Entrevue avec le député démissionnaire Gilles Ouimet

Portrait d’une plante verte avec une fleur et une suce

Bien sûr qu’il voulait devenir ministre de la Justice. Tout le préparait à ça. Carrière remarquable d’avocat criminaliste, auteur, bâtonnier du Québec, porte-parole de l’opposition en matière de justice… La voie semblait tracée.

Sauf qu’au lieu de Gilles Ouimet, c’est Stéphanie Vallée qui a été nommée, en avril 2014, quand Philippe Couillard a pris le pouvoir. Ce qui l’a relégué à « une place de choix parmi les plantes vertes ». On l’a nommé président de la Commission des institutions. « Une plante verte… avec une grosse fleur dessus. »

Un peu méprisant, non, de traiter les « simples députés » de plantes vertes ?

« Au contraire, je m’offusque quand on dénigre les députés, ils sont tous, tous partis confondus, animés par le désir de servir ; c’est le système parlementaire que je critique. On a complètement sacrifié le rôle des députés au profit de l’efficacité, et c’est vrai du PQ comme du PLQ. Tout est prévu pour éviter les vrais débats. »

« Il y a des exceptions, comme Mourir dans la dignité. Mais pour le reste, le Parlement est une machine à saucisses qui ne fait qu’exécuter les décisions des partis. »

« Notre commission est censée convoquer les dirigeants de toutes les institutions aux quatre ans et certains, comme le directeur général des élections, chaque année. Ça ne se fait pratiquement pas ! Les gouvernements n’aiment pas qu’on pose des questions aux organismes, il y a toujours la crainte qu’un problème surgisse. Alors qu’on est là pour ça ! Les parlementaires américains ne s’en privent pas. »

Pourquoi les députés laissent-ils faire ?

« Ceux qui se posent des questions et veulent engager des débats de fond ont généralement les aptitudes et l’expérience pour devenir ministres… Ils espèrent le devenir, ils se tiennent tranquilles. »

L’INDEMNITÉ

On comprend le réformateur déçu, mais tout cela existait avant les élections d’avril 2014. Comment justifier un départ 16 mois seulement après sa réélection ? Avec six mois d’indemnité à la clé (56 000 $) ?

Ambition déçue et situation familiale… complexe, disons.

Quand il devient député en septembre 2012, Gilles Ouimet a une fille adulte et deux adolescentes en garde partagée. « Je ne serais jamais allé en politique avec un bébé naissant », dit-il.

Il est enthousiaste et jure que même l’entretien de « l’armoire à balai » l’aurait comblé. Mais voilà, le parti le nomme porte-parole en matière de justice. Il se passionne pour son rôle. Il collabore même avec plaisir avec son ex-collègue criminaliste Bertrand St-Arnaud, ministre péquiste de la Justice. « Je n’ai jamais eu l’esprit partisan, alors probablement que je n’étais pas à ma place… »

Tout roule pour le nouveau député, qui commence sérieusement à se voir ministre de la Justice, advenant que son parti prenne le pouvoir…

Surprise : en 2013, il devient père de nouveau.

« Je n’ai pas eu la sagesse de me dire que je n’avais plus ma place à l’Assemblée nationale. Ma vie familiale n’avait plus de bon sens. Mais je n’étais pas capable de résister, je me voyais vraiment ministre, mon nom circulait, j’avais plein d’idées pour rendre la justice accessible… »

— Gilles Ouimet

Il est réélu. Le PLQ forme le gouvernement. Il n’est pas nommé. Et il sent des tiges pleines de chlorophylle lui pousser…

Puis, tant qu’à être surpris, en janvier 2015… Nouveau bébé !

Voilà donc le député de 53 ans père de deux nourrissons, de deux ados en garde partagée et d’une jeune adulte fraîchement diplômée de l’université.

Il est allé voir le commissaire à l’éthique en janvier. Il avait décidé d’appliquer les critères du rapport de l’ex-juge Claire L’Heureux-Dubé (2013), jamais adopté par l’Assemblée nationale. « C’est drôle, les députés trouvent qu’ils sont en conflit d’intérêts pour déterminer leur rémunération, ils font faire un rapport indépendant… mais ensuite, ils trouvent que ci et ça ne fonctionnent pas et ils ne l’adoptent pas ! »

Le rapport dit notamment que les indemnités de transition doivent être abolies pour les départs en cours de mandat, sauf si le député quitte son poste pour des raisons de santé ou « des raisons familiales sérieuses ».

« Le commissaire a estimé que mes motifs étaient sérieux », dit-il. Les députés de la CAQ et du PQ qui sont partis l’an dernier ont renoncé à leur indemnité. Pourquoi pas lui ? « Ils ont quitté pour un travail, je suis travailleur autonome sans revenu, et je vais rembourser à hauteur de mes revenus dès que j’en aurai. Et si le nouveau comité en décide autrement, je vais m’y soumettre. »

LA POLITIQUE

« Je ne veux pas être vu comme celui qui part en critiquant les collègues ; j’endosse les politiques gouvernementales, ça n’a rien à voir. C’est le système qui ne fonctionne pas. La période des questions, pur spectacle. Les ministres mènent leurs projets de loi sans débat. Les débats ont lieu à huis clos, dans le caucus des députés ; mais on a fait des parlements pour débattre ! François Bonnardel [CAQ] avait trouvé l’an dernier des feuilles questions-réponses pour les députés [libéraux] pour l’étude des crédits. Je comprends qu’on se prépare, mais là…

« L’environnement médiatique incite au contrôle ; dès qu’un député sort du rang, les journalistes disent : "Ah ! Dissidence !" Alors qu’on devrait cultiver ça.

« Tout devient du positionnement stratégique, le premier à prendre position force les autres à dire le contraire, etc. Alors qu’en dehors des projecteurs, on travaille très bien ensemble. »

« Qui se préoccupe de nos institutions ? De l’état de la démocratie ? À peu près personne. On ne vote pas là-dessus. C’est pourtant l’assise de la société. »

— Gilles Ouimet

« Pendant le printemps érable, on a vécu une période troublante, les institutions ont été interpellées, le judiciaire, la police. Il faut qu’elles soient crédibles, et pour ça il faut les entretenir, les rendre plus performantes, pas seulement réagir aux crises. On a amélioré le processus de nomination des juges, du directeur de la SQ, mais pour le reste, c’est très disparate. La démocratie étudiante, c’est des enjeux complexes, c’est le temps de l’encadrer, pas pendant une crise.

« Je sais bien que l’Assemblée nationale ne sera jamais formée de moines. Faire la politique autrement, c’est comme abolir les bagarres au hockey. Tout le monde est pour, mais dès qu’il y en a une, les gens se lèvent et crient : "Tue-le" !

« Je suis idéaliste, mais pas naïf. La démocratie sera toujours affectée par les vices inhérents à l’être humain ; on a quand même l’obligation d’essayer de mieux représenter les gens, de dynamiser notre démocratie. Je mets ma confiance dans les jeunes, les Bureau-Blouin, l’Institut du Nouveau Monde, je pense qu’on peut encore bâtir une démocratie nouvelle… »

L’entrevue est terminée. L’ex-député tapote nonchalamment une bosse sur sa poche de veston.

Tiens, une suce.

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