Chronique

J’ai arrêté de boire

C’est la patronne de la section Pause qui m’a offert de participer au Défi 28 jours de la Fondation Jean Lapointe, pour que j’y trouve de l’engrais à chronique. Le Défi, vous le savez sans doute, prône l’abstinence. Pas d’alcool pendant tout le mois de février.

But, selon le site web de la Fondation : « Sensibiliser les gens sur la place que l’alcool prend dans leur vie. » Les gens qui choisissent de participer sont invités à s’inscrire sur le site web de la Fondation, à lui faire un don – 28 $, minimum – et, boum, c’est parti.

C’est ce que je voulais vous dire : j’ai commencé le Défi 28 jours de la Fondation le lundi 1er février à minuit.

Et j’ai arrêté de boire… pendant 19 heures et 12 minutes.

Car lundi soir, le 1er février, j’ai pris une bière avant de souper. Et jeudi, après l’enregistrement de Deux hommes en or, j’ai pris une autre bière. Vendredi, trois verres de vin. Samedi, quelques verres de vin, parce que je bois toujours quelques verres quand je vais visiter mon ami André, au chalet. Je dis « quelques » verres de vin, mais j’ignore combien de verres. Quatre, cinq ?

Quelque chose comme ça. Je n’ai pas compté.

L’ironie, c’est que la semaine passée fut pour moi une semaine exceptionnelle en matière de consommation d’alcool : d’habitude, je ne bois pas si souvent. Je ne bois pas souvent et quand je bois, encore là, je bois peu. Aucun mérite, je n’ai pas de tolérance à l’alcool, après trois verres de vin, je cogne des clous. Sans compter que je déteste avoir mal aux cheveux quand je me réveille, I am getting too old for this shit, dirait Danny Glover. En deux mots, dans un party, je suis plate en ta…

Bref, disais-je, j’ai tenu 19 heures et quelques minutes dans ce Défi 28 jours qui vise à faire prendre conscience de la place qu’occupe l’alcool dans nos vies. Noble, utile mission : l’alcool occupe beaucoup de place dans nos vies, je ne veux ni ne vais banaliser cela. L’alcool est la plus socialement acceptée des drogues.

Reste que je me suis senti coupable toute la semaine, à chaque verre commandé et bu. Coupable parce que j’étais censé être en train d’explorer les profondeurs de ma relation avec l’alcool pour cette chronique, sur fond de ce Défi 28 jours. J’ai plongé et, maintenant que je remonte à la surface, une semaine plus tard, voici ce que je peux vous dire : j’ai une relation saine avec l’alcool.

Point.

Après une semaine, je me rends à l’évidence : ma relation avec l’alcool ne fera pas une très bonne série de chroniques. Je vois le Défi 28 jours comme ces campagnes de sensibilisation d’Éduc’alcool qui commencent à irriter mon collègue François Cardinal : comme autant d’occasions de parler des périls de l’alcool. Un mal nécessaire, si on veut.

J’ai même fait un don pour le Défi, dont l’objectif de financement est de 200 000 $ qui serviront à sensibiliser 55 000 ados de 12 à 14 ans aux risques de la consommation de drogue et d’alcool. Noble, essentielle mission, car avoir une dépendance est un des plus formidables obstacles à une vie épanouie. Mais je dois vous le confesser : je ne comprends pas pourquoi des gens qui ont une relation sans pépins avec l’alcool – j’en connais plein – font cet effort d’abstinence… Que j’ai accepté de faire, pour un total de 19 heures.

Sur le site web de la Fondation Jean Lapointe, des gens ayant décidé de relever le Défi expliquent pourquoi ils le font. Quelques-uns disent le faire pour la jeunesse, pour leurs enfants. Fort bien, ça ne peut sûrement pas nuire, même si je ne vois pas trop en quoi un parent qui s’abstient pendant 28 jours enverra un message à son enfant sur l’alcool…

Les parents le savent : il y a les mots, et il y a l’exemple. J’ai compris ça le jour où mon fils a échappé un gros mot d’église : Mais où as-tu pris ça, petit chenapan ? !, lui ai-je prestement demandé en regardant dans le rétroviseur, tout en me soufflant moi-même la réponse dans ma tête : De ta bouche, tata. Ce jour-là, j’ai commencé à cesser de sacrer devant lui, autant que faire se peut, parce que l’exemple est le meilleur guide qui soit.

L’alcool, pareil…

C’est simple : jamais il ne me verra ivre. Un peu pompette, oui, mais j’insiste sur le « un peu ». Plus que ça, même un peu saoul, non, jamais.

Bien sûr que je vais lui parler d’alcool, de cette saloperie de dépendance qu’on peut développer. Sauf que si je lui parle des daaaaaaangeeeeeers de l’alcool, mais que je ne peux pas aller lui shooter des balles dans la ruelle le dimanche matin parce que j’ai mal aux cheveux à force d’avoir trop bu, à quoi ça sert, les mots ?

En décembre, juste avant Noël, je suis allé souper au resto de mon ami Yvon, et comme c’était Noël, il a ouvert une deuxième bouteille. Ok, mais je vais prendre un taxi, lui ai-je annoncé, parce qu’à la seconde où j’ai un doute, je me dis que ce doute est le meilleur baromètre de ma capacité de conduire. Réponse d’Yvon : Tu prendras Nez rouge.

Nez rouge ! Ben oui, ça existe, Nez rouge ! Ça faisait des années que je n’avais pas pris Nez rouge, j’en avais quasiment oublié son existence…

À la fin du souper, on a donc appelé Nez rouge et quand les deux jeunes adultes bénévoles sont arrivés, je vous jure que j’étais correct-pour-conduire. Mais j’ai quand même remis mes clés au duo dynamique parce que je-n’ai-pas-voulu-prendre-de-chances et parce que Claude Dubois occupe déjà le créneau de l’alcool-au-volant-avec-enfant(s)-dans-le-char avec un panache inimitable.

En marchant vers le bazou, à la remorque des deux bénévoles, l’héritier m’a demandé : 

— Pourquoi ils vont conduire ton auto, papa ?

— Parce que j’ai bu.

Point.

C’est le Défi que je me lance : lui montrer par l’exemple qu’on peut boire sans être un con.

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