Traduire Heather O’Neill

Pour l’auteure et traductrice Dominique Fortier, le recueil de nouvelles La vie rêvée des grille-pain a été un véritable coup de foudre. « Je l’ai lu et relu, c’est un de mes livres préférés des dernières années. »

Après l’avoir découvert il y a quelques années, Dominique Fortier avait insisté il y a un an et demi auprès de son éditeur, Antoine Tanguay, pour qu’il vérifie la disponibilité des droits de traduction du recueil, ainsi que des deux autres romans de Heather O’Neill. À son avis, celle-ci devait être traduite au Québec.

« Heather est d’abord une auteure montréalaise et on sent Montréal dans tous ses textes. Même si elle écrit en anglais, il y a toujours cette présence du français, des personnages qui de temps en temps vont prononcer quelques paroles en français. On sent la cohabitation des deux langues et des deux cultures. » 

« La ville de Montréal finit presque par être un personnage de son œuvre, mais en même temps, c’est une ville qui est transfigurée. »

— Dominique Fortier, traductrice de Heather O’Neill

Par un concours de circonstances « un peu miraculeux », il s’est avéré que seuls les droits de traduction du premier roman de Heather O’Neill, La ballade de Baby, étaient hors d’atteinte.

La vie rêvée des grille-pain a ainsi été choisi pour initier les lecteurs québécois à l’univers de son auteure. « C’est un recueil très diversifié où l’on voit les différentes facettes de son écriture et des thèmes qui l’habitent », estime Dominique Fortier.

« Ce livre, c’est comme des poupées gigognes : on a l’impression qu’on tombe sur quelque chose d’extraordinaire, mais il y a autre chose dedans, et là, on ouvre et il y a une troisième affaire qui se cache à l’intérieur, et on finit par se dire : “Comment elle fait ?” C’est vraiment une magicienne ! »

« Heather O’Neill fait partie de nos très grandes écrivains, toutes langues et tous genres confondus. Le moment où j’ai ouvert Daydreams of Angels [La vie rêvée des grille-pain en anglais] et que j’ai commencé à lire l’histoire de ce tzigane qui n’en est pas vraiment un [la première histoire] a été un vrai choc. C’est cette nouvelle qui m’a fait entrer dans son univers, et je n’en suis jamais ressortie. »

— Dominique Fortier

Le cas de La ballade de Baby

Lorsqu’on évoque le premier roman de Heather O’Neill, le seul à avoir été traduit en français jusqu’à La vie rêvée des grille-pain, on ne pourrait passer sous silence sa traduction « franchouillarde » qui a fait sourciller bon nombre de lecteurs québécois. La ballade de Baby, publié en 2008 en France aux Éditions 10/18, a été écrit pour un lectorat français, souligne Dominique Fortier.

On y retrouve ainsi des personnages qui s’expriment dans un argot parisien et utilisent des expressions comme « putain, sale con, ça caille ! », alors qu’ils évoluent… à Montréal.

« On le sent tout de suite quand ça ne marche pas », affirme la traductrice, qui refuse cependant de qualifier La ballade de Baby de « mauvaise traduction ».

« Retrouver la langue propre au milieu fait une couche en moins entre le lecteur et le texte. Mon travail est d’être le plus transparente possible et de ne pas me placer entre l’auteur et le lecteur. Si le lecteur reconnaît une langue qui lui est familière dans un univers qui lui est familier, c’est plus facile pour lui d’accéder à l’œuvre que s’il doit passer par-dessus une barrière. Et comme la plupart des histoires de Heather se passent à Montréal, c’est important d’avoir une langue et une couleur familières pour les lecteurs québécois. »

Dominique Fortier a donc délibérément choisi d’insérer dans La vie rêvée des grille-pain des québécismes – même des sacres – pour incarner la montréalité de l’œuvre. « C’est un univers tellement particulier, une sorte de réalisme magique dont je n’ai vu d’exemples nulle part ailleurs. Ça se passe à Montréal, mais c’est un Montréal de rêve et de cauchemar, par moments », explique la traductrice.

Après La vie rêvée des grille-pain, Dominique Fortier s’est attelée à la traduction du roman The Lonely Hearts Hotel, paru en anglais cette année et dont la sortie en français est prévue l’an prochain. Suivra celle de The Girl Who Was Saturday Night, qui a été finaliste au prix Giller en 2014. Deux romans à découvrir qui incarnent de nouveau avec magie le Montréal de Heather O’Neill.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.