Élevage

Lapins des prés

La mode est à l’élevage sur pâturage alors que le bœuf nourri à l’herbe se fait de plus en plus présent sur les menus. Mais les bovins ne sont pas les seuls à profiter d’un retour dans les champs : les lapins aussi, dont la viande est l’une des rares à connaître une croissance significative au Québec.

UN DOSSIER DE VIOLAINE BALLIVY

Herbivores au grand air

Montmagny, — Québec — Bernadette n’est pas un lapin d’élevage comme les autres. Pas seulement parce qu’elle a un prénom, mais plutôt parce qu’elle mange de l’herbe. Elle en a croqué ce matin, hier aussi, et elle en aura demain encore, de l’herbe fraîche, bien verte. Et il en sera ainsi tant que les premiers flocons ne seront pas tombés.

Bernadette est la plus jolie lapine d’un élevage sur pâturage de Montmagny comme il s’en fait encore peu au Québec, où les animaux croissent à l’extérieur et mangent essentiellement ce qui pousse à l’état sauvage sous leur nez, presque comme s’ils étaient en liberté. Un cas rare, puisque l’essentiel de la cuniculture québécoise – et aussi canadienne ou européenne – est de type conventionnel. C’est-à-dire que les lapins sont élevés en cage dans des fermes de taille moyenne à grande surface, souvent sans fenêtres, et nourris surtout de moulée compressée.

« Ce n’est pas mauvais en soi, dit Catherine Dionne, l’un des rares éleveurs de lapins de pâturage de la province et formatrice en la matière.

« Mais pour des raisons de bien-être, le mien et celui des animaux, je préfère nettement l’option d’être “dehors” au grand air, plutôt que dans un bâtiment avec des odeurs de nettoyant. »

— Catherine Dionne

La nature des lapins étant ce qu’elle est, les animaux de Catherine Dionne ne sont pas élevés en liberté et ne le seront jamais tout à fait. « Si on ne met pas de grillage au sol, ils creusent des trous et peuvent s’échapper. » Un fin treillis les protège aussi des assauts répétés des renards et des ratons laveurs. Mais les cages offrent plus d’espace aux lapins que les normes recommandées par le nouveau code de pratique dont l’industrie s’est dotée en 2018, qui vont de 0,062 m2 pour les lapins en engraissement à 0,46 m2 pour les plus grands spécimens, pour une hauteur de 40 cm : il y aura au maximum une mère et sa portée dans un espace au sol de 2,5 m2, pour 60 cm de hauteur.

Les cages ont une forme un peu étrange, avec de grandes poignées d’un côté et de petites roues de l’autre pour faciliter leur déplacement chaque matin, histoire que les petites bêtes aient accès à de l’herbe bien fraîche, bien abondante. « C’est quand même lourd », dit la jeune femme en tirant la dernière cage à bout de bras. Derrière elle, on voit se dessiner dans le champ de larges bandes de gazon rasé, dévoré par les rongeurs qui s’attaquent déjà aux nouvelles brindilles apparues comme par magie sous leurs pieds.

Les cages sont mauves, lilas, vertes, bleues, la belle idée de son père qui vient y étaler ses restants de peinture chaque année, jolies taches sur fond de pré et de forêt orangée. En ce matin d’octobre, les lapins ont commencé à se parer d’une fourrure plus épaisse et chaude pour la saison froide ; ils ne manquent visiblement ni d’appétit ni de nourriture.

Une viande qui a la cote

Catherine Dionne compte une vingtaine de lapines, qui lui permettront de vendre 500 animaux environ cette année, mais elle compte doubler sa production. À une trentaine de kilomètres de là, la ferme La Rafale, de la biologiste Diane Ostiguy, constate aussi un engouement pour ses lapins de pâturage dont elle veut profiter, et les chiffres donnent raison aux deux femmes de miser sur la croissance. La consommation de viande de lapin est bien maigre au Québec, avec un modeste total de 40 g par habitant chaque année (alors qu’en France elle atteint 1,7 kg par an), mais alors que la consommation globale de viande stagne ou régresse, celle de lapin est en croissance marquée, révèlent les documents du ministère de l’Agriculture (MAPAQ). La vente de viande de lapin au Québec a augmenté de 46 % entre 2005 et 2014, ce qui est nettement supérieur aux 6 % enregistrés pour l’ensemble des autres viandes, tandis que la population augmentait de 7 % pendant la même période.

Trop beaux pour la cuisine ?

N’empêche que la mise en marché n’est pas facile, remarquent Diane Ostiguy et Catherine Dionne. La beauté de l’animal est une arme à double tranchant, qui rebute les clients. « Nous devons encore défaire l’idée que c’est une viande compliquée à préparer, ou qu’il faut réserver juste pour les moments de fête », dit Mme Ostiguy. Le professeur de cuisine à l’Institut d’hôtellerie du Québec Richard Desjardins est du même avis.

« C’est une viande très intéressante, riche en protéines, pauvre en matière grasse, et qui peut se préparer aussi rapidement qu’un poulet. Et c’est moins cher qu’on le pense puisqu’il y a très peu de pertes. »

— Le chef Richard Desjardins

Les éleveuses misent sur les produits transformés, comme les pâtés ou les saucisses, pour conquérir plus de clientèle.

La consommation d’herbe a-t-elle un impact sur la chair des lapins ? Difficile à dire, répond Catherine Dionne. Diane Ostiguy leur donne des pommes et croit que la chair en est un peu plus sucrée à l’automne : elle a d’ailleurs entrepris de planter plus d’arbres fruitiers pour ses lapins, qui profiteront en prime de plus d’ombre, l’été. Pascal Hudon, de la boucherie Pascal le boucher, ne vend que les lapins de la fermette La Rafale, mais son choix est surtout motivé par le souci pour le bien-être des animaux, une autre question de goût pour le consommateur.

Bien-être

Le syndicat des producteurs de lapins du Québec a adopté cette année un premier code de pratiques, élaboré de concert avec le Conseil national pour les soins d’élevage, qui dicte la marche à suivre pour assurer un bien-être minimal des animaux. « C’est un grand pas, note Maxime Tessier, vice-président du syndicat. Tout le monde aura enfin les mêmes standards de base. » Si on y parle surtout de l’élevage conventionnel, on y indique que les installations extérieures « offrent une plus grande liberté de mouvement et un environnement plus riche aux lapins ». Au Québec, ce sont surtout des fermes de petite taille – moins de 100 lapines – qui adoptent cette avenue, alors que 90 % des lapins québécois proviennent de fermes plus grandes. L’Union européenne a de son côté adopté, en 2017, un rapport réclamant l’adoption de nouvelles normes minimales en matière d’élevage de lapin qui se prononce en faveur de l’élevage en enclos.

Recette

Lapin à l’indienne

Recette de Richard Desjardins, professeur à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec

Pour 6 à 8 personnes

Ingrédients

1 lapin de 1,8 kg environ

30 ml d’huile végétale

2 oignons hachés

1 gousse d’ail écrasée

45 ml de gingembre haché

7 ml de cumin

7 ml de curcuma moulu

7 ml de coriandre en poudre

15 ml de garam masala

Piment broyé ou sambal oelek, au goût

400 ml de lait de coco

500 ml de tomates fraîches ou en conserve, mondées et coupées en dés

400 ml de yogourt nature

Préparation

1. Couper le lapin en 10 morceaux.

2. Saler le lapin, faire dorer la viande dans une poêle avec l’huile l’olive. Retirer, puis réserver.

3. Dans la même poêle, blondir les oignons avec l’ail et le gingembre en remuant constamment. Ajouter ensuite les épices – en réservant 5 ml de garam masala pour la fin – et cuire à feu doux pendant 2 minutes. Verser le lait de coco, brasser pour bien diffuser les épices.

4. Ajouter les tomates, puis le yogourt. Remettre le lapin dans la casserole avec la sauce, porter doucement à ébullition et laisser frémir à couvert pour 40 minutes environ.

5. Ajouter le reste du garam masala et poursuivre la cuisson à découvert pendant 10 minutes, jusqu’à cuisson complète du lapin.

6. Servir avec un riz parfumé au jasmin ou un riz basmati.

Le conseil du chef

La recette produira plus de sauce qu’il n’en faut. Mais elle se congèle très bien : on pourra ensuite la servir avec des crevettes vapeur, du tofu ou du poulet grillé ou un pavé de saumon.

À boire avec le lapin

Chardonnay d’Oregon

Lait de coco, curcuma, garam masala et yogourt, les ingrédients de cette recette se marieront à merveille avec un blanc à base de chardonnay élevé en barrique. Pour changer des classiques français, cap sur l’Oregon. Les vins américains ont tendance à être trop chers. Celui-ci vaut son prix. Cette cuvée 2017 du domaine Loubejac est vinifié à la fois en cuves d’acier inoxydable et en fûts de chêne… par un Français, Laurent Montalieu, établi dans la vallée de Willamette. Le vin s’ouvre sur des notes de melon, de poire, d’acacia et de fumée. Sa texture en bouche est ronde, presque grasse, mais elle n’est pas lourde. L’acidité perdure de l’attaque à la finale. Magnifique !

Domaine Loubejac Chardonnay 2017 23,95 $ (13003201)

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