« Du cerf de Boileau, il n’y en aura plus »

La « maladie du chevreuil fou » a sonné le glas de ce produit d’exception

La « maladie du chevreuil fou » a eu raison du cerf de Boileau : une centaine de jours après le premier diagnostic, l’entreprise vient d’abattre son dernier animal et, ce faisant, de réduire à néant 20 ans de travail pour développer un produit gastronomique réputé.

Denis Ferrer, le directeur de l’entreprise, l’affirme sans ambages : maintenant que les 3500 cerfs rouges de l’élevage sont morts, « c’est fini ». Personne ne voudra prendre le risque de réinjecter des fonds et des années pour redémarrer un projet sous la menace d’une épée de Damoclès.

« C’est très décevant, surtout la façon dont ça se termine : très abruptement, du jour au lendemain », s’est-il résigné en entrevue avec La Presse. « On a fini [mercredi]. » L’éleveur a déploré que les autorités sanitaires aient fait tomber rapidement la guillotine sur l’entreprise, sans lui donner la chance de sauver les meubles.

« On voulait garder la semence, mais l’agence [canadienne d’inspection des aliments] a refusé, a-t-il continué. Du cerf de Boileau, il n’y en aura plus. »

Impact sur toute l'industrie

La chute du porte-étendard de l’industrie a un impact sur tous les éleveurs de cerfs de boucherie du Québec : le président de leur association, Gaétan Lehoux, parle de « crise » et demande un programme d’aide aux gouvernements, comme celui mis en place lors des épidémies de maladie de la vache folle ou de tremblante du mouton.

L’arrivée soudaine de centaines de carcasses de cerfs a plombé le marché : « On a des producteurs qui n’ont rien vendu depuis le mois de septembre », a expliqué M. Lehoux.

La découverte d’un cas de maladie débilitante chronique du cervidé, dans un enclos de cerfs de Boileau, à la mi-septembre, a entraîné un véritable branle-bas de combat sanitaire dans la région d’Argenteuil tout l’automne. Voulant à tout prix éviter que la maladie ne se propage parmi les cerfs de Virginie sauvages, les autorités ont abattu des centaines de bêtes sauvages autour de l’élevage, en plus de signer l’arrêt de mort des 3500 cerfs de Boileau.

Pour Denis Ferrer, le cauchemar a commencé un mardi de septembre alors qu’une carcasse testée aléatoirement a allumé une lumière rouge à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). Une quarantaine a aussitôt été déclarée.

« Après, ça a déboulé », a-t-il relaté. La décision d’abattre tout le troupeau a été prise « très vite » par les gouvernements, au grand dam de l’entreprise. Trop vite, à son avis. M. Ferrer croyait pouvoir sauver une partie du troupeau, qui évoluait en groupes isolés, mais il a reçu une fin de non-recevoir du fédéral.

L’entreprise peut toujours vendre sa viande, mais chaque carcasse est désormais testée par l’ACIA. Au total, 11 bêtes malades ont été détectées et écartées depuis le début de la crise. Selon l’éleveur, elles seraient toutes liées au même enclos, sur la soixantaine qu’exploitait l’entreprise. Il ne comprend toujours pas comment la maladie a pu s’y introduire.

Alors qu’ils abattent normalement de 70 à 100 animaux par semaine, les employés de M. Ferrer ont dû quintupler le rythme pour en abattre de 400 à 500 depuis le début octobre, a indiqué le directeur. Un dernier sprint avant – pour la majorité d’entre eux – de perdre leur emploi.

Importantes pertes financières

Si l’éleveur affirme avoir congelé des carcasses de façon à éviter d’inonder le marché, ce rythme d’abattage a quand même un impact important sur l’industrie, a indiqué Gaétan Lehoux, président de l’association Cerfs rouges du Québec.

« On n’est pas seulement inquiets, on le sent », a-t-il affirmé. « Ça fait mal au portefeuille, ça fait plus d’animaux à nourrir. Comment on arrive à concilier tout ça ? »

« Tous s’en ressentent à différents niveaux, mais pour certains, ça ne va vraiment pas bien. »

— Gaétan Lehoux, président de l’association Cerfs rouges du Québec

Selon lui, des acheteurs ont « baissé drastiquement leurs prix » en raison de l’offre créée par l’abattage massif.

Gaétan Lehoux, lui-même éleveur en Beauce, demande aux gouvernements « un traitement équitable » avec les éleveurs touchés par d’autres épidémies et la mise en place d’un programme d’aide financière.

Clientèle peinée

Du côté des clients du Cerf de Boileau, on porte le deuil. Daniel Malo, propriétaire de la Boucherie Beau-Bien, se désole de la mort « d’un très beau produit ». « On est tristes, a-t-il dit. C’est une grosse perte. »

Normand Laprise, le chef du célébré Toqué!, s’était opposé à l’abattage massif des cerfs de Boileau plus tôt cet automne. Le restaurant a servi de carte de visite à l’éleveur.

Quant à Denis Ferrer lui-même, son deuil n’a pas commencé : après des semaines à abattre à un rythme fou, c’est en se reposant qu’il mesurera l’ampleur de la catastrophe, croit-il.

Il pensait laisser un cheptel vigoureux en héritage, il devra se contenter de souvenirs d’un succès qui a explosé en plein vol. « On a quand même laissé une empreinte, montré qu’on peut faire des choses bien au Québec. »

Qu’est-ce que la « maladie du chevreuil fou » ?

La maladie débilitante chronique du cervidé (MDC), de son vrai nom, est une maladie incurable qui se transmet par prion (agent infectieux qui n’est ni une bactérie ni un virus, mais une particule protéique) et s’attaque au cerveau des cervidés. La MDC est dans la même famille que la maladie de la vache folle et que la tremblante du mouton. Chez le cervidé, elle est transmissible d’un animal à l’autre par la salive ou l’urine, notamment. Les mêmes experts n’ont jamais trouvé de cas où la maladie s’est transmise à l’homme. Par précaution, les autorités recommandent tout de même de ne pas manger de viande infectée.

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