Chronique

La vieille dame, suite et fin

Par un matin d’hiver glacial, une vieille dame en robe de chambre s’enfuyait avec son déambulateur dans les rues de Côte-des-Neiges.

C’était en février 2014. La dame s’appelait Veronica Piela, 90 ans. Elle avait été déclarée inapte, à un degré avancé d’alzheimer, grâce à un faux certificat. On l’avait sortie de force de chez elle, enfermée dans une résidence, et on avait vidé son compte de banque du demi-million de dollars qui s’y trouvait.

Comment est-ce possible ? Anita Obodzinski, qui se présentait comme sa nièce, l’aidait à faire son épicerie. Elle s’est acoquinée avec une travailleuse sociale, Alissa Kerner, qui a fait faire un certificat bidon d’inaptitude par un médecin, Lindsay Goldsmith. Et le grand champion de l’histoire était l’avocat Charles Gelber, qui se trouve à être le mari de la travailleuse sociale Kerner.

J’ai raconté cette histoire en 2015. Trois ans plus tard, le dernier chapitre vient de s’écrire, au Conseil de discipline du Barreau du Québec, où l’avocat Gelber vient d’être condamné.

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L’avocat Gelber, en fait ex-avocat, est le grand champion, disais-je, parce qu’il a superbement ficelé cette saloperie.

Gelber est celui qui a fait homologuer le faux mandat en cas d’inaptitude à la cour, sans en informer Mme Piela ou son avocat. Il a ensuite fait transférer dans son compte 100 000 $ de la vieille dame et en a distribué à Obodzinski. Il a ensuite obtenu un jugement pour faire placer Mme Piela, prétendant que son appartement était insalubre. Encore une fois, ni elle ni son avocat n’en ont été informés. On l’a carrément vidé. Envoye, dehors !

C’est ainsi qu’on a forcé la pauvre dame à quitter son logement pour se retrouver dans une résidence privée où il lui était interdit de communiquer avec qui que ce soit.

C’est de cette résidence qu’elle a réussi à s’enfuir avec son déambulateur, en plein hiver. Les policiers qui l’ont trouvée à moitié nue sur le trottoir ont été obligés de la ramener « chez elle », puisque tous les papiers semblaient en règle. Mais une enquête a été ouverte, tandis que son avocat Igor Dogaru tentait de recoller les morceaux…

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Il y a mieux : l’avocat Gelber a contesté toutes les tentatives de l’avocat de Mme Piela de faire annuler les documents faits frauduleusement. Il a fallu des mois de procédure absurde pour que l’avocat de Mme Piela réussisse enfin à obtenir justice.

Bref, cet avocat n’a pas fait preuve de négligence ou d’insouciance : il a été le pivot de cette opération qu’un juge a qualifiée de « dégoûtante ».

À la fin, l’argent a été remis et la dame a été « libérée ». Mais la fraude a bien failli réussir à merveille. 

On a privé une femme de 90 ans de sa liberté, on l’a dépossédée pendant plusieurs mois de son argent. On l’a effrayée.

Mme Piela est morte en 2016, quelques mois après la conclusion de l’affaire.

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Anita Obodzinski, la fausse nièce, s’est avouée coupable l’hiver dernier avec son complice et copain, Arthur Trzciakowski, des crimes de méfait, entrave à la justice, faux et usage de faux. Mme Piela étant décédée, les perspectives de condamnations devenaient plus minces sans la victime. La poursuite a donc accepté de négocier une peine clémente : deux ans de prison à domicile pour la femme, avec 240 heures de travaux communautaires. Son copain s’en tire avec 170 heures de travaux communautaires.

Mais au fond, ces deux-là sont le menu fretin de l’histoire. Jamais ils n’auraient pu exécuter leur plan sans la travailleuse sociale, le certificat médical de complaisance et les manœuvres crapuleuses de l’avocat.

Alissa Kerner a été radiée pour trois ans de l’Ordre des travailleurs sociaux. Elle a aussi été accusée au criminel et s’en est tirée avec une absolution et un paiement de 2000 $.

Gelber est le chanceux du groupe : il n’a jamais été accusé au criminel.

Le 27 septembre, le Conseil de discipline l’a radié pour 18 mois. Ces infractions vont pourtant « au cœur même de l’exercice de la profession d’avocat », écrit le Conseil. Ce n’est pas non plus un geste isolé, mais vraiment une opération qui a duré des mois et des années. Il a menti à la cour et à son confrère, a manigancé en cachette, a forcé cette dame à entreprendre de longues et stressantes procédures où elle devait prouver ne pas être folle, pour simplement ravoir son argent.

Une radiation aussi minime pour un abus de pouvoir et de privilèges aussi grave est une sorte de blague. Mais encore là, la vieille dame est morte et l’avocat s’est discrètement reconnu coupable, avec une entente à la clé. Le Conseil de discipline, dans ces cas-là, se trouve lié, sauf rares exceptions.

Oh, mais j’oubliais la docteure Goldsmith ! Celle qui a signé un rapport disant que Mme Piela était à un stade avancé d’alzheimer. Je ne suis pas médecin, aussi il ne sert à rien de dire que j’ai rencontré Mme Piela, qui m’a raconté sa vie en détail et sa fuite rocambolesque avec un grand rire jubilatoire – c’était au moment où les choses tournaient du bon côté. Prenons plutôt l’avis d’une grande experte en gériatrie, la Dre Catherine Ferrier, selon qui cette expertise était du bidon. Mme Piela a une « excellente mémoire », a-t-elle déclaré sous serment, taillant en pièces l’expertise douteuse de sa collègue.

Donc, qu’est-il arrivé à la Dre Goldsmith ?

Rien.

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