Senté mentale

Le côté négatif de la psychologie positive

Washington — La psychothérapie vise souvent à aider le patient à reconnaître que tout n’est pas sombre dans sa vie. Mais cet accent sur la « psychologie positive » est une arme à double tranchant, préviennent des psychologues. Au cours de la dernière réunion de l’Association américaine de psychologie (APA), en août, à Washington, une matinée entière était consacrée à ces critiques de la psychologie positive.

« Il faut bien sûr éviter de ressasser et de ruminer ses problèmes, explique Kirk Schneider, un psychologue de l’Université Saybrook, en Californie. Mais si on ne parle que des hauts de la vie et qu’on fait abstraction de ses bas, ça pose problème. Ça implique un effort continu pour ignorer les difficultés et les peines. C’est une recette pour avoir besoin de son psychothérapeute pour le reste de sa vie. »

M. Schneider est l’auteur du livre The Psychology of Awe, un terme que l’on peut traduire par « indicible » dans le sens où il l’emploie.

« L’être humain a besoin de composer avec les bons et les mauvais côtés de l’existence. Parfois, il se trouve devant des énigmes sur ses sentiments et ses désirs. Certains vont parler d’âme. Je me limite à reconnaître que parfois, inexplicablement, notre vie n’est pas facile. »

— Kirk Schneider, psychologue de l’Université Saybrook

« Mais cette anxiété est selon moi une partie intégrale d’une vie heureuse, si on ne la combat pas mais qu’on l’apprivoise. Faire preuve d’humilité face à ces mystères nous donne des forces pour partir à l’aventure, pour faire le pari du bonheur. »

Une approche à court terme

La psychologie positive est plus efficace que l’approche « humaniste » que prône M. Schneider, mais seulement à court terme, selon lui. « On vise à diminuer les symptômes, améliorer la productivité au travail, dans la famille. Mais on ne réussit pas vraiment à changer la personne, à changer sa perspective, parce qu’on ne travaille pas sur la portion anxieuse ou irritable de sa personnalité. En quelque sorte, on revient à la pression sociale de la bourgeoisie d’il y a 100 ans, quand on voyait beaucoup de névroses chez des femmes qui ne parvenaient pas à se conformer au modèle. Je pense que la hausse de la prévalence de la dépression et la dépendance à l’internet et aux réseaux sociaux reflètent les côtés négatifs de cette recherche de l’efficacité. »

La psychologie positive peut être particulièrement néfaste quand des composantes sociales aggravent le malaise psychique, selon Oksana Yakushko, une psychologue de l’Institut Pacifica d’études supérieures, en Californie, qui participait aussi à la séance de l’APA sur la psychologie positive. « On dit aux patients issus de minorités victimes de discrimination qu’il faut qu’ils mettent l’accent sur le positif, dit Mme Yakushko. S’ils n’en sont pas capables, ils sont les artisans de leur malheur. C’est la même chose pour les "déplorables", les partisans de Donald Trump dénoncés par Hillary Clinton : comme ils sont fâchés, ils sont sûrement racistes, il y a quelque chose de dérangé dans leur personnalité. Au lieu de s’intéresser à la vie des déplorables, on condamne leur colère. La psychologie de la positivité est vraiment une dictature quand elle prend trop de place. »

0,7 % des Américains suivent actuellement une psychothérapie sans prendre de médicaments

10 % des Américains ont déjà suivi une psychothérapie sans prendre de médicaments

Sources : American Journal of Psychiatry, Journal of Nervous and Mental Disease

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