Petite enfance

Une commotion cérébrale pourrait nuire à la relation parent-enfant

À l’heure du souper, Lucas (prénom fictif), deux ans et demi, chute de sa chaise et tombe directement sur le côté de sa tête. Il reste conscient, mais vomit de façon persistante et semble inconsolable. Aux urgences de l’hôpital Sainte-Justine, le diagnostic tombe : commotion cérébrale.

Six mois plus tard, une équipe de chercheurs du CHU Sainte-Justine rencontre Lucas et sa mère. Le duo est d’abord invité à partager une collation ensemble pendant 10 minutes, puis à prendre part à une activité de jeux libres pendant 10 autres minutes. Pendant ce temps, les chercheurs observent leurs interactions grâce à des caméras dissimulées.

Leur constat : les interactions entre Lucas et sa mère sont difficiles. La communication manque de fluidité. Lucas refuse l’aide de sa mère. L’atmosphère générale est négative. Il y a un malaise.

Le cas de Lucas illustre bien les résultats d’une étude qui vient d’être publiée dans le Journal of Neuropsychology. « Ce qu’on a trouvé, c’est que comparé à des enfants qui n’ont pas subi de blessure à la tête, les enfants qui ont subi une commotion cérébrale ont une dégradation dans la relation qu’ils ont avec leurs parents », indique la neuropsychologue Miriam Beauchamp, chercheuse au CHU Sainte-Justine et auteure principale de l’étude.

Comme ils l’ont fait avec Lucas et sa mère, les chercheurs ont observé les interactions parent-enfant avec un groupe de 130 enfants âgés de 18 mois à 5 ans : 47 ayant subi une commotion cérébrale, 27 ayant subi une blessure orthopédique (mais sans commotion cérébrale) et 56 sans commotion ni blessure. Les parents ont aussi rempli un questionnaire pour évaluer leur relation avec leur enfant.

La différence entre le groupe d’enfants ayant subi une commotion cérébrale et les deux autres groupes est « significative », indique Miriam Beauchamp.

Comment expliquer cette différence ? L’équipe entend approfondir ses recherches pour mieux en cerner les facteurs. Les chercheurs, qui ont rencontré les enfants 6 mois après leur traumatisme, vont refaire les activités avec les duos 12 mois, puis 18 mois après leur blessure.

Plusieurs dispositions émotives et comportementales pourraient contribuer à la dégradation de la relation parent-enfant, relative à l’enfant, mais aussi au parent.

BLESSURE INVISIBLE

L’enfant qui a subi une commotion cérébrale peut ressentir des changements – étourdissement, fatigabilité, maux de tête – mais sa blessure demeure invisible, rappelle Miriam Beauchamp.

« S’ensuit une chaîne, dit-elle. Si le jeune n’est pas capable d’exprimer qu’il ne se sent pas bien et si le parent oublie un peu ça parce qu’il n’y a pas de manifestation physique pour le lui rappeler, le parent pourrait avoir les attentes qu’il aurait normalement dans la vie de tous les jours. L’enfant n’étant pas capable de répondre à ces attentes-là parce qu’il ne se sent pas bien, le parent peut devenir frustré, l’enfant aussi… On a un peu une boucle d’interaction négative. »

Le stress du parent causé par la commotion cérébrale et des changements dans les pratiques parentales pourraient jouer un rôle.

MÉCANISMES NEUROLOGIQUES ?

Enfin, des mécanismes neurologiques précis pourraient aussi contribuer à la différence observée. L’âge préscolaire est une « période exponentielle de maturation cérébrale », souligne Miriam Beauchamp.

« Quand on vient perturber ce développement-là, vous pouvez vous imaginer que ça peut avoir des répercussions sur toutes les fonctions qui sont sous-tendues par le cerveau : langage, attention, intelligence, et aussi les habiletés sociales, dont on parle plus spécifiquement dans cet article », explique-t-elle.

Les chercheurs ont choisi d’étudier la relation parent-enfant pour une raison simple : celle-ci est centrale dans la vie du tout-petit. Qui plus est, la qualité de la relation parent-enfant en bas âge est prédictive de la compétence sociale de l’enfant plus tard, note Miriam Beauchamp, qui invite les gens à ne pas être trop alarmistes non plus. 

« Dans une commotion cérébrale, on s’attend à une amélioration dans le temps. En général, les symptômes de l’enfant s’estompent avec le temps et la majorité des enfants récupèrent bien. »

— Miriam Beauchamp, neuropsychologue

L’équipe de chercheurs invite néanmoins les parents à rester à l’affût des changements dans le comportement de leur enfant dans les semaines qui suivent un traumatisme pour pouvoir s’ajuster à son état durant cette période.

Le Dr Jocelyn Gravel, pédiatre urgentologue à l’hôpital Sainte-Justine qui a contribué à la recherche, rappelle pour sa part que « le meilleur traitement, dans n’importe quel trauma, demeure la prévention ».

« Presque à chaque quart de travail, je vois au moins un enfant qui est tombé de la table à langer ou du comptoir de la cuisine, ou du lit, dit-il. Je dis aux parents de ne pas se sentir coupables, mais d’inviter les gens autour d’eux à rester à l’affût. »

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