OPINION SOCIÉTÉ

Le déclin du grand rêve canadien ?

Il presse de gouverner et de gérer autrement

Jusqu’aux années 40, le Canada anglais était une société raciste, pénétrée de la supériorité de la race anglo-saxonne, ce qui se traduisait par diverses politiques de discrimination.

Tout changea à partir des années 50. Le pays opéra un virage qui allait conduire à la poursuite d’un grand mythe : se constituer en une société décente qui se signalerait par sa moralité.

Le rêve s’est concrétisé : promotion de la paix dans le monde (participation aux opérations de l’ONU), respect de la diversité (multiculturalisme), égalité (péréquation), compassion (assurance maladie), non-violence (philosophie du compromis), protection des droits (charte de 1982), etc. Ces réalisations se sont reflétées dans divers palmarès, dont celui de l’ONU, accréditant l’idée que le pays était devenu, comme ses élites le proclamaient, un « modèle mondial » de moralité publique.

Cette image du Canada, havre de paix et d’harmonie, s’est répandue à travers la planète, ce qui en a fait la destination la plus convoitée chez les immigrants. Le Québec, mauvais élève, traînait de la patte.

Apparemment insensible au grand rêve, il s’activait à combattre ses vieux fantômes et à cultiver sa « différence ». Louangé de partout, le Canada anglais, lui, prenait de l’assurance, se plaisait à afficher sa nouvelle vertu et se faisait même un peu prêcheur à l’endroit des nations moins choyées.

Mais voici que des sondages récents, effectués par CROP, EKOS et le Pew Research Center, nous livrent de grosses surprises. On y apprend, entre autres, qu’une bonne majorité de Canadiens anglais ne font plus confiance à leurs élites (politiciens, gens d’affaires, médias).

Ils croient aussi que : 

– Le monde va à la catastrophe (38 %) ;

– Le pays reçoit trop d’immigrants, ils vont compromettre la pureté de la culture canadienne (37 %) ;

– Il faudrait les assimiler (60 %) ;

– Sinon, les Canadiens vont devenir minoritaires (65 %) ;

– L’État s’occupe plus des minorités que de la majorité (65 %) ;

– L’immigration menace la démocratie (42 %) et l’héritage chrétien (40 %) ;

– On se sent exclus (« déconnectés ») de la société (43 %) ;

– Les jeunes vont connaître des conditions de vie supérieures à celles de leurs parents (20 % – la proportion la plus faible parmi les pays sondés sur les cinq continents) ;

– Si les inégalités continuent de croître au pays, des conflits sociaux violents vont éclater (près de 60 %), etc.

S’agit-il bien ici du Canada anglais tant admiré ? Ou plutôt de la Serbie, de la Bulgarie ?

Autre grosse surprise livrée par ces sondages dont une partie portait également sur le Québec : sur la plupart des sujets abordés, les répondants québécois ont exprimé, dans des proportions comparables, à peu près les mêmes sentiments que les Canadiens anglais.

En somme, pendant que la situation se dégradait au Québec, le grand rêve canadien se serait effrité on ne sait quand ni comment, l’affaire ayant passé sous le radar des médias et des experts.

Pourtant, pareils changements n’ont pas pu s’opérer du jour au lendemain.

D’où cette première question : comment expliquer que les médias et les chercheurs n’aient rien vu venir ? Et une deuxième : les élites ont-elles été à ce point arrogantes et irresponsables ? Enfin, cette autre question, plus troublante encore et pourtant inévitable : les astres seraient-ils en train de s’aligner pour faire émerger un Trump (un peu plus policé peut-être) de ce côté-ci de la frontière ?

Au-delà des spéculations, ce qui se dégage à coup sûr de ce survol, c’est un message fort et même un signal d’alarme à l’intention des élites, tout particulièrement les élus et les gens d’affaires : il presse de gouverner et de gérer autrement.

Ce message sera-t-il entendu ? Ici, les citoyens peuvent faire une différence en exerçant une grande vigilance et en maintenant une pression sur les décideurs.

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