DYSLEXIE

Les mots mélangés d’Annie Brocoli

Annie Brocoli a longtemps dansé, chanté, joué la comédie et multiplié les folies pour son jeune public. Dans son univers coloré, une « bête » est toutefois souvent venue miner sa confiance en elle. Dans son récent livre, En mal des mots, elle raconte comment la dyslexie, un trouble d’apprentissage de la lecture, a semé des obstacles sur sa route, mais aussi comment elle a fait d’elle une femme aussi créative et déterminée.

Quel message vouliez-vous surtout livrer en racontant votre parcours avec la dyslexie dans ce livre ?

Ce que j’aimerais, c’est que les gens puissent remplacer le mot « dyslexie » par leur différence à eux. J’ai l’impression qu’à peu près tous ceux qui se sentent différents vivent à peu près la même chose… le même manque de confiance en soi. Je voulais aussi dire qu’il y a aussi des trésors sous toutes les différences !

À plusieurs occasions, malgré ces trésors, vous auriez aimé vivre sans la dyslexie ?

Oh que oui ! À l’école, on est jugé sur ce que l’on fait, alors je n’avais pas beaucoup de réussites. J’étais bonne en musique et je jouais du piano, mais ce n’était pas assez pour me donner des ailes. Puis, dans ma carrière, il y a eu beaucoup de moments où j’aurais tout laissé tomber parce que j’étais épuisée de me battre contre ça. Je ne le disais pas haut et fort que j’étais dyslexique et qu’il y avait des choses difficiles pour moi. Je ne me défendais pas super bien. Je ne disais pas : « Ça, c’est trop pour moi. » Les gens autour ne le réalisaient pas parce que de toute façon, j’y arrivais tout le temps. Et moi, je continuais et je dépassais mes limites. Jusqu’à ce que je doive m’arrêter parce que j’étais trop fatiguée.

Vous avez écrit : « Je cherchais un moyen de mériter ma réussite. » C’est une phrase lourde de sens…

Quand tu ne te sens pas bon en dedans, tu sens que tu dois toujours en faire plus pour mériter ce qui t’arrive. On dirait qu’avant, je n’arrivais pas à penser que j’étais bonne, comme si le vieux manque de confiance en moi qui datait de l’école me revenait. Comme si je me disais : « Ça ne se peut pas que je mérite tout ça ! » Maintenant, je regarde en arrière et j’ai de la compassion pour moi. Je me dis : « Tu as tellement bûché ! Mon doux que tu n’as pas assez savouré… tu n’as pas eu assez de fierté. C’est donc bien triste ! » Je voudrais la prendre dans mes bras, la Annie Brocoli qui a travaillé si fort !

Quel est votre souhait pour ceux qui vont lire le livre et qui vivent avec une différence ou encore qui côtoient quelqu’un comme vous ?

J’espère que les parents qui vont lire le livre vont voir certains traits de leurs enfants qui manquent peut-être de confiance en eux. […] Quand tu sors de l’école, oui, tu as développé plein de trucs, mais ça prend un minimum de confiance en soi dans la vie. J’espère que ça, on va en parler. J’espère qu’on va encore plus aller voir ces enfants pour leur dire : « Oui, tu es différent, mais voici quelles sont tes qualités. Mise là-dessus, et le reste va être tellement plus facile ! » […] Oui, ces enfants différents ont besoin de trucs pour les aider à l’école, mais le cœur… on fait quoi avec leur cœur ? Il faut leur donner une estime d’eux-mêmes, à ces enfants. C’est ça qui change tout ! C’est ça qui fait que tu oses rêver ! 

L’école a été difficile pour vous…

Je me faisais traiter de paresseuse, de fille dans la lune, mais je bûchais plus fort que les autres. C’est comme la plupart des personnes différentes, d’ailleurs. Elles sont plus travaillantes, ce sont des battantes. Est-ce qu’on peut aussi leur donner une base de confiance ? Parce que pour le reste, elles sont toutes là. J’aurais aimé qu’on remarque en quoi j’étais bonne et qu’on pousse là-dessus. Dans le fond, j’aurais aimé ça qu’on détecte comment je me haïssais, comment je me sentais dans le champ gauche. J’aurais aimé qu’on cueille mon cœur.

Qu’est-ce que cette différence vous a apporté et que vous aimez, aujourd’hui ?

Je pense que si je n’avais pas été dyslexique, je n’aurais pas été Annie Brocoli. Je pense que mon imaginaire vient avec ma dyslexie, ou ma dyslexie vient avec mon imaginaire. Si je suis capable de voir en un quart de seconde un « p », un « d », un « q », un « b » dans tous les sens, je fais ça avec toute la vie. Pour moi, il n’y a rien d’immobile ! Je vois quelqu’un marcher et il y a un personnage qui naît dans ma tête. Je ne suis pas super pour écrire, mais cet imaginaire, c’est un cadeau.

Aussi, j’ai appris que dans la vie, les choses n’arrivent pas, ou très rarement, toutes seules. C’était difficile à l’école, alors pour moi, c’est normal de travailler super fort pour arriver à quelque chose. Aussi, quand il y a une barrière sur mon chemin, j’ai appris à tracer ma route autrement.

En mal des mots

Annie Brocoli

Éditions Libre Expression

280 pages

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