Chronique

Chronique guillerette

Hier, le Vieux-Montréal grouillait de monde. À perte de vue : des épaules dénudées, des chemises déboutonnées, des orteils dans des sandales, des cous avec-pas-de-foulards. Pis des mollets encore laiteux…

Le printemps. Beau, beau, beau printemps.

Si beau qu’on pouvait en oublier l’odeur du caca des chevaux qui empeste le Vieux, gracieuseté des calèches.

Dans ces éphémères journées de mai où la vie reprend ses droits, où les bourgeons sont sur le point d’exploser pour former des coupoles vertes au-dessus des rues, Montréal est peut-être la plus belle ville du monde.

Hey, je n’ai pas dit qu’elle l’est, belle. Elle ne l’est pas, notre ville étant objectivement moche. Vivante, toujours. Mais laide, son état naturel.

Sauf dans ces premiers jours de mai, sauf ces jours-ci quand l’hiver ne menace plus de monter une ultime contre-attaque, quand on a chaud sans étouffer.

Au fait, connaissez-vous une meilleure façon de vous réveiller qu’avec le soleil, vous ? Pas moi. Le réveil par le soleil, ça te ramène aux origines de l’espèce, j’imagine, quand nous sortions à peine de la caverne et que la cafetière n’existait pas encore…

C’est le soleil qui me réveille, et ça me met la banane dans la face pour le reste de la journée, ça me requinque et je sais que c’est cinglé, mais c’est dans ces éphémères jours de mai que je me sens immortel. Personne ne l’est, bien sûr. Mais quand le soleil de mai me réveille avant le cadran, rien ne peut alors entamer ma bonne humeur, MÊME PAS TOI, RICHARD…

Hier dans le Vieux-Montréal, une lectrice que je croise toujours par hasard au même endroit m’a interrompu alors qu’Ariane Moffatt rythmait mon retour vers l’usine à contenu – « En théoriiiie, on n’a qu’une viiiiiiie… » – en me tapant sur l’épaule…

— Je m’inquiète pour vous. Vous écrivez sur des choses si tristes, ces derniers temps…

— Mais je pète le feu, Madame !

Je l’ai remerciée de s’inquiéter pour moi. Elle n’est pas la seule, d’ailleurs : vous avez été quelques-uns à vous inquiéter depuis quelques semaines, à me demander si mes choix de sujets récents – bien des histoires de mort – trahissaient un spleen quelconque…

Maudit que vous êtes fins, mais… Non. Je suis… Je suis… Je cherche le mot exact.

Guilleret ? C’est ça, guilleret. Mot sous-utilisé s’il en est un.

Savez-vous ce que j’ai fait, même, l’autre jour ?

J’ai fait la paix avec quelqu’un, oui Monsieur. Quelqu’un de mon métier.

Notre chicane était larvée et s’étirait depuis des années, tsé, quand t’as un froid avec quelqu’un, mais que tu ne sais même plus pourquoi…

Il y a deux types de chicanes, comme vous le savez.

Un, des chicanes terminales, nées de choses qui ne se disent pas, qui ne se font pas, qui ne se présument pas.

Deux, des chicanes ponctuelles liées à des contextes, des chicanes que tu vois s’éloigner en rapetissant dans le rétroviseur de ta vie en te disant que si elles rapetissent, c’est qu’elles n’étaient probablement pas si grosses, de toute façon…

La chicane dont je vous parle était de la seconde catégorie.

Comment ?

De qui il s’agit ?

Eh, eh, Dieu que vous êtes potineux !

Ça chiâle sur l’omniprésence des A et des B à la TV, ça dit ne pas s’intéresser à ces affaires-là, mais s’agit que je vous dise que le type était connu pour que vous mouriez d’envie de savoir c’est qui…

Nah, je ne vous le dirai pas.

Ce que je vais vous dire, c’est que c’est la mort de Lapierre qui m’a poussé à le contacter pour lui suggérer qu’on règle nos shits. Et il a dit oui.

Ce que je vais vous dire, c’est que c’est le printemps et que vous devriez faire ça, pour voir : appelez quelqu’un avec qui vous vous êtes brouillé et essayez de mettre de la potée dans les murs de votre relation mutuelle. Peut-être que ça ne marchera pas, il y a des fois où le temps n’arrange rien…

Mais si ça marche, juré, craché, ça rendra la lumière de mai encore plus glorieuse.

Hier, la lumière du printemps m’a réveillé. Je me suis levé, je me suis palpé, tous les morceaux étaient là, en relatif état de marche. Pas de mal de dos, pas de cancer, pas de sclérose en plaques.

J’ai entendu le petit qui cherchait ses bobettes de l’autre bord de la porte, pressé dans le petit matin d’aller regarder RDS pour savoir qui a gagné le septième match entre St. Louis et Dallas (St. Louis) en mangeant des gaufres. Dans cette seconde-là, je l’aurais confirmé au New York Times, même pas besoin d’une seconde source ou d’un expert sur les Mayas : j’étais l’homme le plus chanceux sur Terre.

Comment, Ariane ?

Oui, tu as raison : « Le tout est plus grand que la somme des parties… »

Phoque yeah.

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