Demande d’action collective

Les lacunes du système de justice dans le Grand Nord encore dénoncées

Des Inuits perdent leur emploi ou la garde de leurs enfants à cause des délais de traitement inconstitutionnels qui leur sont imposés lorsqu’ils sont arrêtés, allègue une demande d’action collective qui pourrait coûter cher au gouvernement.

Les détenus du Grand Nord sont parfois trimballés à travers la province pendant deux semaines avant de pouvoir convaincre un juge de les libérer en attente de leur procès, selon la poursuite. Entre-temps, leur vie est souvent bouleversée.

La demande d’action collective lancée la semaine dernière n’est que la plus récente contestation de la façon dont Québec administre la justice dans la moitié septentrionale de son territoire : des tribunaux, le Barreau et la protectrice du citoyen l’ont tous vivement critiquée dans les dernières années.

Le Nunavik ne compte aucun juge permanent et aucun établissement de détention. Le ministère de la Justice y organise des tournées pour visiter les villages en avion, seule façon d’y accéder.

Dans le cas de cette demande d’action collective, c’est le délai qui s’écoule entre les arrestations et le moment où un juge peut se prononcer sur la légalité des détentions qui est en cause. Selon la demande, ce délai atteindrait parfois dix jours au Nunavik, alors que la loi prévoit un délai maximal de trois jours.

« En plus des violations des droits fondamentaux, c’est sûr que ça a des conséquences au niveau de l’emploi, au niveau de la famille, a fait valoir l’avocat Victor Chauvelot, qui porte la demande d’action collective, en entrevue téléphonique. Si on retire du jour au lendemain quelqu’un de sa famille pendant 10, 11 jours […], ça a des conséquences graves. »

des « dizaines » de personnes pourraient être touchées

M. Chauvelot demande des dommages punitifs de 50 000 $ pour chacun des individus qui n’ont pu subir leur enquête sur remise en liberté dans le délai requis au cours de trois dernières années, en plus de 2500 $ par jour de détention « illégale ».

L’avocat ne connaît pas le nombre de personnes qui pourraient être touchées, mais évoque des « dizaines » d’individus. 

« On est présents dans le Nord et on le voit que c’est fréquent, que ce n’est pas exceptionnel du tout. »

— Victor Chauvelot, avocat qui porte la demande d’action collective

Dans le cas de l’individu représenté par Me Chauvelot, il a été arrêté dans le village nordique de Kangirsuk, avant d’être transporté vers Kuujjuaq (la capitale du Grand Nord), puis vers Montréal, Saint-Jérôme et de prendre la route vers Amos. Après avoir été libéré par un juge, il a dû refaire le chemin inverse jusque chez lui, 10 jours plus tard.

La demande d’action collective s’appuie notamment sur un rapport du Protecteur du citoyen de 2016 qui affirmait que le délai imposé par la loi était « presque toujours » dépassé, « ce qui contrevient au Code criminel ».

Le ministère de la Justice n’a pas voulu réagir à cette procédure, qui devra être autorisée avant de devenir officiellement une action collective. « Nous sommes à analyser la procédure qui vient d’être signifiée à la procureure générale du Québec », a indiqué Sylvie Leclerc, chargée des communications.

« Injustice flagrante »

La demande d’action collective survient deux semaines seulement après que la Cour supérieure eut dénoncé une « injustice flagrante » : alors que des centaines de Québécois sont condamnés chaque année à la « prison de fin de semaine » pour des crimes mineurs, cette possibilité n’existe pas dans le Grand Nord.

La situation oblige de nombreux Inuits à quitter leur emploi et leur famille pour purger une peine de prison « continue » à des milliers de kilomètres de leur domicile.

Le tribunal a donné six mois au ministère de la Sécurité publique pour trouver une solution.

— Avec Louis-Samuel Perron, La Presse

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