spectacles et émissions pour enfants

Annie Brocoli se retire à contrecœur

Le manque de financement des émissions jeunesse a eu raison d’Annie Brocoli. Puisqu’elle ne veut pas offrir une « pâle copie » de ce qu’elle a déjà produit, elle préfère se retirer. Le milieu réagit.

« Mon cœur était encore tout plein et j’avais beaucoup d’idées de projets, mais je ne pouvais pas les faire », dit Annie Brocoli, qui a annoncé la semaine dernière qu’elle se retirait des productions jeunesse.

Il y a pratiquement deux ans, elle était à Tout le monde en parle avec d’autres artisans pour lever le drapeau rouge sur le déclin de la production d’émissions jeunesse. « C’était mon cri. Et je me suis dit : “Si ce n’est pas entendu, je ne pourrai plus y arriver” », explique celle qui œuvre dans ce milieu depuis 19 ans.

Un cri qui n’a malheureusement pas trouvé d’écho.

Un problème dans la loi ?

Tout comme à cette époque, Annie Brocoli déplore la Loi québécoise sur la protection du consommateur interdisant la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans.

« Il faut changer la loi ! Je pense que c’est hyper important. Je ne pense pas qu’il y a du mal à vendre des dictionnaires. Je ne te dis pas de vendre de la réglisse et du sucre. Mais vendre des affaires saines pour les enfants ? Hey, on consomme tous… Sommes-nous juste pas en train de nous mettre la tête dans le sable ? », dit Annie Brocoli, qui ajoute toutefois ne pas partir dans l’amertume, mais plutôt avec sérénité.

« J’ai eu la chance de faire de belles émissions parce que, dans le temps, il y avait plus de budgets. Il n’y a jamais eu beaucoup d’argent pour les enfants, mais là, ça va de mal en pis. »

— Annie Brocoli, comédienne, chanteuse et animatrice

En 19 ans, elle a vendu plus de 500 000 exemplaires de ses albums et DVD, a présenté des milliers de spectacles à travers le pays et a produit plusieurs émissions de télévision et un film. Elle confie tout de même – bien humblement – que son modèle d’affaires n’était plus viable. Au lieu d’offrir un produit de moins bonne qualité compte tenu de la réalité d’aujourd’hui, elle préfère quitter le milieu de la jeunesse la tête haute et pleine de beaux souvenirs.

« mauvaise cible »

Annie Brocoli est une des artistes les plus associées à la culture jeunesse au Québec. Si un des piliers quitte la famille, y a-t-il péril en la demeure ?

« Je trouve ça tout à fait regrettable que Madame Brocoli mette fin à son émission. Chez Option consommateurs, on ne souhaite certainement pas que les émissions jeunesse disparaissent », dit d’emblée Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option consommateurs.

Comme pour plusieurs personnes interrogées, il croit que le problème est plus complexe que de simplement lever l’interdiction d’offrir de la publicité aux enfants.

« Je dirais même que c’est la mauvaise cible. Je dirais que la responsabilité gouvernementale est beaucoup plus importante. »

— Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option consommateurs

Du côté du diffuseur public, Christiane Asselin partage l’avis d’Option consommateurs que le problème n’est pas uniquement cette restriction : « Ce n’est pas si évident que “nous abolissons cette loi et plein d’argent retournera en jeunesse”. C’est un peu comme ceux qui disent : “Taxons Netflix et tout va se régler.” Ce n’est malheureusement pas cause à effet », explique la première directrice, jeunesse, de Radio-Canada.

À la grande messe dominicale animée par Guy A. Lepage, le magicien Daniel Coutu était aux côtés d’Annie Brocoli pour sonner l’alarme.

« Je pense qu’Annie a raison lorsqu’elle dit que la Loi sur la protection du consommateur au Québec, ça fait disparaître des revenus de l’industrie du spectacle pour enfants et du contenu jeunesse en général », avance Daniel Coutu, qui est entre autres à la barre de l’émission Par ici la magie à Radio-Canada.

netflix, le « vrai choc »

Mais il ajoute que le « vrai choc » est surtout dû à la transformation numérique et à l’arrivée des géants comme Netflix.

Il travaille d’ailleurs d’arrache-pied pour sensibiliser les instances gouvernementales aux nouvelles difficultés du milieu. À ce propos, il a rencontré la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), vendredi dernier, où il a senti une grande ouverture.

Il salue également la nouvelle politique culturelle du Québec, « Partout la culture », qui « favorise le lien culture-éducation-famille ».

« Grâce à ça, toutes les sociétés d’État culturelles comme la SODEC, le Conseil des arts et des lettres du Québec ou le ministère de l’Éducation se penchent sur la question », explique Daniel Coutu.

« Mais il va falloir bouger vite. Et pour l’instant, ça ne va pas assez vite. Donc, il y a des acteurs, comme Annie Brocoli, qui décident de quitter le milieu. »

— Daniel Coutu, magicien et animateur de Par ici la magie

À l’Alliance Québec Animation (AQA), qui regroupe des artisans du domaine de l’animation, l’avis est aussi que les instances gouvernementales doivent assurer la pérennité du secteur.

« Aujourd’hui, on nous demande aussi de devenir des producteurs de propriété intellectuelle, c’est-à-dire de développer toutes sortes de contenus complémentaires à une série télé. Par exemple, de créer des livres, des jouets, des jeux vidéo, des composantes interactives… Donc, d’être plus dans un esprit de marque », explique Sylvain Renaud, vice-président du conseil d’administration de l’AQA. La guerre des tuques est un bon exemple.

Sauf que, pour y arriver, « il faut demeurer avec des niveaux de financement qui nous permettent de développer des produits concurrentiels », ajoute Sylvain Renaud.

La vision positive d’Arthur L’aventurier

Un autre visage très associé à la jeunesse au Québec est celui d’Arthur L’aventurier. Depuis plus de deux décennies, il offre des spectacles, des CD, des DVD et des émissions de télé.

Entre autres en réaction à cette transformation numérique et pour être à la page, François Tremblay, l’interprète d’Arthur L’aventurier, veut diffuser les 165 chansons qu’il a réalisées au cours de sa carrière sur une chaîne YouTube.

« Là, il y a des gens dans l’industrie qui disent : “Voyons dont, tu ne peux pas donner ton stock ! Ça n’a pas de bon sens !” À ceci, je leur réponds : “Non, vous faites erreur, gang. Rendez disponible votre produit, faites-le rayonner à travers le monde. Faisons la culture différemment.” »

— François Tremblay, interprète d’Arthur L’aventurier et producteur

Entre autres à cause de la baisse des ventes de CD et DVD, il a revu son modèle d’affaires. « On se disait que si on voulait faire face à tout ça, il fallait le changer. C’est ce qu’on a fait. On a eu la chance de voir venir la bourrasque », dit-il, ajoutant qu’il est « un peut tanné du discours pessimiste ».

Encore du contenu original

Radio-Canada aussi a un regard positif sur ses productions et son avenir. Selon Nathalie Chamberland, directrice des émissions jeunesse, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) leur demande d’offrir au moins 100 heures de contenu canadien original pour les jeunes, par année.

Est-ce qu’elle y arrive en s’arrachant les cheveux ? A-t-elle les budgets pour y arriver ? « Dans les faits, on fait 120 heures [de contenu original]. Donc, si nous avions de la misère à y arriver, on s’en tiendrait au minimum », dit Nathalie Chamberland, qui affirme aussi être le diffuseur « qui produit le plus de contenu original pour la jeunesse ».

Dans ce contenu, il y aura une nouvelle émission de Nicolas Noël, qui est une production de la compagnie de François Tremblay. « On réinvente Noël dans un monde magique avec des effets spéciaux. Et c’est drôle, nous autres, nous sommes capables de faire ça avec des budgets de Radio-Canada. Alors que d’autres vont dire que ça n’a pas de bon sens, l’argent qu’ils nous donnent. Moi, je trouve ça ben correct, parce que ça nous amène à être plus créatifs », dit l’interprète d’Arthur L’aventurier.

Une opinion que ne semble pas partager Daniel Coutu. « Il faut réagir vite parce que les vedettes pour enfants sont en train de devenir les icônes américaines véhiculées notamment par Netflix et YouTube. C’est urgent ! Et la décision d’Annie Brocoli est un symptôme de cette transformation de l’industrie jeunesse », conclut le magicien.

Spectacles et émissions pour enfants

Annie sans Brocoli ?

Même si elle dit adieu à ses personnages comme « Germaine la grenouille végétarienne », Annie Grenier ne met pas au placard « Brocoli ». Elle gardera son nom d’artiste pour ses prochains projets. Et que seront-ils ? Mercredi (3 octobre), elle lance chez Libre Expression son livre En mal des mots, qui parle de sa dyslexie et de la façon par laquelle elle a apprivoisé cette différence pour la transformer en force. Un sujet qui la passionne tellement qu’elle souhaite en parler au plus grand nombre de personnes, entre autres grâce à des conférences. Également, elle n’abandonne pas le métier d’animatrice et espère être à la barre de nouvelles émissions comme elle le fut avec 100 détours, à TVA. Pour ce qui est de l’univers qu’elle a créé pour les jeunes, elle souhaite le vendre à l’international.

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