Chronique

L’idée nue

La chambre de commerce du Montréal métropolitain a lancé une idée pendant les audiences publiques sur l’avenir du centre-ville : construire une télécabine qui relierait le parc Jean-Drapeau au mont Royal, un parcours de quatre kilomètres qui survolerait la ville.

Quand j’ai lu la nouvelle, je me suis dit : encore ? Ce n’est pas la première fois que Montréal jongle avec cette idée, pour ne pas dire cette lubie. Chaque fois, elle est tombée à l’eau. En 2009, l’entreprise Skylink voulait relier le Vieux-Port à Saint-Lambert en passant par le parc Jean-Drapeau, un projet évalué à 100 millions. Montréal a dit non.

En 2012, le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron, y allait aussi de son téléphérique. Il promettait d’en bâtir un entre Montréal et Longueuil s’il était élu maire. Il a été battu par Denis Coderre et le projet est mort de sa belle mort.

Cette fois-ci, c’est la chambre de commerce qui reprend le flambeau. À vue de nez, le projet semble farfelu. Des cabines qui se balancent au-dessus du centre-ville sur une longueur de quatre kilomètres et qui atterrissent au beau milieu de la montagne. Vraiment ? Une télécabine avec des pylônes, des câbles et tout et tout plantée au sommet de la montagne ? Quel sera l’impact ? Faudra-t-il abattre des arbres ? Quelle sera la grosseur de la station ? Où sera-t-elle située ? Est-ce qu’il y aura des espaces de stationnement pour ceux qui voudraient faire le trajet de la montagne vers le parc Jean-Drapeau ?

Le mont Royal est protégé. En 2005, après d’interminables débats, la montagne a enfin obtenu un statut d’arrondissement naturel et historique, la mettant à l’abri des promoteurs qui rêvaient d’y construire des condos. En 2012, ce statut a été renforcé, la montagne est devenue un site patrimonial. Elle n’est pas pour autant à l’abri des projets, car le développement n’est pas gelé, sauf que chaque coup de marteau doit être approuvé par la Ville et le ministre de la Culture.

Qui va payer la télécabine ? Le public ? Le privé ? À combien est évalué le projet ? Quelle est sa faisabilité ? Depuis que l’idée a été lancée, est-ce que des politiciens ou des hommes d’affaires ont manifesté leur intérêt ?

Cette semaine, le président de la chambre, Michel Leblanc, était à Jérusalem avec le maire Denis Coderre. C’est là que je l’ai joint, armée de ma liste de questions.

Il m’a stoppée net dans mon élan. « Je ne suis pas le promoteur ni le défenseur du projet », a-t-il lancé avec une pointe d’exaspération dans la voix.

Il n’a pas de devis, encore moins de plan ou d’études sous le bras. Rien, seulement une idée qui occupe un paragraphe dans un document de sept pages intitulé Réinventer le centre-ville de Montréal pour répondre aux besoins du futur.

Une idée nue, toute nue, sans viande autour de l’os.

Michel Leblanc ne renie pas la paternité de l’idée, mais pour le reste, les coûts, le financement, l’impact sur la montagne et le parc Jean-Drapeau, il n’a pas l’ombre d’une réponse.

– En avez-vous parlé à Denis Coderre ? lui ai-je demandé.

– Non.

Il avait d’autres chats à fouetter. « C’est vous les journalistes qui donnez de l’ampleur à cette affaire-là », m’a-t-il reproché.

Quant aux amis de la montagne, qui se sont battus bec et ongles pour protéger le mont Royal, ils attendent avant de déchirer leur chemise.

« On ne sonne pas l’alarme, car c’est trop embryonnaire et il n’existe aucune étude d’impact, m’a dit la directrice des communications, Hélène Panaïoti. Il est difficile de concevoir comment un tel projet peut se réaliser sans nuire au mont Royal. »

Même attitude attentiste de la part du ministère de la Culture. « Le ministre aura l’occasion d’évaluer le projet dans son ensemble une fois qu’il sera complété et présenté », a précisé l’attaché de presse, Karl Filion.

La montagne en a vu d’autres : des projets de téléphérique, de cabines, d’ascenseurs… À la fin des années 80, le service d’urbanisme de la Ville de Montréal avait même proposé de construire une cabane à sucre, un funiculaire, un centre de ski alpin et une tour d’observation !

Aucun de ces projets n’a vu le jour, Dieu merci.

La montagne doit rester verte et non être grugée par des projets de toutes sortes, incluant les télécabines.

***

J’ai parlé à deux spécialistes, Paul Lewis, doyen de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, et Philippe Pouallaouec-Gonidec, directeur de la Chaire UNESCO en paysage et environnement à l’Université de Montréal.

Paul Lewis trouve que c’est une « bonne idée ». Sa seule réserve : comment « intégrer la télécabine sans nuire à la montagne. C’est peut-être incompatible avec sa vocation patrimoniale ».

M. Pouallaouec-Gonidec, lui, qualifie le projet de très négatif. « On risque de défigurer le mont Royal. C’est seulement un wow pour les touristes. Ce qui me gêne, c’est de faire de la ville un spectacle, un parc d’attractions. C’est un projet de “disneyfication” du paysage. Ça me met très mal à l’aise. On devrait plutôt miser sur les quartiers et développer des parcours de qualité en lien avec le fleuve et la montagne. C’est là-dessus qu’il faut mettre l’accent et non dans un projet fantasque qui n’a rien à voir avec l’âme de Montréal. »

Montréal à la sauce Walt Disney, non merci.

Il conclut en posant une question pertinente : est-ce vraiment utile ?

La réponse tombe sous le sens : non.

Le mont Royal en chiffres 

5 millions de visiteurs par année

7000 immeubles

Une quarantaine d’institutions

1200 propriétaires

Quatre cimetières, juif, portugais, catholique, protestant.

Trois sommets : Outremont, mont Royal, Westmount.

La montagne recoupe quatre arrondissements et une ville, Westmount.

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