Analyse

Aveuglement volontaire et distorsion fiscale

La fiscalité n’est pas toujours un jeu très juste. Dépendant de sa perception des règles, on y voit certaines distorsions. Malgré tout, le principe de l’impôt progressif est compris par la majorité : plus on a d’argent, plus on a de la facilité à combler ses besoins de base. Si ce système présente des incongruités, la fraude fiscale vient carrément le rendre injuste, voire tordu.

Déboulonnons certaines idées qui nous amènent à justifier, tolérer et banaliser la fraude fiscale. Que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre. Malgré tout, vivre ce déni collectif a ses conséquences : nous sommes notre propre bourreau.

Payer 50 % d’impôts

Beaucoup de Québécois ne savent pas lire leur relevé de paie. De nombreux contribuables affirment payer 50 % d’impôts, alors que très peu d’entre eux peuvent se vanter le faire sur le prochain dollar gagné. Le meilleur exemple d’incompréhension est la contribution au Régime des rentes du Québec : cette retenue à la source réduit le salaire accessible par paie, mais c’est de l’épargne forcée, pas de l’impôt. La Chaire en fiscalité et en finances publiques démontre dans son bilan 2016 que c’est à partir de 140 388 $ que le dollar marginal génère une perception de 50 % d’impôt au Québec et c’est au seuil de 202 080 $ que l’on tombe à 53,3 %.

Le REEE et le CELI sont des mesures « pour les riches »

Bien que le prof Léo-Paul Lauzon l’ait encore écrit récemment dans un article, cette affirmation est malhonnête intellectuellement. Par exemple, un contribuable qui bénéficie d’un régime de retraite de l’employeur voit sa contribution déductible. Le REER et sa déduction ne servent qu’à équilibrer la justice fiscale pour les contribuables sans régime de retraite. Évidemment, plus on a un revenu élevé, plus la déduction est payante.

Le CELI permet de placer de l’épargne à l’abri de l’impôt. C’est un outil souvent plus utile que le REER pour les moins nantis à cause de leur faible taux d’imposition.

Retourner l’argent au système

On m’écrit souvent que l’argent du travail au noir finit par se retrouver un jour ou l’autre dans l’économie légale, donc que la fraude paraît sans conséquence. Prenons l’exemple ultime : pendant deux ans, tous les Québécois seraient payés au noir. Pas de revenus pour l’État pour payer les mesures d’aide, les travaux routiers, les hôpitaux, les écoles, etc. Sommes-nous dans le trouble ? Oui. Pourtant, cet argent retournerait ultimement dans le système. Cet exemple montre que cet argument est sans logique. Ne pas déclarer une partie de ses revenus, c’est en quelque sorte demander à ses voisins de payer la route, mais de l’utiliser en resquilleur.

Les sociétés ne payent pas assez d’impôt

Il est vrai que la compétition fiscale mondiale a généré un comportement illogique : les États ont baissé les impôts des sociétés pour attirer leur attention. Ainsi, de 2006 à 2016, le taux d’imposition des sociétés au Québec est passé de 32 % à 26,9 %. Dans un monde où beaucoup de citoyens sont éventuellement bénéficiaires de revenus de placements, que ce soit par le Régime de rentes du Québec ou une autre source de retraite, nous sommes ultimement des actionnaires qui profitent des bénéfices nets de sociétés. Par contre, il est vrai que cette baisse d’impôt des sociétés permet de décaler l’imposition dans le temps en reportant le gain en capital à la vente des actions et l’imposition des dividendes au moment du versement.

La majorité des contribuables ne gagne pas 50 000 $

Cette affirmation est vraie. La Chaire en fiscalité et en finances publiques démontre dans son bilan 2016 que 75 % des contribuables ont déclaré un revenu sous la barre des 50 000 $ en 2013. Aussi, 70 % des impôts sur le revenu au Québec seraient payés par 20 % des contribuables. La fraude fiscale fausse évidemment cette statistique. Parmi ceux qui sont incités à frauder, on compte les « petits fournisseurs » enclins à déclarer des revenus de moins de 30 000 $ pour ne pas prélever de TPS et TVQ à leurs clients et ainsi offrir un prix avantageux au client et gérer ce qui est déclaré ou non. Aussi, en 2016, un contribuable gagnant 42 000 $ avait un taux marginal de 28,5 %, mais se retrouvait avec un taux de 37,1 % s’il avait une augmentation d’un peu moins de 4000 $.

Incidences sur le filet social

Notre système fiscal redistribue une portion des perceptions. Plus on fraude, plus on peut du même coup recevoir des contributions gouvernementales. En ce sens, l’Allocation canadienne pour enfant sera plus élevée, la garderie subventionnée coûtera moins cher aux parents, etc.

La morale du contribuable est très élastique et sa compréhension limitée. Nous sommes tous humains. Chose certaine, notre manque de ressources financières collectives est peut-être causé par la somme de nos évitements individuels, peu importe notre revenu. De cet angle, l’indignation est un sentiment à géométrie variable.

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