PÉTROLE À ANTICOSTI

Où est passé l’ argent ?

Indemnisations versées

Pétrolia : 20,5 millions

Maurel & Prom : 16,2 millions

Corridor Resources : 15,5 millions

Junex :  5,5 millions

À ces indemnisations s’ajoutent près de 30 millions déjà dépensés pour la phase d’exploration, ainsi que d’autres frais. Au total, plus de 91 millions auront été dépensés. Cela dépasse les dépenses faites par ces entreprises. On les dédommage donc aussi pour la perte de leurs droits et de leurs hypothétiques profits.

ÉDITORIAL PÉTROLE À ANTICOSTI

Comment flamber 91 millions de dollars

Flamber 91 millions, ce n’est pas si compliqué, comme le démontre le fiasco d’Anticosti. Le gouvernement Couillard a mis fin à l’aventure pétrolière en indemnisant les principales sociétés impliquées dans le projet. Le Québec aura ainsi dépensé 91 millions pour creuser des trous et vendre du rêve.

Cela mérite un petit retour en arrière pour comprendre comment ne plus rejouer à la loto-pétrole.

L’opacité

En 2005, le gouvernement Charest démantèle la division pétrole et gaz d’Hydro-Québec, créée sous le gouvernement Landry. À l’époque, la technologie ne permet pas une exploitation rentable des gisements de schiste.

Le dérapage commence en 2008 quand Hydro-Québec cède à Pétrolia les permis sur l’île d’Anticosti. Le problème, c’est que le contrat reste secret. Ni la société d’État ni l’entreprise québécoise ne veulent le dévoiler.

Certains y voient rien de moins que le « vol du siècle ». Or, quand le contrat est enfin dévoilé en 2013, le scandale se dégonfle. On apprend qu’Hydro-Québec s’est gardée une redevance prioritaire et un droit de participation si le pétrole est exploité.

La fièvre des dollars

Mais le secret a déjà alimenté la fièvre pétrolière. Le Québec a été dépouillé d’un gisement « de classe mondiale », accusait-on. Et ce, même si aucune compagnie pétrolière majeure ne s’intéressait au prétendu pactole, après des décennies de prospection.

Le gisement pourrait valoir plus de 100 milliards, laisse-t-on miroiter. Or, ces calculs restent très hypothétiques.

On ignore encore : 

 – la nature du gisement. Est-ce du gaz ou du pétrole de schiste ? Dans quelle proportion, et quelle quantité ?

 – le taux d’extraction du gisement. Pourra-t-on en puiser 1 % ? Plus de 5 % ?

 – le coût d’exploitation. Combien coûteraient les infrastructures pour extraire la ressource puis la sortir de cette île isolée ?

 – le prix de vente. Le cours du pétrole est très difficile à prévoir. On misait sur un prix optimiste de 100 dollars par baril. Il est actuellement de moins de 50 $US…

L’opportunisme politique

C’est dans ce contexte que la première ministre Marois se saisit du dossier. Le pétrole la fait saliver.

Elle y voit un argument pour l’indépendance – grâce à l’or noir, un Québec souverain serait prospère, comme la Norvège. Et elle y voit un argument pour sa réélection. En concluant une entente, elle pourrait se vanter de réparer le « bradage » de nos ressources par le gouvernement Charest tout en répondant à ceux qui l’accusent de ne pas créer de richesse.

En février 2014, à peine trois semaines avant le déclenchement de la campagne électorale, Mme Marois crée une coentreprise avec de petites sociétés pétrolières. L’État ne se contente pas d’acheter des actions de ces entreprises, comme sous le plan projeté en 2012 par les libéraux. Québec devient carrément un opérateur du projet. Il investirait 115 millions dans la première phase et pourrait continuer de dépenser dans les étapes suivantes, sans qu’on sache si un seul baril ne sera vendu. Le risque est à la hauteur des gains espérés.

L’incohérence environnementale

Dans l’opposition, Philippe Couillard critiquait l’entente de Mme Marois. Après son élection, il n’annule pas le projet. Il ne fait qu’ajouter une étude environnementale en mai 2014, à la suite de laquelle les travaux se poursuivent.

Puis en décembre 2015, au sommet de Paris, il annonce sans avertissement la fin du projet. Et après ? Rien… Malgré cet arrêt de mort, la coentreprise de l’État continue de dépenser et de préparer les forages avec fracturation hydraulique. Le gaspillage se poursuit, et la confusion s’accentue.

Finalement, sous prétexte que l’Île d’Anticosti doit être nommée au Patrimoine mondial de l’UNESCO, le gouvernement Couillard annule cet été le contrat et indemnise ses partenaires privés. On n’aura donc jamais été au bout des forages qui auraient permis de connaître le véritable potentiel du gisement d’Anticosti.

Si on avait réparé plus rapidement le dégât de Mme Marois, la facture aurait été moins salée. Et il y avait un excellent argument pour le faire : le respect des objectifs environnementaux. Le Québec veut réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % d’ici 2050. Or, l’exploitation à Anticosti aurait atteint son pic durant cette période. On serait donc devenus un producteur pétrolier au moment précis où notre économie doit se verdir. Nos pétrolières seraient arrivées un peu tard au party

Il ne reste plus qu’à avoir la même réflexion pour les autres gisements pétroliers à l’étude.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.