Éditorial François Cardinal

CIRCULATION
Saint-Denis : l’intenable statu quo

Il est tout de même ahurissant de voir les commerçants de la rue Saint-Denis se porter à la défense du statu quo !

L’artère a beau décliner depuis des années sans que la moindre solution pointe le bout de son nez, ils rejettent catégoriquement, et sans réflexion, l’idée de repenser la rue grâce au Réseau express vélo.

Pourtant, ce n’est pas comme si le fort achalandage automobile de Saint-Denis aidait beaucoup les commerces depuis 10 ans. Ce n’est pas non plus comme si les difficultés de l’artère étaient liées à un problème de stationnement ou à des mesures draconiennes d’apaisement de la circulation.

La rue est inchangée depuis des décennies ! On a complètement réaménagé ses infrastructures, mais sans toucher aux quatre voies routières ni aux nombreuses cases de stationnement.

Et elle décline, décline, et décline encore depuis près de 10 ans…

Penser que c’est en maintenant la fonction d’autoroute qu’on va réussir à redonner un second souffle à Saint-Denis dépasse donc l’entendement.

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Soyons honnêtes, si la rue Saint-Denis est aujourd’hui en si mauvais état, ce n’est pas parce qu’il ne circule pas assez de voitures, c’est parce qu’elle se croit encore en 1990 !

À l’époque, ça allait bien pour les grandes rues de destination de Montréal. Les clients partaient de Verdun et de ville Saint-Laurent pour aller magasiner sur l’artère. Ils venaient même de la banlieue pour goûter à la singularité de son offre commerciale.

Mais en 2019, le résidant de Verdun est plus attiré par le DIX30, tandis que le Carrefour Laval séduit celui de l’arrondissement de Saint-Laurent. Quant aux banlieusards… ils trouvent tout dans le 450 aujourd’hui, des spectacles aux grandes enseignes en passant par les restaurants.

C’est triste pour Montréal, mais c’est ainsi.

Ajoutez à ça le commerce électronique, les taxes élevées et la multiplication des terrasses partout dans les quartiers centraux – alors qu’il s’agissait d’une particularité de l’artère à une autre époque – et vous avez un contexte qui rend difficile le maintien de Saint-Denis telle qu’elle était il y a 30 ans.

Voilà pourquoi Jacques Nantel a déjà comparé la rue à « une duchesse déchue qui n’accepte pas son sort ».

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C’est dans ce contexte qu’il faut envisager le projet de pistes cyclables rue Saint-Denis proposé par l’administration Plante.

Un projet qui fait hurler pour son impact potentiel sur le commerce et sur la circulation, mais qui pourrait bien être l’occasion de repenser enfin l’identité de cette artère d’une autre époque.

Or, on peut douter qu’elle se modernise dans un avenir prévisible quand on entend la présidente de la Société de développement commercial, Judith Noël-Gagnon, critiquer la future « autoroute de vélos qui n’apportera rien aux commerçants ».

Pense-t-elle vraiment que les cyclistes se promènent tous à vélo parce qu’ils sont trop pauvres pour s’acheter une voiture ? Et donc, pour faire des emplettes rue Saint-Denis ?

Peut-être devrait-elle visiter quelques artères canadiennes et américaines qui ont prouvé le contraire ces dernières années. Elle réaliserait que les revenus ont bondi là où on a amélioré l’expérience des piétons et des cyclistes.

Des exemples ? Depuis qu’elle a été réaménagée, la rue Bloor à Toronto compte une centaine de clients de plus par jour. Et les dépenses ont augmenté dans la portion cyclable de l’avenue York à Los Angeles, tandis qu’elles ont stagné dans les portions tout-à-l’auto.

Fait intéressant, dans l’East Village à New York, on a même observé que les cyclistes dépensaient plus que les automobilistes (163 $ par semaine contre 143 $).

Pas étonnant quand on y pense. L’expérience est autrement plus agréable dans une rue qui compte du transport actif que sur le bord d’une autoroute. Il est plus tentant de s’arrêter magasiner et de prendre son temps sur une artère attrayante que sur un boulevard où les voitures roulent à toute vitesse.

La preuve, c’est que les Montréalais qui veulent faire du lèche-vitrine aujourd’hui se retrouvent dans les rues sympathiques qui offrent une bonne ambiance, comme Wellington, Laurier ou Mont-Royal. Pas rue Saint-Denis.

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Reste évidemment l’enjeu de la circulation routière. Plus épineux.

Il va sans dire qu’en réduisant le nombre de voies de quatre à deux, Saint-Denis ne servira plus de déversoir du nord au sud et vice versa. Étant donné l’achalandage des axes parallèles, c’est un problème potentiel.

Que faire, donc ? Couper la poire en trois…

La configuration prévue par Montréal n’est pas encore arrêtée définitivement. Il est question pour l’instant de distribuer les six voies ainsi : deux pour les cyclistes, deux pour le stationnement et deux pour la circulation (voir graphique).

Cela permettrait certes un partage plus équitable de la voie publique, mais au prix possible d’une congestion constante de l’artère.

Une autre option pourrait ainsi être envisagée, inspirée par l’avenue du Parc : consacrer trois voies à la conduite automobile. On alternerait la direction de l’allée centrale en fonction de l’heure de pointe : deux voies vers le sud le matin, deux voies vers le nord le soir.

Bien sûr, une telle option a un coût : il faudrait éliminer une des deux voies de stationnement.

Mais ce scénario pourrait être un compromis acceptable, même pour les commerçants, étant donné que la marche et le vélo contribuent à attirer plus de clients, qui dépensent plus et qui sont plus fidèles, selon les études.

Il faut se rendre à l’évidence : le réseau cyclable actuel ne répond pas à la demande. La popularité de la bicyclette comme moyen de transport commande donc des gestes forts, non pas pour transformer tous les navetteurs en cyclistes comme le prétendent les détracteurs du vélo, mais pour permettre à tous ceux qui le désirent de le faire en toute sécurité.

Et parallèlement, Saint-Denis périclite depuis près de 10 ans sans solution à portée de main. Une situation qui commande, là aussi, un geste fort, non pas pour tuer l’artère pour de bon, mais pour lui donner une seconde vie.

Le Réseau express vélo a le potentiel de répondre à ces deux problèmes.

Saint-Denis

Situation actuelle

La rue Saint-Denis a beau avoir été réaménagée ces dernières années, elle compte toujours quatre voies de circulation et deux voies de stationnement. Ce qui ne l’empêche pas de décliner.

Scénario de la Ville

Le plan actuellement privilégié par l’administration Plante prévoit une piste cyclable à chaque extrémité de la rue. Deux voies sont consacrées au stationnement. Et deux voies sont consacrées à la circulation.

NOTre proposition

En s’inspirant de l’avenue du Parc, il serait possible de conserver trois voies de circulation plutôt que deux. La direction de la voie centrale alternerait en fonction de l’heure de pointe. Une voie de stationnement serait sacrifiée.

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