Témoignage Réussite scolaire

« Vous serez ce que vous désirez être »

« Monsieur, c’est quoi le palmarès des écoles ? À quoi ça sert ? »

Je regarde Félix, visiblement sérieux. Plusieurs de ses camarades, avides de connaître la réponse, me regardent.

« Vous voulez connaître la vérité ? Ou vous désirez vraiment savoir ce que j’en pense ? »

Une étincelle s’allume dans leurs yeux. En quelques secondes, je viens d’abattre la frontière entre le cadre scolaire et la vie personnelle.

« Très bien. Assoyez-vous, je vais vous dire à quoi sert ce palmarès. Écoutez bien… »

Excités par la vérité que je m’apprête à leur révéler, mes 28 jeunes se dépêchent de regagner leur place. Pendant que moi, nerveux, je tente de trouver les bons mots pour exprimer comment je me sens. De trouver les bons mots qui changeront leur vie.

La séparation des bons des mauvais.

Quand j’étais enfant, il y a longtemps, on distinguait les forts des faibles par le programme du bilinguisme. En sixième année, si tu avais de bonnes notes, on t’offrait la chance de passer la moitié de l’année en anglais. Cela avait évidemment pour but de t’ouvrir les portes sur le monde.

« Est-ce que vous y avez été ? me demande une élève. »

Non. Quelqu’un, quelque part, a déterminé que je n’étais pas assez fort pour participer à ce programme. J’ai alors compris que je n’étais pas assez bon. En sixième année, j’ai travaillé plus fort, car c’est ce qu’on m’a appris. Si tu travailles fort, tu iras loin.

Et j’ai réussi. Arrivé au secondaire, j’ai été accepté dans les classes enrichies. J’étais tellement fier.

Très exigeants, les enseignants répétaient sans cesse que nous étions les meilleurs de l’école. La plupart de mes amis étaient quant à eux dans des classes ordinaires. Certains de mes camarades de classe les regardaient avec mépris, les dénigrant.

J’ai fini par détester aller à l’école.

En troisième secondaire, je suis retourné au régulier. La démotivation était au plus bas. J’avais l’impression que les enseignants nous traitaient comme si nous étions des moins que rien. En quatrième secondaire, à la suite de plusieurs incidents d’intimidation, j’ai tout simplement décidé d’abandonner. J’ai lâché l’école.

« HEIN ? Mais vous êtes prof aujourd’hui ! »

C’est exact. Je suis prof aujourd’hui.

Je suis retourné sur les bancs d’école. Ma première motivation a été une phrase de ma cousine. Elle m’a dit : « Tu vois, tu n’es pas mieux que nous, au fond ! »

La majorité des membres de ma famille n’ont pas terminé leur scolarité. J’étais bien déterminé à leur prouver le contraire.

J’ai fait mon entrée à l’école Eulalie-Durocher, souvent une des écoles les moins bien cotées dans le palmarès scolaire, où j’ai terminé mes études et finalement obtenu mon diplôme.

Je suis entré en sciences humaines au cégep du Vieux Montréal, l’un des cégeps les moins réputés. Les plus belles années de ma vie. J’avais l’impression que tout, TOUT était possible.

J’y ai rencontré les enseignants les plus extraordinaires et les plus bienveillants de tout mon parcours scolaire.

Et un jour, après une présentation orale, l’un d’eux m’a dit : 

« Marc, qu’est-ce que tu veux faire après ton DEC ?

— Je veux entrer en science politique. Je veux changer le monde !

Malgré le sérieux et l’idéalisme presque utopique avec lequel je m’étais exprimé, il n’a pas bronché.

— Il y a d’autres façons de changer le monde. Que dirais-tu d’être prof au secondaire ?

— Prof au secondaire ! ? Mais j’ai tellement haï mon secondaire !

— Eh bien, justement. C’est pour ça que tu seras un bon prof. »

À ce moment de mon récit, je pris une pause et regardai mes élèves à tour de rôle. Comprenaient-ils le message que je désirais leur transmettre ? Je l’espérais de tout mon cœur.

Rien dans ma vie ne me prédestinait à être enseignant de français, et encore moins à être auteur de roman jeunesse. Je suis né dans un quartier pas très riche de l’est de Montréal, d’une mère monoparentale qui avait de la difficulté à joindre les deux bouts. J’ai dû avoir l’aide d’un prêt pour payer mes études universitaires. Et je peux vous garantir que je n’avais aucun cellulaire, aucune voiture et que je ne partais jamais en voyage.

J’aimerais tellement que vous saisissiez ce que je suis en train de vous expliquer.

Votre passé ne détermine pas ce que vous ferez de votre futur.

Le quartier dans lequel vous avez grandi ne détermine pas où vous habiterez dans 10 ans.

L’école, ou le programme, que ce soit l’alternatif, le PEI et j’en passe, que vous fréquentez en ce moment ne vous donnera pas un meilleur emploi dans l’avenir.

Vous êtes et vous serez ce que vous désirez être. Vous serez le résultat de votre travail et de vos efforts.

Vous obtiendrez ce que vous pensez mériter. Et personnellement, je pense que chaque personne ici, dans cette classe, a le potentiel d’aller très loin dans la vie.

Même si vous n’êtes qu’au régulier.

C’est ce que je tente de vous enseigner, avec bienveillance, jour après jour.

Cours après cours.

Alors, maintenant, vous me demandez ce qu’est le palmarès scolaire ?

Une illusion.

Et à quoi sert-il ?

À diviser.

* Marc Desrochers a également écrit une trilogie jeunesse, Chronos, publiée aux Éditions Michel Quintin

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