La perte du bouc émissaire

On ne dira jamais assez combien cette saison est cruciale pour la direction du Canadien.

Cruciale pour Geoff Molson, qui a renouvelé sa confiance envers ses hommes de hockey en avril dernier, poussant la solidarité jusqu’à les accompagner sur la tribune pour dresser le bilan d’une campagne catastrophique.

Cruciale pour Marc Bergevin, qui a eu la témérité d’échanger le joueur le plus populaire du Canadien depuis Patrick Roy et Guy Lafleur.

Cruciale pour Michel Therrien, qui doit démontrer que la dégringolade de 2015-2016 était un accident de parcours provoqué par la blessure du gardien numéro un et non pas le résultat d’un coaching sans imagination.

Le retour en santé de Carey Price, combiné à l’arrivée de Shea Weber, Andrew Shaw et Alexander Radulov, modifie profondément le visage du Canadien. Mais ces changements s’accompagnent d’un autre, très significatif : avec le départ de P.K. Subban, tous les membres de l’organisation perdent leur bouc émissaire.

Un vestiaire insuffisamment soudé ? La faute de Subban, bien sûr ! Du jeu trop risqué mettant à mal la fameuse « structure » ? Encore Subban ! Un leadership déficient ? Ah, si seulement Subban avait mieux saisi ses responsabilités à ce chapitre… Commode pour tout le monde, joueurs et dirigeants, non ?

Le sort de Subban avec le Canadien s’est réglé en deux temps. En février dernier, au cœur d’une saison misérable, Therrien l’a publiquement blâmé après un échec au Colorado. Moins de deux mois plus tard, ses coéquipiers lui ont préféré Max Pacioretty comme candidat au trophée King-Clancy, malgré l’engagement du numéro 76 auprès de l’Hôpital de Montréal pour enfants. Comme combinaison gauche-droite, difficile de trouver mieux !

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L’héritage du DG du Canadien sera en partie défini par cette transaction. Dans le sport professionnel, où une prime à la jeunesse caractérise le marché des transactions, troquer une supervedette de 27 ans contre une autre de 31 ans est par définition controversé.

La décision s’inscrit aussi à contre-courant de deux tendances fortes dans la LNH : l’utilisation des statistiques avancées pour mesurer l’impact réel d’un joueur (avantage Subban selon plusieurs spécialistes) et la recherche de défenseurs mobiles sachant se démarquer dans un sport toujours plus rapide.

David Poile, le DG des Predators, qualifie Subban de « défenseur moderne ». Cette qualité l’a convaincu de se départir de Weber, à la fois le capitaine de l’équipe et le visage de l’organisation.

Durant la Coupe du monde, Price a expliqué les raisons du départ de Subban. Son ancien coéquipier utilisait parfois sa créativité au mauvais moment, rendant ainsi la situation « imprévisible », a-t-il dit, avant de vanter Weber, un joueur avec qui « on sait exactement ce qui nous attend ».

Cet échange va donc plus loin qu’une simple transaction entre deux équipes. Au-delà de l’évident enjeu de personnalité auquel Subban a fait allusion dans une entrevue à Sports Illustrated, deux philosophies du hockey se retrouvent en opposition. Compte tenu de l’âge des deux joueurs, la pression d’obtenir des résultats rapides repose sur le Canadien.

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Depuis son entrée en poste en mai 2012, jamais Bergevin n’a construit une équipe aussi en phase avec sa vision. Plus d’agressivité, plus de stabilité en défense, plus d’unité dans le vestiaire…

Résultat, Michel Therrien est sur la sellette. Si l’équipe ne performe pas au goût de Bergevin, le premier réflexe du DG sera celui de tous ceux ayant occupé ce poste dans l’histoire du hockey : blâmer le coach. Je n’ai encore jamais vu un DG s’autocongédier.

Cela dit, je ne suis pas inquiet pour Therrien. Ses équipes connaissent de solides débuts de saison et rien n’annonce un changement cet automne. Surtout s’il a la bonne idée de laisser beaucoup de corde à Kirk Muller dans les relations avec les joueurs.

En juin dernier, Therrien a poussé Bergevin à sauter sur l’occasion lorsque Muller est devenu disponible. Tout indique qu’il lui fera la place voulue. Un leader confiant n’hésite pas à s’entourer de gens forts et le coach du CH s’est comporté ainsi dans ce dossier.

Therrien devra aussi écouter les avis de Price et Weber, deux hommes influents auprès de leurs coéquipiers. Là encore, je suis convaincu que le coach s’adaptera.

En revanche, l’utilisation de ces deux joueurs m’inquiète. Price se remet d’une blessure qui lui a fait perdre l’essentiel d’une saison. Et Weber n’est plus un jeune premier. Si Therrien les utilise trop durant les matchs du calendrier, ils en paieront le prix en séries éliminatoires. D’autant plus que leur saison a commencé tôt – et sur un rythme élevé – en raison de la Coupe du monde.

Therrien devra éviter ce piège. La pression de gagner étant si forte, j’ignore s’il en sera capable.

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Au printemps 2014, avec Price et Subban comme meneurs de jeu, le Canadien a atteint la demi-finale de la Coupe Stanley. Les performances de l’équipe ont enflammé le Québec tout entier. L’avenir s’annonçait prometteur. On connaît la triste suite.

La saison qui s’amorce jeudi à Buffalo marquera-t-elle un changement de cap ? Je crois que le Canadien participera aux séries éliminatoires, mais il est trop tôt pour le qualifier de prétendant logique à la Coupe Stanley. Les incertitudes demeurent nombreuses. Un exemple : si Alexander Radulov et Artturi Lehkonen promettent, attendons une vingtaine de matchs avant de nous emballer.

En ce début d’octobre, un vent d’optimisme balaie néanmoins l’organisation. Avec le départ de Subban, un joueur dont l’apport au Canadien a été remarquable sur plusieurs plans, chacun devra mieux assumer ses responsabilités. Pour la simple raison qu’on ne pourra plus blâmer le numéro 76 si les résultats ne comblent pas les attentes.

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