Opinion  Réforme du système de santé

Un pas de plus vers la privatisation

Des entreprises se positionnent déjà pour profiter de l’onde de choc créée par le projet de loi 20

La Régie de l’assurance-maladie du Québec existe depuis quarante-cinq ans. C’est jeune ou c’est vieux ? Pourtant, la couverture par l’État des honoraires des médecins est tenue pour acquise, et devrait l’être, par une bonne partie de la population.

Le mouvement vers une plus grande part pour le privé en santé est souhaitable pour plusieurs, inévitable pour d’autres. Quoi qu’il en soit, depuis la levée de l’interdiction de contracter une assurance privée pour des soins couverts par le régime public imposée par l’arrêt Chaoulli en 2005, il est bien enclenché. Ne pas tenir compte de cette vérité qui dérange dans le débat actuel autour des projets de loi 10 et 20 relève d’un dangereux aveuglement.

Je reçois chaque mois des publications médicales, sans ne m’y être jamais abonné. Ces publications regorgent d’offres d’emploi explicites : « omnipraticien, 24h/semaine, 5 semaines de vacances payées, 320 000 $ par année garantis ». On en parle entre collègues, mais nous n’appelons pas au numéro. Chacun a ses raisons. Pour ma part, je sens qu’il y a là-dedans quelque chose d’injuste et d’immoral.

Jamais un ministre de la Santé n’annoncera que la RAMQ est abolie et que le système devient entièrement privé.  La privatisation des soins médicaux se fera plutôt peu à peu, par des remous suivis d’accalmies. 

L’arrêt Chaoulli a été le premier remous. Depuis, le nombre de médecins non participants à la RAMQ croît sans cesse.

J’ose dire une autre vérité qui dérange : les médecins qui se trouveront privés d’un coup de 30 % de leurs revenus avec la loi 20 ont une hypothèque et des factures à payer, comme tout le monde. Le choix du privé les déchirera, mais assurera, en fin de compte, leur sécurité financière. Ces médecins ont besoin de peu de matériel, ils n’ont pas besoin de salles d’opération. La propriété des cliniques médicales est déjà privée. Il suffit de changer le mode de paiement. L’infrastructure existe déjà…

DEVOIR DE LUCIDITÉ

En campagne électorale, Philippe Couillard parlait d’implanter des supercliniques de propriété privée, mais dont les soins seraient couverts par la RAMQ. Il disait que des examens de radiologie y seraient accessibles. Quand l’on sait que les appareils de résonance magnétique peuvent coûter plus cher que l’immeuble qui les contient, on peut supposer que seuls des radiologistes pourraient devenir propriétaires de ces cliniques. 

Un vaste réseau de cliniques de radiologie privées est d’ailleurs déjà implanté, réseau dont le ministre Barrette a tenu à réserver la propriété aux radiologistes québécois quand il était à la tête de la Fédération des médecins spécialistes. Le Groupe Jean Coutu a aussi signalé son intérêt au gouvernement pour bâtir ces supercliniques.

La loi 20 créera une onde de choc parmi les médecins de famille. Déjà, des entreprises se positionnent pour en profiter. Quand un ministre prend le rôle d’un patron intransigeant, prêt à sortir le bâton, il est naturel que des médecins envisagent d’autres solutions, comme celle de cesser d’être un paresseux ou une paresseuse qui profite du système pour se lancer en affaires et recevoir, ainsi, le respect dû à tout créateur de richesse.

Le Jean Coutu de la médecine pourrait être parmi eux. Ceux qui tiennent au système de santé public ont un devoir de lucidité.

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