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Dans la discrétion la plus totale, un important chantier vient d’ouvrir en plein cœur de Québec : l’exhumation de près de 1500 dépouilles d’anciennes sœurs du Bon-Pasteur. Menacées de disparition, plusieurs congrégations religieuses décident de fermer leurs cimetières privés pour assurer « le repos éternel » à ces femmes qui ont bâti le Québec.

Québec

Les Sœurs du Bon-Pasteur disent adieu à leur cimetière

Dans la discrétion la plus totale, un important chantier vient d’ouvrir en plein cœur de Québec : l’exhumation de près de 1500 dépouilles d’anciennes sœurs du Bon-Pasteur. Menacées de disparition, plusieurs congrégations religieuses décident de fermer leurs cimetières privés pour assurer « le repos éternel » à ces femmes qui ont bâti le Québec.

Québec — À 84 ans, sœur Pierrette Sirois est en train de gérer un dossier qu’elle pensait ne jamais devoir gérer : le déménagement de 1462 dépouilles de religieuses en plein cœur de Québec.

Ces restes sont ceux de ses prédécesseures au sein des Sœurs du Bon-Pasteur. Ce sont des religieuses qui ont été institutrices, infirmières, travailleuses sociales avant l’heure… Bref, des femmes qui ont bâti le Québec dans un anonymat quasi complet.

Dans un contexte où les congrégations religieuses n’arrivent plus à se renouveler, elles se défont de leur patrimoine. Les chapelles, les couvents, les terrains… même les cimetières.

Les Sœurs du Bon-Pasteur ont obtenu en décembre une permission de la Cour supérieure afin de déterrer les corps à leur cimetière de Sainte-Foy pour les déménager. Les travaux ont commencé début septembre et dureront jusqu’en 2021.

Pour éloigner les curieux, et par respect pour la mémoire des religieuses, un chapiteau a été érigé sur le terrain situé à un jet de pierre de l’autoroute Henri-IV.

« Ce n’est pas morbide de déplacer un cimetière. Ça se situe dans une décroissance. C’est un cheminement pour assurer une qualité de vie à nos sœurs », explique Pierrette Sirois, trésorière des Sœurs du Bon-Pasteur. Elle a accepté de nous parler malgré le caractère délicat du dossier.

« Les Sœurs du Bon-Pasteur ne sont pas les seules à le faire. On en a vu plusieurs dans les dernières années. »

— François Chapdelaine, directeur général du cimetière Saint-Charles

M. Chapdelaine précise toutefois que ce chantier « est le plus important dans les dernières années ».

C’est à ce cimetière, le plus grand de la capitale, que les restes des religieuses seront transférés. Les travaux prendront trois ans puisque, selon les normes de la santé publique, les exhumations ne peuvent avoir lieu au printemps ou à l’été.

La fermeture de ces cimetières privés participe du mouvement de lente disparition des congrégations. Il y avait 38 074 religieux et surtout religieuses dans les congrégations du Québec en 1975, puis seulement 14 498 en 2004 et plus que 8488 en 2018, selon des chiffres de la Conférence religieuse canadienne.

Les Sœurs du Bon-Pasteur ont déjà été près de 1500. Elles ne sont plus que 295, dont 130 à Québec.

« Les deux plus jeunes membres de notre communauté sont dans la cinquantaine », explique sœur Pierrette, qui note que le recrutement au Québec « est à zéro ». « On n’a plus de recrutement au Québec. »

« Le court terme, c’est 100 ans »

Dans ce contexte, il est illusoire de penser que ces communautés peuvent continuer de gérer des cimetières privés, note le chanoine Jean Tailleur, du diocèse de Québec.

« S’il reste trois sœurs qui ont 50 ans, on n’est pas pour dire qu’elles vont s’occuper du cimetière à temps plein, explique-t-il. Ça ne marche pas. Il y a des besoins beaucoup plus urgents que ça. »

Le diocèse de Québec a autorisé les Sœurs du Bon-Pasteur à aller de l’avant avec leur projet de déménagement. Le chanoine Jean Tailleur a été impliqué dans la délivrance de ce feu vert. Il s’agit de l’exhumation la plus importante depuis son entrée en fonction, il y a huit ans.

« Dans les années 1900-1930, les congrégations religieuses étaient partout, pouvaient compter 500-600 sœurs et personne n’aurait remis en question l’utilité pour elles d’avoir leur propre cimetière », a-t-il dit, assis dans son bureau du boulevard René-Lévesque, en haute-ville de Québec. Mais les temps ont changé.

Depuis quelques décennies, les communautés gèrent la décroissance. Elles ont des obligations extrêmement strictes imposées par le droit canonique (le droit de l’Église) quant à la planification. « Nous, dans l’Église, ce qu’on appelle du court terme, c’est 100 ans », a dit le chanoine Tailleur, sourire en coin.

Dans son bureau rempli de livres, l’abbé René Tessier, responsable des communications du diocèse, explique être en contact fréquent avec les congrégations. « Je suis impressionné de la sérénité avec laquelle elles font leur deuil, a-t-il expliqué. Elles savent qu’elles sont en mode d’extinction progressive. »

Des cimetières plus sûrs

Le déménagement du cimetière s’inscrit dans un plan plus large de décroissance pour les Sœurs du Bon-Pasteur, explique sœur Pierrette.

La congrégation s’est départie de plusieurs de ses propriétés dans les dernières années. En 2009, elle a vendu un immense terrain en plein cœur de Québec à la SSQ immobilier pour un projet de 300 millions. À terme, la Cité verte doit compter 800 logements et des espaces de bureaux.

Il reste aux Sœurs du Bon-Pasteur quatre propriétés à Québec. Une fois les exhumations terminées, en 2021, elles vont envisager de vendre le terrain de leur ancien cimetière. À la fin, elles ne conserveront que leur infirmerie, située à côté de l’Université Laval.

Mais en plus de gérer la décroissance, les congrégations veulent aussi s’assurer d’une paix d’esprit. Qu’arrivera-t-il à ces dizaines de cimetières privés le jour où les congrégations s’éteindront ?

« Elles prennent des décisions pour s’assurer qu’un jour, il ne se passe pas quelque chose à leur sépulture sans qu’elles aient leur mot à dire. »

— François Chapdelaine, directeur général du cimetière Saint-Charles

Des projets immobiliers pourraient, par exemple, venir menacer ces cimetières dans les prochaines décennies. Les religieuses choisissent donc de plus importants cimetières, accessibles au grand public, qui auront encore des gestionnaires même si un jour leur congrégation s’éteint.

« Elles choisissent une destination plus sécuritaire pour qu’on veille éternellement, ou à tout le moins à très, très long terme, sur leurs dépouilles », note M. Chamberland.

Le directeur du cimetière Saint-Charles, chargé du déménagement, explique prendre son rôle avec un sérieux quasi solennel.

« Ces sœurs-là ont pris soin de plusieurs des plus vieux d’entre nous, en tant qu’enseignantes, infirmières. Et là, je vous dirais que nos hommes sur le chantier, c’est leur tour de prendre soin d’elles, dit-il. Ils sont conscients de qui ils déménagent. Ce sont des femmes qui ont bâti le Québec. »

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Des communautés victimes d’« ingratitude »

La fermeture des cimetières n’est qu’une étape de plus dans le long processus de décroissance des congrégations, estime Solange Lefebvre, professeure titulaire à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. La Presse s’est entretenue avec elle.

Ce déclin des congrégations n’a rien de nouveau ?

On en parle depuis les années 60. La Révolution tranquille, c’est à la fois un grand projet québécois qui crée toutes sortes d’institutions. Mais, il ne faut pas l’oublier, c’est aussi l’aventure de la marginalisation des communautés religieuses, surtout féminines. Ça, quand on parle de la Révolution tranquille, on en parle très peu. Ça ne fait pas partie du grand récit de la Révolution tranquille.

La Révolution tranquille leur a en quelque sorte fait perdre leur place ?

Il y a beaucoup d’ingratitude pour les communautés religieuses. Ces femmes étaient à la tête de plein d’écoles, plein d’hôpitaux, de plein d’institutions. Elles pouvaient s’épanouir dans des professions alors que le féminisme n’était pas arrivé dans la société. Il n’y a pas grand monde qui se souvient à quel point ces femmes-là ont été tassées par des hommes lors de la Révolution tranquille. Ce sont des technocrates masculins qui les ont tassées. C’est une perspective intéressante notamment avancée par les universitaires Micheline Dumont, Danielle Juteau, Nicole Laurin… Ces femmes-là vivent une forme de marginalisation depuis les années 60.

Vous sentez que l’ingratitude perdure encore aujourd’hui ?

Chaque fois qu’on parle des communautés, c’est pour dire qu’elles sont riches. Il y a toujours la méfiance, la critique. Mais on oublie qu’elles se sont saignées à blanc avant les années 60 dans des institutions qu’elles portaient à bout de bras. C’est vrai qu’elles ont un capital immobilier, surtout à Québec. Les promoteurs immobiliers regardent ça en salivant. Mais d’un autre côté, ces gens-là ont travaillé avec de très petits salaires jusque dans les années 60. Et aussi, il faut savoir que pour toutes sortes de raisons, les congrégations religieuses fournissent leurs propres infirmeries. Vous vous imaginez ce que ça coûte ? Ça coûte une fortune. On m’a dit que cet aspect-là gruge leur capital.

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