Chronique

Trump et nous

À l’antenne de la CBC, la semaine dernière, une journaliste tendait son micro à une brochette de vedettes canadiennes, dont le cinéaste Denis Villeneuve. Elle voulait savoir ce qu’elles pensaient du discours anti-Trump de Meryl Streep aux Golden Globes. La réponse était prévisible. Et comme prévu, tous ont salué le courage de l’actrice, y compris Denis Villeneuve. « Quand on a un aussi grand pouvoir, on doit chercher à unir les gens et non à les diviser », a-t-il lancé en parlant non pas de l’actrice, mais du président.

Aussi vrai que la Terre est ronde, vous n’en trouverez pas beaucoup à Hollywood ni ailleurs pour défendre Donald Trump ces jours-ci.

Idem dans le milieu culturel québécois.

La preuve la plus éloquente est une pièce présentée ces jours-ci à la Cinquième Salle de la Place des Arts : 8 de Mani Soleymanlou, mettant en scène huit acteurs jouant leur propre rôle alors qu’ils cherchent collectivement le sujet de leur pièce.

Appelez ça du théâtre dans le théâtre, un work in progress, une mise en abyme, peu importe. Les acteurs cherchent un sujet, en passent des dizaines en revue et finissent par trouver ce qu’ils cherchent.

Souvent, il suffit d’énoncer ce qu’on ne veut surtout pas faire pour finalement ne faire que ça. C’est ce qui arrivera aux huit acteurs qui jurent ne pas vouloir refaire le coup du party, le thème de leurs deux spectacles précédents. Pourtant, ils se retrouveront tous à nouveau dans un party : le party le plus dépressif de la Terre puisqu’il se déroule le soir des dernières élections américaines.

Nous y voilà : le sujet de 8, c’est en fin de compte Donald Trump, roi et icône (orange) du déclin définitif de l’empire américain.

Je mentirais en affirmant que je n’ai pas ri. Comment ne pas se bidonner en entendant Trump se faire traiter de « douche », de « clown à face de noune », de « grand manitou d’une certaine frange de consommation occidentale indécente » ?

J’ai bien ri et puis, subitement, alors que les huit acteurs n’étaient plus certains s’ils allaient continuer à parler de Trump, Julie Le Breton a proposé sans trop de conviction : « On pourrait faire une pièce sur la vie de René Lévesque. »

Silence parmi ses camarades. Indifférence chez les uns, haussements d’épaules chez les autres et une impression généralisée chez les spectateurs, y compris chez moi, qu’elle venait de faire surgir des boules à « mythes » un concept poussiéreux, plein de toiles d’araignées et appartenant à un autre siècle. Une pièce sur la vie de René Lévesque ? Tellement 1976 !

Or, en même temps que je soupirais d’aise, soulagée qu’on m’épargne une autre leçon d’histoire sur le nationalisme québécois, une évidence m’est tombée dessus et m’a assommée : nous ne sommes plus le sujet de notre dramaturgie, de notre théâtre, de notre culture, en somme. Nous ne sommes à nouveau que des figurants de l’Histoire.

Je vous concède que je généralise. Après tout, 8 n’est qu’une pièce parmi tant d’autres et ne représente pas l’ensemble du théâtre québécois en ce début d’année. Reste que dans l’esprit de ces huit formidables acteurs qui jouent ici leurs propres rôles, le Québec et sa société les inspirent si peu qu’ils ont préféré disparaître chez le voisin américain pour trouver du contenu et de la matière théâtrale.

Vous me direz que Trump est en ce moment un incontournable universel. Qu’il est un personnage de théâtre en soi et que son élection est une authentique tragédie grecque. Dans les circonstances, vu notre proximité avec les USA, il est donc normal que des créateurs sensibles, allumés et engagés aient envie d’explorer ce sujet-là.

Je veux bien, mais Trump n’est pas notre premier ministre ni notre président. Ce que son règne aura comme effet, direct ou indirect, chez nous est difficilement mesurable. Peut-être même que ça ne changera strictement rien à notre vie, à part quelques fluctuations du dollar et de l’économie.

Alors pourquoi « le clown à face de noune » fascine-t-il tant ces huit acteurs, représentatifs d’un certain milieu culturel éclairé ?

Sans doute parce qu’il est le monstre idéal et intégral de l’époque, la cible parfaite, un Bonhomme Sept Heures globalisé qui ne cesse de donner à l’humanité des raisons de le haïr. Mais au-delà de Trump, il y a peut-être aussi que ces artistes ont tellement l’impression qu’il ne se passe plus rien politiquement ni socialement au Québec qu’ils préfèrent se confronter aux cataclysmes américains plutôt qu’à notre sommeil collectif.

Notez que cela n’est pas un jugement de ma part, mais un constat ; un constat déprimant s’il en est un, je vous l’accorde. En même temps, y a-t-il quelque chose de plus facile, de plus prévisible, de plus opportuniste que de se foutre de la gueule de Trump ? Même la grande Meryl Streep a succombé à ce piège à cons, s’attirant l’admiration et les applaudissements de ses semblables, mais sans que cela change quoi que ce soit au cours des choses.

En fin de compte, le plus difficile, ces temps-ci, ce n’est pas de taper sur Trump. C’est de retenir ses railleries et ses sarcasmes, de ne pas sombrer dans l’huile rance du cynisme, de laisser le Bonhomme Sept Heures couler tout seul en gardant espoir, comme l’a si bien dit George Clooney, qu’il fasse malgré tout une job décente et qu’il ne détruise pas tout.

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