Opinion Marc Séguin

Histoire de potager

Le potager déborde. Une belle année. Plantureuse. Est-ce qu’on peut encore dire plantureuse sans se faire lyncher ? Est-ce qu’on peut encore utiliser le verbe lyncher ?

Le potager donc. Tenez bon jusqu’à la fin, parce qu’avec l’abondance de tomates et de concombres, cette chronique offrira aussi deux recettes extraordinaires.

Tous ces légumes, c’est aussi le résultat du travail en amont : des dizaines d’heures, agenouillé, à désherber. Mai, juin, juillet. Désherber, c’est enlever la mauvaise herbe et les nuisibles, ceux qui prennent le jus des autres. Ceux qui volent l’espace. Ceux qui empêchent. Vous me voyez venir ?

Tout était planté début mai. Tous les mois qui suivent sont remplis d’espoirs et de travail. C’est long à mort désherber. Moi, ça fait du bien à ma tête. Et j’ai un vrai plaisir à arracher la mauvaise herbe.

Y a jamais une année parfaite. Tous les gens qui travaillent la terre vous le diront. Ça n’arrive jamais, une abondance parfaite. Surtout dans la diversité. L’année dernière, à cause des pluies torrentielles et abondantes, une seule tomate a réussi à mûrir. Mais les oignons en ont profité. Les pois et les fèves aussi. Cette année, tous les plants de tomates ploient sous les fruits. Jamais vu autant. Les concombres aussi. Les crucifères (chou, chou-fleur, brocoli, radis, choux de Bruxelles) eux, ont de la misère. Mais les allées et les planches sont exemptes de nuisibles. Nettoyées.

La mauvaise herbe doit être contrôlée. Et plus tôt que tard. Parce que vient un temps (le mois d’août) où ça ralentit. Vous me voyez venir.

J’ai suivi, un peu à distance, le feuilleton de la liberté d’expression cet été. Surtout celui de la liberté de création. J’ai été étonné de la force avec laquelle on l’a défendue. Heureusement, on s’entend. Ça fait plaisir à lire, et à savoir que c’est bien gardé.

Je rappelle ici que les artistes, en grande majorité, sont habitués de se faire dire non. De ramer à contre-courant toute leur vie. Et de faire des demandes éternelles de subventions, avec toutes les politesses d’usage ; parfois, souvent hypocrites un peu, parce qu’on sait ce que la rectitude administrative demande. On met de belles intentions, de beaux mots, des promesses.

Là, ce qui étonne le plus, c’est la peur qui va venir avec la suite. Les organismes subventionnaires ont tellement la chienne qu’ils vont policer leurs critères jusqu’au risque zéro.

On l’a vu avec l’agriculture et son ministère : tolérance zéro pour le risque sanitaire. Et ça banalise le goût, et ça écrase la fierté des gens qui ont des idées. Les artistes doivent prendre des risques et forcer l’ordre. C’est leur nature. On ne doit pas en faire des singes de cirque.

J’ai beaucoup plus peur des politiques officielles que des gens qui chialent. Les gens qui chialent et crient à l’injustice et à l’appropriation, c’est comme la mauvaise herbe ; faut arracher ça tout de suite. On doit résister. Ne pas céder. Et continuer de nommer les choses et faire l’art sans les compromis de la peur. Faudra que le ressac soit aussi politiquement incorrect. Et fort.

Suis convaincu qu’on va se trouver ridicules, dans pas long, d’avoir voulu laver plus blanc que blanc. C’est un pendule. Entre le risque et la peur. Les deux forment notre identité.

Sans balancer et foutre l’histoire en l’air, il est dangereux de faire du protectionnisme d’idées et de valeurs. L’histoire n’est pas cloisonnée qu’aux victimes. Quand je regarde des vieux westerns avec des cowboys et des Indiens, je suis en mesure (même mes jeunes enfants) de comprendre le ridicule de la situation. C’est aussi comme ça qu’on avance ; par une prise de conscience naturelle. Quand on la force, comme dans les cas de cet été, on nourrit un ressentiment dont il sera difficile de se départir. Je ne vous dis pas tout ce que les gens pensent tout bas… Et c’est malsain.

L’an dernier, on a eu, une artiste inuite et moi, à se battre pour faire avaliser un projet par une grande institution. L’organisme a une politique rigide. Des ordres venus du plus haut. Parce qu’on veut bien paraître, et réparer. Motivé par une culpabilité, certainement justifiée et justifiable, on marche sur des œufs. Parfois des œufs pourris aussi. On a finalement eu le O.K. de l’institution quand mon amie s’est fâchée et a dit : « Vous allez priver une Inuite de faire un projet parce qu’il y a un Blanc dans le projet avec qui je veux travailler ? »

Hé… hé… J’ai souri très fort.

Je vais tenter, sans gants blancs, de dire ce qui est malheureusement aussi en train de se passer. Il y a en ce moment une loterie morale. On met beaucoup d’efforts et d’espoirs, pour se dédouaner de l’histoire, à souhaiter plus que tout au monde qu’un artiste des Premières Nations (ou issu d’une minorité) réussisse à l’international. On sera si fier à Ottawa et à Québec, de claironner que notre système marche. On se sentira affranchi de cette culpabilité. Et hop ! on sortira les flûtes, les petits fours et les tam-tams, en se félicitant. Ce serait une erreur ; parce qu’on se contentera de ce gagnant, on en fera un drapeau qui fera de l’ombre aux autres.

L’effort doit venir d’ailleurs. On doit comprendre que les créateurs et l’art n’ont pas vraiment d’origines. On vit dorénavant dans le même monde.

Faudra-t-il interdire aux Indiens et aux Esquimaux (je fais exprès ici…) de parler des Blancs dans leurs œuvres ?

Parce qu’on y perd tous, quand on laisse les pissous gouverner. On ne le sait que trop bien ici.

Bon, je retourne au potager. Voici les recettes promises en amont : tomates mûres, tranches de pain, un toaster, de la mayo, sel et poivre. Ça goûte le ciel (dirait sœur Angèle). Ça s’appelle sandwich aux tomates. Comme dans l’expression « une sandwich », même si c’est masculin.

Et celle-ci, je vous jure, absolument extraordinaire (sans cynisme) : des concombres découpés, du sel, du poivre et de la crème, 10 %, 15 % ou 35 % (selon votre tolérance au risque). Juste quelques cuillères de crème pour teinter les tranches de concombres. Pas besoin d’intellectualiser ce bonheur.

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