RÉPLIQUE

Heures supplémentaires obligatoires
Une vie au travail, mais aussi en dehors du travail

En réponse au texte de Jean-Claude Bernatchez, « Le combat des infirmières n’est pas gagné d’avance », publié hier.

M. Bernatchez, j’ai lu avec intérêt votre lettre d’opinion publiée dans La Presse+ hier. Permettez-vous à une humble infirmière d’y répliquer ?

Je vais passer par-dessus votre rhétorique sur la supposée « légitimité » des heures supplémentaires obligatoires, parce qu’après mon troisième 16 heures de travail cette semaine, je crains d’avoir le verbe acerbe. 

Oui, 48 heures de travail en trois jours, et il m’en reste deux à faire. Vous énoncez « trois options difficiles ». Deux d’entre elles au moins sont vouées à l’échec, car elles sont à l’évidence basées sur une prémisse fausse quant à l’attractivité de la profession d’infirmière. Vous parlez d’« embaucher davantage, ce qui implique d’augmenter l’offre formative en nursing ». Cela me fait penser à un jeune médecin en début de carrière qui se préoccupait énormément des analyses de laboratoire d’un patient et d’une hypothétique transfusion sanguine. Mon infirmière-chef de l’époque lui avait fait remarquer avec tact que la priorité était d’abord d’arrêter l’hémorragie massive du patient. 

Ainsi, il ne servirait à rien d’augmenter l’offre pour former de nouvelles infirmières si les conditions de travail ne sont pas attractives. La priorité doit être de mettre fin aux départs hâtifs à la retraite des infirmières d’expérience et aux changements de carrière de toutes les autres. Et à quoi sert-il d’ouvrir plus de places dans les cégeps et les universités si l’attractivité de la profession est basse ?

Des infirmières qualifiées quittent chaque jour le réseau de la santé pour aller faire complètement autre chose. Nos salaires sont bas, ne reflètent en rien nos responsabilités et nos qualifications ni la lourdeur de nos tâches et les conditions de travail dangereuses dans lesquelles nous évoluons.

Nos « augmentations » annuelles ne suivent même pas l’inflation ! Ajoutez à cela nos avantages sociaux risibles par rapport aux autres fonctionnaires et les contraintes plus nombreuses : devoir payer de notre poche près de 500 $ par année pour notre permis de travail, nos uniformes, nos cours de formation continue, etc.

Votre option de « reconstituer un bassin d’infirmières occasionnelles en abaissant la cible des postes à temps plein » est encore pire : elle suppose qu’en offrant seulement du travail à temps partiel, les professionnelles de la santé vont attendre à côté du téléphone dans l’espoir que l’hôpital appelle pour leur donner des quarts de travail de dernière minute ! 

Le marché du travail regorge d’emplois. Il est bien peu réaliste de croire que les infirmières seront disponibles pour travailler à temps plein si on leur donne seulement une garantie de travail à temps partiel. 

Elles vont trouver un travail plus facile, plus payant et moins contraignant pour compléter leur revenu. Ensuite, elles risquent fortement d’abandonner la profession elles aussi quand leur employeur « secondaire » va leur proposer de travailler à temps plein.

Vous parlez beaucoup de législation et des supposées contraintes des milieux de soins qui n’ont « pas le choix » d’imposer des heures supplémentaires obligatoires pour garantir « un service auquel le public a droit ». Je suis certaine d’en connaître moins long que vous sur les lois québécoises, mais je suis également certaine qu’il n’y a pas de loi au Québec qui puisse obliger mes collègues et moi-même à travailler comme infirmières. 

Nous sommes capables de faire autre chose de nos vies et nous en voulons justement une en dehors du travail ! 

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