Chronique

Bizarre, madame la mairesse

Il y a quelque chose de bizarre à regarder la mairesse de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce Sue Montgomery s’entêter à soutenir sa chef de cabinet, accusée de harcèlement psychologique (1).

La chef de cabinet s’appelle Annalisa Harris. Elle a été mise en cause dans une enquête du Contrôleur général de la Ville de Montréal : ses agissements envers des employés de la Ville constituaient, semble-t-il, du harcèlement psychologique.

La mairesse Montgomery refuse de congédier Mme Harris. Elle veut « voir les preuves » contenues dans le rapport du Contrôleur général (2).

Permettez que je décortique cette affaire et surtout les termes de cette affaire.

À titre de chef de cabinet, Annalisa Harris n’est pas une employée comme les autres. C’est une contractuelle qui est jetable.

Je m’excuse de le dire de façon aussi crue en utilisant le mot « jetable ». Mais le personnel politique peut être congédié n’importe quand, pour à peu près n’importe quelle raison. C’est pourquoi j’utilise le mot « jetable ».

C’est dans la nature du travail d’attaché politique, de chef de cabinet ou d’attaché de presse travaillant au sein d’un cabinet politique : il n’y a aucune sécurité d’emploi. Les gens qui œuvrent dans les cabinets politiques le savent et n’attendent à peu près aucune forme de « justice » quant aux conditions de leur congédiement.

C’est vrai pour le personnel politique qui travaille pour le président des États-Unis, c’est vrai pour celui du premier ministre du Québec et c’est vrai pour celui de la mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce.

Si vous êtes employé dans le public – ou même dans le privé –, c’est différent. Il y a des lois et des normes du travail qui s’appliquent. On ne peut (généralement) pas vous congédier sans avoir monté un dossier, sans une cause grave.

C’est pourquoi je dis que les employés politiques sont jetables. Les employés politiques le savent, qu’ils peuvent être congédiés ou « être démissionnés » n’importe quand.

Un exemple ? Quand le courant ne passait plus entre la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault et des employés de son cabinet, ceux-ci ont été largués. Ces gens n’auraient pas pu être congédiés s’ils avaient été employés de Geneviève Guilbault, directrice d’une caisse pop.

Annalisa Harris a donc fait l’objet d’une enquête du Contrôleur général de la Ville de Montréal. Les résultats de cette enquête, dit-on, sont accablants pour la chef de cabinet.

Juste là-dessus, juste sur la foi des résultats de l’enquête du Contrôleur général de la Ville de Montréal, Sue Montgomery aurait dû demander à sa chef de cabinet de démissionner…

Ou la congédier.

Sauf que non. Mme Montgomery s’entête. Elle demande à voir les résultats de ladite enquête. Elle veut lire le rapport.

Ça n’arrivera pas.

Permettez un détour pour vous expliquer pourquoi Sue Montgomery ne verra jamais ce rapport. En 2012, j’ai écrit sur un employé de la Ville de Montréal qui s’est suicidé. Le suicide est survenu dans un contexte où cet employé subissait du harcèlement au travail, aux mains de ses patrons.

Il y avait eu enquête commandée par la Ville à une avocate indépendante, des témoins avaient été rencontrés… Et un patron avait été suspendu pendant plus de deux mois, après la remise du rapport à la Ville.

J’avais tenté d’obtenir ce rapport par des sources. La Presse avait tenté de l’obtenir par la Loi sur l’accès à l’information. Rien à faire, hyper confidentiel.

Avec le recul, même si j’aurais aimé le lire et en publier les conclusions, je comprends pourquoi ce rapport était gardé secret par la Ville : des employés témoignaient de ce qu’ils avaient vu, au sujet de leurs patrons et collègues. Ces témoins étaient à risque, si leur identité était dévoilée : ils risquaient d’être punis d’une façon ou d’une autre par la direction, pour avoir témoigné. Ils risquaient d’être eux-mêmes l’objet de harcèlement si leurs témoignages étaient lus par des boss accusés d’avoir camouflé le harcèlement – ou d’y avoir participé.

Mme Montgomery ne verra jamais ce rapport. Et à voir la façon dont elle défend bec et ongles sa chef de cabinet, je comprends d’autant plus qu’elle n’ait pas accès à ce rapport où des employés ont témoigné contre une chef de cabinet… que la mairesse défend encore.

La mairesse Montgomery – dont on dit qu’elle a fait de l’aveuglement volontaire (3) – ne fait pas confiance aux résultats de l’enquête du Contrôleur général. Son insistance pour en voir le détail malgré la confidentialité manifeste laisse entendre que le Contrôleur n’est pas digne de confiance, ici. Il n’y a aucune preuve de ça.

Mais toute la conduite de Sue Montgomery est bizarre, dans cette affaire. D’abord, son entêtement à « défendre » Annalisa Harris : Mme Harris est un boulet pour la mairesse Montgomery. C’est l’a b c de la politique 101 qui commande que Mme Montgomery se débarrasse de sa chef de cabinet, ne serait-ce que pour que cette crise politique ne l’avale pas, elle, la mairesse.

Et il y a cette insinuation tout aussi bizarre faite par la mairesse Montgomery sur l’honnêteté de ses fonctionnaires…

On sait qu’un ancien maire de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce était Michael Applebaum, qui a été reconnu coupable de corruption en 2017 pour des faits remontant à la période 2007-2010. Mme Montgomery, pour jeter un doute sur la bonne foi des fonctionnaires qui s’entendaient mal avec sa chef de cabinet, a fait un lien entre ces fonctionnaires… et l’ex-maire corrompu.

Rappelons les faits : aucun de ces fonctionnaires n’a été impliqué de près ou de loin dans l’enquête de l’UPAC qui a ciblé Applebaum. Inférer, comme la mairesse Sue Montgomery l’a fait, que les fonctionnaires de son arrondissement ont un lien avec les malversations d’Applebaum est non seulement injuste, mais également faux.

Une ancienne journaliste comme Sue Montgomery devrait savoir ça. J’irais même plus loin : si la journaliste Sue Montgomery avait voulu faire ce lien vaseux entre la malhonnêteté d’Applebaum en 2007-2010 et les fonctionnaires de CDN-NDG en 2019-2020 dans un article du Montreal Gazette, fort probablement qu’un editor aurait biffé ce passage. Justement parce qu’il est faux.

Autre couche de bizarrerie dans cette saga qui paralyse l’arrondissement : Mme Montgomery a subi du harcèlement de la part d’un zozo (4). La mairesse sait c’est quoi, se faire pourrir la vie par quelqu’un qui vous cible psychologiquement. Bizarre, dans ce contexte, que Sue Montgomery insiste pour garder en poste une membre de son cabinet mise en cause au terme d’une enquête pour harcèlement psychologique.

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