Analyse

L’hypocrisie derrière les logements délabrés

Annuellement, les journaux font état des logements insalubres à Montréal. On y voit des propriétaires négligents, de la moisissure et des logements délabrés. Pourtant, d’un point de vue purement économique, on joue collectivement à un jeu très hypocrite. La réglementation en place met à mort la logique économique de l’entretien des logements.

C’est un véritable « trip à trois » incohérent qui se joue entre la Commission de la construction du Québec, la Régie du logement et les autorités fiscales et réglementaires. À force de vouloir protéger tout le monde, on encourage les mauvais comportements.

Les règles non permissives de la Commission de la construction du Québec

Pour ceux qui ne connaissent pas la loi R-20 et qui auraient l’intention d’acheter un multiplex à rénover, il faut faire attention. Même avec un peu de jugement, mais surtout des aptitudes pour faire les travaux, un propriétaire ne pourra pas rénover ses logements lui-même. Bien souvent, selon la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (loi R-20), un propriétaire n’a pas le droit de s’occuper des travaux significatifs chez son locataire ou sur les parties communes de l’immeuble. Il faut engager une main-d’œuvre syndiquée selon les normes de la Commission de la construction du Québec (CCQ) et un entrepreneur titulaire d’une licence de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ).

Les conséquences ? Techniquement, il faudrait engager des employés avec plusieurs formations pour effectuer démolition, menuiserie, plomberie, électricité, carrelage, peinture, etc. Finalement, avec les diverses charges sociales, les jours fériés, les frais de gestion de l’entrepreneur et les taxes, les salaires horaires refilés aux clients frôlent la folie. 

Le locataire ne reçoit pas la facture

Les règles de la Régie du logement veulent, avec raison, protéger le locataire des propriétaires abusifs. Par contre, elles viennent détruire la capacité du propriétaire de voir quelconque avantage économique à entretenir ses logements.

Prenons un triplex avec trois logements identiques à 900 $ par mois. Avec des rénovations majeures dans un logement qui coûteraient 50 000 $, le calculateur 2017 de la Régie du logement estime que pour ces travaux spécifiques, le propriétaire peut augmenter son loyer de 2,4 % de la somme totale. Cela donne 1200 $ par année.

En faisant un calcul grossier, on comprend qu’il faudrait plus de 40 ans au propriétaire pour avoir un retour sur investissement. Ce délai serait réduit en tenant compte de l’amortissement fiscal des travaux. Par contre, à la revente, il y aurait possiblement de la récupération d’amortissement imposable à 100 %. 

De plus, il ne faut pas oublier que durant cette période, les 50 000 $ ont généré un évident coût de renonciation (l’argent qu’on aurait pu faire ailleurs) et possiblement des intérêts en frais de financement déductibles.

Des conséquences évidentes

Avec de telles conditions de marché, on se retrouve avec ces constats : le propriétaire retiendra au minimum son investissement et le locataire continuera à se retrouver devant des logements vétustes. De leur côté, les travailleurs de la construction seront aux prises avec un marché plus faible sur le plan de la demande pour leurs services. 

Le corollaire ? Les conditions pour le travail au noir sont favorisées. Si bien qu’on endure de voir une personne déclarer 1000 heures de travail par année, demander du chômage récurrent et le délabrement de notre parc immobilier résidentiel. Dans un même esprit, les immeubles de condos récents finiront par vivre, comme leurs prédécesseurs, un déficit d’entretien.

La Régie du bâtiment du Québec existe pour assurer la qualité professionnelle des travaux. Pourtant, il n’y a pas d’inspection systématique des chantiers des entrepreneurs. Les règles imposées par l’industrie répondent-elles à la capacité de payer du client et à un équilibre de marché ou seulement à l’indexation des frais d’un protectionnisme réglementaire ? Faut-il être surpris que nos immeubles résidentiels et publics tombent en ruine ? À force de ne pas analyser les règles du jeu, on ne devrait pas se demander pourquoi le système ne tourne pas rond. Le propriétaire se retrouve devant un faux dilemme : subventionner, tricher ou négliger ses locataires. Vive l’hypocrisie du marteau !

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