Déclarations sur les bibliothèques scolaires

« Un enfant n’a jamais assez de livres », répond Couillard à son ministre

Après avoir déclaré que les commissions scolaires devaient sabrer leur budget consacré à l’achat de nouveaux livres dans le contexte des restrictions budgétaires, le ministre de l’Éducation Yves Bolduc a été critiqué de toutes parts, hier. Même son propre chef, le premier ministre Philippe Couillard, l’a contredit sur ce point.

« Un enfant n’a jamais assez de livres. C’est important d’avoir un accès facile à la lecture, car c’est une stimulation constante pour mieux connaître la langue. C’est vrai que les commissions scolaires doivent faire des choix, mais entre nous, je pense que d’autres choix peuvent être faits », a dit le premier ministre en point de presse.

Le Devoir a publié un article, hier, dans lequel Yves Bolduc affirmait que l’achat de nouveaux livres n’était pas nécessaire pour plusieurs écoles. « Il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça et qui va s’empêcher de lire, parce qu’il existe déjà des livres [dans les bibliothèques]. J’aime mieux que les commissions scolaires achètent moins de livres. Nos bibliothèques sont déjà bien équipées », a déclaré le ministre au quotidien.

Ses propos ont aussitôt déclenché une vague de critiques. Enseignants et bibliothécaires ont été unanimes : le ministre de l’Éducation connaît mal la réalité de plusieurs écoles publiques du Québec, ont-ils expliqué à La Presse.

« On est complètement abasourdis. Je pense qu’il a seulement en tête les bibliothèques des écoles privées. Il ne connaît strictement rien à la réalité des écoles publiques. »

— Johanne Pomerleau, présidente de la Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec (FPPE-CSQ)

Son syndicat a publié l’an dernier une étude approfondie dans laquelle on sonnait l’alarme eu égard aux besoins criants des bibliothèques scolaires. Lorsque Yves Bolduc a été nommé ministre en avril dernier, Mme Pomerleau affirme avoir sollicité une rencontre avec lui pour lui exposer cette problématique et plusieurs autres dossiers. La réponse lui est finalement arrivée en juillet dernier : le ministre n’avait pas de temps à lui consacrer.

« Dans les milieux défavorisés, la bibliothèque est souvent le seul endroit où les enfants ont accès à des livres. Mais les ouvrages sont parfois si désuets qu’ils deviennent complètement inintéressants. Pourtant, toutes les études prouvent que la lecture est l’un des facteurs les plus importants contre le décrochage scolaire. Il faut investir davantage », a martelé Mme Pomerleau, visiblement contrariée.

URSS ET REFROIDISSEMENT CLIMATIQUE

Dans le cadre d’une récente recension des livres à la disposition des élèves d’une école de l’arrondissement de Verdun, à Montréal, le bibliothécaire Alban Berson a retiré de nombreux titres. Certains étaient complètement désuets. Ainsi, un ouvrage publié en 1986 présentait l’Union soviétique comme un pays.

Dans un autre livre, des scientifiques craignaient même que la Terre ne se refroidisse. Date de publication : 1974.

« Au départ, mon critère était de sortir de la bibliothèque tous les ouvrages publiés avant 1995, mais je me suis rapidement rendu compte que je ne pouvais pas, sans quoi il n’y aurait plus de livres. »

— Alban Berson, responsable de la promotion de la lecture à la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys

Dans cette petite bibliothèque située au sous-sol de l’école, qui sert aussi de vestiaire pour enfants, une classe de taille régulière peut s’y rendre tous les jours pour assister à des activités de lecture. Lorsque La Presse l’a visitée, les rayons présentaient peu de choix, mais la situation était déjà bien mieux que dans d’autres écoles primaires de la grande région montréalaise, a affirmé le bibliothécaire.

« Tout le monde à la commission scolaire, tant la direction que les enseignants et les parents bénévoles, s’efforce d’offrir aux enfants un accès à la lecture. Mais parfois, il n’y a pas de bibliothèques. Quand c’est le cas, on passe des caisses qui contiennent des livres. Mais ce n’est pas l’idéal. Une bibliothèque n’est pas qu’un présentoir. C’est un milieu de vie », a dit M. Berson.

« Ce que je trouve désolant [dans les propos d’Yves Bolduc], c’est l’expression que les enfants ne vont pas “mourir” sans nouveaux livres. Quel argument ! Si on supprime tous les enseignants, les enfants ne mourront pas non plus. Si on supprime l’école, les enfants ne mourront pas. Et si on supprime les livres, ils ne mourront pas. En effet. Mais ils finiront par mourir, un jour, tout simplement idiots », s’est désolé le bibliothécaire.

LES PARTIS DE L’OPPOSITION ET LES ENSEIGNANTS EN COLÈRE

À Québec, les partis de l’opposition ont vivement réagi aux propos du ministre Bolduc. Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec ont de nouveau réclamé sa démission.

Selon Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAQ) – un syndicat qui représente 32 000 enseignants dans la province –, la qualité des bibliothèques scolaires et du réseau des écoles publiques s’est détériorée au fil des ans, tous gouvernements confondus.

« Les ministres se succèdent et imposent des compressions. Cette fois-ci, quand [Yves Bolduc] affirme que les restrictions budgétaires ne toucheront pas les services aux élèves, on a la preuve du contraire », a affirmé M. Mallette.

Le ministère de l’Éducation a récemment élaboré une nouvelle politique. Alors que le budget était auparavant divisé par sections, une seule enveloppe est désormais remise aux commissions scolaires pour l’ensemble des mesures d’appui comme les bibliothèques, l’aide aux devoirs et d’autres services. À elles maintenant de répartir les ressources qui leur sont allouées.

« Les sommes sont diminuées et on dit maintenant aux commissions scolaires : “Allez, battez-vous. Je réduis l’argent disponible, battez-vous pour avoir des services” », a expliqué le président de la FAE, interpellant au passage le premier ministre Philippe Couillard pour qu’il soustraie le réseau de l’éducation aux présentes restrictions budgétaires.

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