Travail de rue

Des organismes bientôt forcés de fermer leurs portes

Marie-Josée a commencé à côtoyer les travailleurs de rue quand elle avait 16 ans. Dépendante aux drogues, vivant dans la rue, elle se prostituait pour payer sa consommation.

« Ma vie était axée sur ça. Je consommais six comprimés de speed par jour, douze bières et deux bouteilles de vin », dit-elle. Le crack, la cocaïne et l’ecstasy aussi se trouvaient souvent au menu.

« Quand tu te retrouves seule dans la rue, tu vis une tristesse qui ne s’explique pas. Je n’avais rien. J’avais juste le numéro de PACT de rue dans les poches », raconte la jeune femme aujourd’hui âgée de 28 ans.

Depuis 12 ans, les travailleurs de l’organisme PACT de rue (Projet ado communautaire en travail de rue) à Valleyfield ont aidé Marie-Josée à traverser de nombreuses épreuves. Ils étaient là quand elle a dû subir un procès pour avoir foncé dans un arbre alors qu’elle conduisait en état d’ébriété. Ils étaient là quand, à une époque où elle était à jeun, Marie-Josée a eu deux enfants. Ils étaient là aussi quand elle a rechuté il y a deux ans, perdant la garde de ses deux fils.

À ce moment, Marie-Josée est tombée au plus bas. Elle consommait à un rythme effréné. Au bout d’un moment, elle a éclaté. 

« Je n’avais plus personne. Mais PACT de rue m’a approchée et m’a demandé si j’en avais assez. J’ai dit oui. Ils m’ont aidée. »

— Marie-Josée, bénéficiaire des services de l’organisme PACT de rue

La jeune femme est sortie de thérapie le 11 janvier. Elle se cherche aujourd’hui un appartement pour ravoir la garde de ses deux garçons. Encore une fois, les travailleurs de rue sont là.

« Ils sont toujours restés. Ils m’ont toujours écoutée et accompagnée sans me juger, raconte Marie-Josée. Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à eux. »

CRAINTES DE FERMETURES

Travailleuse à PACT de rue, Amélie aide chaque semaine des dizaines de personnes très vulnérables vivant souvent en marge de la société « Ils ne font pas confiance aux institutions traditionnelles. Nous, on va les voir chez eux. Ou dans la rue. Et on les écoute. On établit un lien pour les aider », dit-elle.

Pour Amélie, son travail est essentiel. « Sans nous, il y aurait beaucoup plus de dépressions. De suicides. Les personnes les plus hypothéquées de la société n’auraient nulle part où aller, dit-elle. Elles engorgeraient le système. »

Pourtant, PACT de rue craint de fermer dès le 27 février. Car les coffres de l’organisme sont vides. Des pourparlers sont en cours avec le gouvernement.

L’Écluse des Laurentides, un organisme de travail de rue qui dessert un territoire allant de Mont-Laurier à Saint-Eustache, craint lui aussi de fermer pour des raisons financières. « Avec les compressions, les villes n’ont plus d’argent pour nous aider. Et de plus en plus de citoyens sont dans le besoin. On ne sait pas ce qui va arriver », dit la directrice de L’Écluse, Émilie Rouleau.

Les organismes de travail de rue et ceux offrant des services aux personnes itinérantes sont financés depuis 15 ans par l’intermédiaire de la Stratégie des partenariats de lutte à l’itinérance (SPLI), gérée par le gouvernement fédéral. Chaque année, 20 millions sont distribués au Québec avec ce programme.

« Avant, les organismes de chaque région s’assoyaient pour déterminer leurs priorités locales », explique Anne-Marie Boucher, coordonnatrice du Réseau SOLIDARITÉ Itinérance Québec (RSIQ), qui regroupe plus de 350 organismes communautaires touchant à l’itinérance dans la province. Mais cette année, Ottawa a décidé de revoir les critères d’admissibilité du SPLI. « D’abord, on priorise le logement. On veut loger les itinérants chroniques. Environ 65 % du budget doit aller vers ça. Ça laisse moins de moyens pour payer des intervenants sur le terrain, déplore Mme Boucher. Beaucoup de postes risquent d’être coupés. »

Craignant pour leur survie, les organismes en travail de rue aimeraient que Québec compense en trouvant une façon de les financer. 

Au cours d’un entretien avec La Presse (voir texte de l’onglet 4), la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse et à la Santé publique, Lucie Charlebois, a tenu à rassurer les travailleurs de rue qui craignent que les budgets ne soient dorénavant tous dirigés vers l’aide au logement et non plus le travail sur le terrain.

« Je les comprends d’être inquiets. Ils n’ont pas encore toute l’information. Mais je veux les rassurer : il y aura de la place pour d’autres projets que le logement », assure Mme Charlebois.

Travailleur de rue à Saint-Eustache, Mathieu croit que leur mission est essentielle. « Notre job, c’est d’aller dans les coins. Où les autres intervenants ne peuvent pas aller. On permet à des gens de raccrocher. En fait, on fait même épargner de l’argent au réseau en évitant des hospitalisations. Il faut y penser », dit-il.

Travail de rue

LE PÈRE DU TRAVAIL DE RUE INQUIET

Au début des années 70, alors que la consommation de drogue faisait des ravages chez les jeunes, Gilles Lamoureux a lancé la pratique du travail de rue au Québec de concert avec l’hôpital Louis-H. La Fontaine. « Le but, c’est d’infiltrer socialement des milieux. En adoptant une approche qui n’est pas paternaliste ou interventionniste. On écoute. On oriente au besoin. Mais pas obligatoirement », résume-t-il. Aujourd’hui, M. Lamoureux s’inquiète de l’avenir de la pratique qu’il a construite. « Les personnes que les travailleurs de rue accompagnent sont les plus écorchées de la société. Et ces gens sont de plus en plus mal pris. Le travail de rue, ce n’est pas un luxe, c’est essentiel », plaide-t-il.

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