La différence d’âge qui dérange

Les humoristes se moquent sans aucune retenue : « C’est sa mère qui l’accompagne ?» « Elle lui a préparé son cartable ?» « Qu’est-ce qu’il lui trouve ? » « Grand-mère sait faire un bon café ? »

Adèle Bréau, rédactrice en chef du site du magazine Elle.fr, a exprimé son ras-le-bol cette semaine dans un texte qui a eu beaucoup d’écho. « Est-ce qu’on va en rire encore longtemps ? On voit que la France n’est finalement pas si avancée que ça dans l’égalité hommes-femmes et que ce couple atypique dérange », avance la journaliste jointe à Paris.

« La France est un pays qui reste très gaulois où les vieux machos ricanent bêtement », enchaîne-t-elle. Un constat que partage Arnaud Granata, président et éditeur d’Infopresse. « Ça montre encore une fois que la France est très traditionnelle, dit-il. On en avait déjà eu la démonstration il y a quelques années sur la question du mariage pour tous [qui avait rencontré une forte opposition dans le pays], alors ça ne me surprend pas. »

Ajoutons à l’histoire qu’Emmanuel Macron a rencontré Brigitte alors qu’il était encore adolescent et qu’elle était sa professeure de théâtre au lycée.

« Ça fait partie de leur histoire romanesque, et ceux qui font de la psychologie de comptoir doivent s’en donner à cœur joie ! »

— Arnaud Granata, président et éditeur d’Infopresse

Pour Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’UQAM, ces réactions sont très prévisibles. « C’est un reste de stéréotypes très fort, car le couple qu’on voit comme idéal est un couple où l’homme est un peu plus âgé que la femme, plus grand en taille et avec un salaire plus élevé. Il est protecteur, pourvoyeur, alors que la femme est plus petite, dans une position symboliquement dominée, protégée, mais elle est rarement dans une situation dominante », explique la professeure. Elle souligne que le couple Trump a la même différence d’âge (presque 24 ans d’écart) à l’inverse, mais que ça ne choque personne.

Le destin de la femme âgée

« Le regard de notre société sur les femmes âgées est impitoyable », lance Chiara Piazzesi. À partir d’un certain âge, elle est tenue de disparaître des médias, de la vie privée et publique, et c’est pour cette raison également que le couple Macron dérange.

Selon elle, Brigitte Macron souffre de mésalliance, mais aussi de son apparence, car les femmes ne sont plus considérées comme désirables sexuellement après un certain âge. « C’est terrible, et en plus, le fait d’avoir des petits-enfants, elle est socialement classée dans la catégorie des grands-mères. »

Adèle Bréau évoque une anecdote en lien avec la reproduction, quand une femme est plus âgée que son conjoint. « Il paraît que la mère d’Emmanuel Macron est allée voir Brigitte pour lui dire d’arrêter de fréquenter son fils parce qu’à cause d’elle, il n’aurait pas d’enfants ! », raconte la journaliste française.

Du point de vue médiatique, le couple fascine et dérange. « Quel rôle a-t-elle ? A-t-elle de l’ascendant sur lui ? s’interroge Arnaud Granata. Comme elle prend très peu la parole, il y a beaucoup de mystère qui plane sur elle et ça alimente toutes sortes de rumeurs. » Il précise que si elle avait eu le même âge qu’Emmanuel Macron, elle n’aurait pas été autant au cœur de l’attention.

« Sociologiquement, tout ce qui fascine effraie et tout ce qui effraie fascine. Il y a une ambiguïté entre le charme du couple et cette réalité non conforme. »

— Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’UQAM

Adèle Bréau est consciente que ce couple sort du schéma traditionnel, mais qu’il est temps de passer à autre chose, surtout que, selon elle, la popularité de Brigitte Macron est grandissante.

Si Emmanuel Macron est élu président demain, Arnaud Granata estime que ce sera une image extrêmement forte pour la société, car le couple Macron symbolise finalement la nouvelle vision de la famille d’aujourd’hui. « C’est une famille recomposée, avec des enfants et petits-enfants. J’espère que ça va faire évoluer les mentalités. Et quelque part, ce sera plus représentatif et plus ancré dans la réalité qu’une famille comme celle des Kennedy qui était, en apparence, parfaite. »