé pour lancer une entreprise ?

L'objectif du gouvernement

Cela dit, le sujet le plus important est de savoir quel est l’objectif du gouvernement. Improvise-t-on ? Cherche-t-on plutôt à rendre la fiscalité plus juste et équitable ? Dans ce dernier cas, pourquoi ne pas permettre le fractionnement du revenu pour tous ? Pourquoi tous les Canadiens n’ont-ils pas la possibilité de faire une déclaration conjointe, comme c’est le cas dans 12 pays membres de l’OCDE, dont les États-Unis ?

Le fractionnement du revenu n’est pas particulièrement avantageux lorsque les deux conjoints travaillent et qu’ils ont chacun un salaire élevé. Il l’est, par contre, lorsqu’un des conjoints n’a que peu ou pas de revenu. Sous un tel régime, les salariés ou les travailleurs autonomes – mariés ou conjoints de fait – pourraient tirer profit d’un fractionnement du revenu afin de se concentrer, par exemple, sur leur famille, leurs études, leur santé ou leurs parents âgés.

Si nous ne faisons « qu’un » après le mariage, pourquoi n’en est-il pas de même au moment de produire nos déclarations de revenus ?

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