Opinion Félix-Antoine Joli-Cœur

Hydro-Québec a-t-elle une vision pour la métropole ?

Montréal est en droit d’exiger un peu plus d’amour de la société d’État

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain reçoit aujourd’hui le président-directeur général d’Hydro-Québec.

Éric Martel expliquera comment la société d’État, qui « s’apprête à souligner son 75e anniversaire », se « réinventera et développera de nouveaux modèles d’affaires » pour faire face « à la nouvelle réalité énergétique ».

Je serai curieux d’en apprendre davantage sur son plan pour réaliser l’ambition du gouvernement Legault de faire du Québec la « batterie pour le Nord-Est américain ». Mais je serai également attentif à la vision d’Hydro-Québec pour le Grand Montréal, cette tribune étant toute désignée pour faire partager de telles considérations.

Un géant

Peu importe par quel bout on le prend, force est d’admettre qu’Hydro-Québec est un géant. Septième employeur du Québec, l’entreprise est la colonne vertébrale de l’économie d’ici, les bas tarifs nous prodiguant un avantage concurrentiel certain. La stabilité de l’approvisionnement et les tarifs avantageux auront également su attirer la grande entreprise, par exemple la filière de l’aluminium, qui fait rouler l’économie des régions du Saguenay et du Lac-Saint-Jean.

Même lorsqu’on adopte un regard externe, Hydro-Québec impressionne. La plus grande entreprise de production d’électricité aux États-Unis, Pacific Gas and Electric, dessert 5,2 millions de foyers. C’est à peine 30 % de plus qu’Hydro-Québec, qui se classe facilement parmi les 10 plus grandes entreprises d’électricité en Amérique du Nord, tant en termes de production, de revenus que de bénéfice net.

Hydro-Québec a le mandat de desservir l’ensemble du territoire de la province. Cela ne doit cependant pas nous faire perdre de vue que le Grand Montréal est sa vache à lait, tant à cause du volume des transactions que du faible coût de distribution de l’électricité sur un territoire où la zone de desserte est densément peuplée. 

Ainsi, au risque de me répéter : quel est le plan d’Hydro-Québec pour la région métropolitaine ?

À défaut de le connaître, je propose cinq actions qui pourraient en être les piliers.

La beauté du cadre bâti

La première porte sur la beauté du cadre bâti. Plusieurs quartiers centraux de Montréal se sont développés de façon spectaculaire ces dernières années, attirant aujourd’hui des résidants et des touristes curieux de vivre une expérience urbaine authentique et unique. Lorsqu’on y déambule, la seule chose qui n’a pas évolué est le spectacle des fils électriques qui pendouillent entre les poteaux usés, nuisant de surcroît à la canopée urbaine, les arbres devant être émondés pour ne pas entrer en contact avec les fils.

Dans la ville où aménager une seule intersection par des saillies de trottoirs prend huit semaines, enterrer tout le réseau serait un chantier pharaonique. Une solution plus avisée serait d’avoir comme politique d’enterrer systématiquement les fils lorsque l’occasion s’y prête. L’été dernier, la rue Clark, dans le Mile End, a par exemple été refaite de bord en bord. Il aurait été judicieux de sauter sur l’occasion pour faire disparaître les fils et ainsi contribuer à embellir le coin.

L’électrification des transports

La deuxième action porte sur l’électrification des transports. Il est difficile d’imaginer comment la population urbaine qui réside dans les quartiers denses de Montréal pourra un jour faire la transition vers le véhicule électrique. Un certain nombre de points de recharge ont été aménagés dans les quartiers centraux. Mais ces bornes, dont le design fait penser aux robots qu’on construisait dans nos cours d’initiation à la science plutôt qu’à du mobilier urbain de qualité (comme on en voit aux États-Unis ou à Paris), ne pourra jamais donner l’assurance à une famille qui habite au troisième étage que son véhicule pourra être rechargé.

La solution n’est pas simple. Mais c’est justement parce qu’elle est complexe qu’Hydro-Québec devrait assumer un rôle de leadership pour mettre en place un système qui assure l’accès à la recharge et contribuer ainsi à accélérer la révolution du transport vert. Et dans ce même ordre d’idées, la société d’État devrait adopter un plan pour électrifier son propre parc de véhicules.

Une vitrine pour le transport collectif électrique

La troisième action est de faire de Montréal une vitrine pour le transport collectif électrique. À San Francisco, des trolleybus répartis sur 15 lignes quadrillent la ville. Ces autobus modernes suivent leur parcours en tirant leur énergie de fils aménagés en hauteur. Moins cher que le tramway et moins polluant que l’autobus à diesel, le trolleybus pourrait être déployé à brève échéance sur les parcours les plus achalandés du Grand Montréal. 

Sans être le maître d’œuvre d’un tel réseau, Hydro-Québec devrait appuyer de tout son poids ce genre de projet, par exemple sur le boulevard Pie-IX, dont le chantier, attendu depuis 2002, s’ébranle enfin. À chaque nouveau projet de transport collectif, nous devrions entendre la voix forte d’Hydro-Québec proposant d’innover et d’utiliser des véhicules électriques.

L’appui aux start-up dans le secteur de l’énergie

La quatrième action est l’appui au développement de l’écosystème des start-up dans le secteur de l’énergie. Si l’abandon du moteur-roue, qui annonçait une révolution issue de la R et D d’Hydro-Québec, a laissé un goût amer chez ceux qui souhaitent que la présence d’un géant de l’électricité propulse l’industrie des cleantechs au Québec, la prise de contrôle récente de TM4 par l’acteur américain Dana aura été le clou dans le cercueil. 

Hydro-Québec devrait étudier de près et répliquer le modèle de la Caisse qui, plutôt que de se limiter à son strict rôle d’investisseur institutionnel, a développé les expertises nécessaires pour appuyer les gazelles du Québec.

Montréal

La cinquième et dernière action serait d’affirmer avec plus de fierté la présence d’Hydro-Québec à Montréal. Son siège social, l’un des premiers gratte-ciel de Montréal, semble ne pas avoir été rénové depuis son inauguration. L’immeuble est de surcroît entouré d’un environnement immédiat en décrépitude, l’un des seuls endroits à Montréal où je ne me promènerais pas seul le soir. Corriger la situation s’impose, un peu comme l’ont fait la Caisse, Power Corporation et Vidéotron, permettant la naissance du Quartier International, ou encore la Banque Nationale, qui redéfinira sous peu l’entrée de la ville par Bonaventure.

Les Québécois aiment Hydro, pour reprendre le constat de la dramaturge Christine Beaulieu. Mais les Québécois aiment également Montréal, qui est à son tour en droit d’exiger un peu plus d’amour de la société d’État.

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