DE SAINT-DENYS GARNEAU

« De gris en plus noir »

De Saint-Denys Garneau

Michel Biron

Boréal 450 pages

Il a publié un seul recueil, à compte d’auteur : 28 poèmes rassemblés en 1937 sous le titre Regards et jeux dans l’espace. Une œuvre poétique plutôt mince qui a toutefois été l’objet de dizaines de textes critiques. Pourquoi cette fascination pour Hector de Saint-Denys Garneau ?

« Pour la vérité du texte », répond d’emblée Michel Biron, professeur de littérature à l’Université McGill et auteur de De Saint-Denys Garneau, présenté comme « la première véritable biographie » du poète. Coauteur d’Histoire de la littérature québécoise (Boréal, 2007), Michel Biron a aussi dressé la liste de Quinze classiques de la littérature québécoise, œuvre collective parue récemment chez Fides, liste dans laquelle Regards et jeux dans l’espace (jeux avec « j » minuscule, ici) apparaît entre les Poésies d’Émile Nelligan (1879-1941) et Les îles de la nuit d’Alain Grandbois (1900-1975).

UNE « VIE ANÉMIQUE »

Tant d’écrits – comme l’édition critique des Œuvres, par Jacques Brault et Benoît Lacroix aux PUM en 1971 – et pas de vraie bio avant aujourd’hui ? « Au Québec, rentrer dans les secrets de famille n’est pas chose facile », dira Michel Biron en expliquant que de Saint-Denys Garneau, qui évoquait lui-même dans son journal sa « vie anémique », avait connu un parcours sans grands rebondissements.

« Il n’a pas eu de relations amoureuses stables et il n’a jamais occupé d’emploi. » L’auteur a notamment eu accès au journal de Jean Garneau (1922-2012), le frère de « de Saint-Denys », enfant chéri de sa maman qui tenait mordicus à la particule de ce prénom qui « révèle le statut particulier au poète au sein de sa famille ». Personne ne l’a jamais appelé Hector…

Il était l’arrière-petit-fils de l’historien « national » François-Xavier Garneau et le petit-fils d’Alfred Garneau, lui-même poète et historien. De par sa mère, Hermine Prévost, Garneau était un descendant de la famille Juchereau Duchesnay, une des plus anciennes de la Nouvelle-France, famille « noble » dont Hermine a toujours voulu perpétuer le statut, parfois à l’excès. Ainsi, son fils artiste n’ira pas à l’école avec les enfants du village, mais c’est la maîtresse qui se rendra au manoir de Fossambault pour enseigner au petit « De ».

À Montréal – bien que pas très riches, ses parents avaient choisi Westmount –, SDG fréquentera de façon intermittente, à cause de sa santé fragile, les trois collèges de jésuites – Sainte-Marie (l’ancêtre de l’UQAM), Loyola (Concordia) et Brébeuf –, mais il n’obtiendra jamais son baccalauréat ès arts.

Il ne s’intéressait ni à l’histoire ni à la politique, contrairement à André Laurendeau, son premier grand ami masculin qui, en 1933, fondera le groupe Jeune-Canada, tenant du slogan « Maîtres chez nous ». 

« Garneau ne rejette pas tant l’action nationale que l’action en tant que telle. »

— Michel Biron

Que fait-il alors ? Il écrit, peint – il a fréquenté l’École des beaux-arts –, voit des femmes qui le font parfois « succomber à la tentation ». Et sombrer dans la contrition, on peut supposer, lui qui, en constante « quête artistique de Dieu » – il ne pouvait dissocier l’acte créateur et la religion –, est toujours aux prises avec la notion de Mal. Comme son idole Charles Baudelaire, l’auteur des Fleurs du mal à qui il restera toujours fidèle.

« Saint-Denys Garneau, qui s’est parfois senti possédé, était fasciné par la Douleur et le Mal, souligne son biographe. Comme Baudelaire qu’il a beaucoup lu mais avec qui il ne partageait pas de parenté formelle. »

LA MODERNITÉ DE GARNEAU

À quoi tenait cette « modernité » de Garneau dont on le dit le précurseur dans la littérature canadienne-française ? « D’abord à son usage du vers libre, un vrai problème pour la critique de l’époque… » Et Michel Biron d’évoquer son entrevue avec le comédien Gilles Pelletier qui lui a raconté comment son père, le critique et éditeur Albert Pelletier (1896-1971), voyait la chose : « Saint-Denys Garneau a du talent mais pourquoi n’écrit-il pas en rimes comme les vrais poètes ? »

Pour Michel Biron, l’autre aspect de la modernité de Garneau – snobé pendant la Révolution tranquille parce qu’il ne répondait pas aux « critères » du temps – tient dans sa quête de soi et « l’exigence de sa poésie, une poésie sans fla-fla dans laquelle la forme colle au contenu ». Comment décrire autrement les derniers vers de Commencement perpétuel où le poète évoque sa quête, justement :

Créer par ingéniosité un espace analogue à l’Au-delà

Et trouver dans ce réduit matière

Pour vivre et l’art.

Pour les jeunes d’aujourd’hui, les jeunes étudiants de Michel Biron en tout cas, l’œuvre de Saint-Denys Garneau représente aussi la modernité. « D’abord, ils saisissent l’importance du retrait : Garneau a abandonné la poésie et a vécu la fin de sa vie en reclus. »

Garneau est mort à 31 ans mais il était « mort à lui-même » bien avant… « La dimension à laquelle les jeunes s’identifient totalement, toutefois, c’est le manque d’appuis dans un monde aux repères changeants et dont on se demande où est le centre.

« Pour eux, l’actualité de Saint-Denys Garneau se saisit tout entière dans l’un de ses plus célèbres vers : C’est là sans appui que je me repose… »

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