La Maison des champions

prévoir la vie après le sport

Une retraite sportive, aussi bien planifiée soit-elle, peut être une source de stress pour les athlètes. Pour maximiser leurs acquis sportifs et vivre une transition en douceur, 11 d’entre eux ont eu recours à la Maison des champions, un programme d’un an basé sur des séances de codéveloppement. Un dossier de Pascal Milano

la maison des champions

Un cheminement nécessaire

Le groupe de soutien la Maison des champions permet aux sportifs de mieux préparer leur après-carrière

Ils y pensent de plus en plus au fil des ans, mais la redoutent jusqu’à parfois la reporter un peu trop longtemps. Et puis, le jour venu, c’est la page blanche pour les moins prévoyants ou, au minimum, quelques interrogations pour les autres.

Elle, c’est la retraite sportive, ce saut dans l’inconnu à un âge où le commun des mortels consolide généralement sa vie professionnelle. « Quand ça fait une vingtaine d’années qu’on fait la même chose, c’est dur de se dire : “Regarde, moi, je vais arrêter.” Au contraire, c’est beaucoup plus facile de se dire qu’on va continuer dans ce qu’on connaît. Ça donne une certaine sécurité », résume Cassandra Poudrier, ancienne joueuse des Canadiennes de Montréal, de la Ligue canadienne de hockey féminin (LCHF).

Comme 10 autres athlètes, Poudrier s’est tournée vers la Maison des champions au printemps 2017. Au moyen de rencontres mensuelles, ce petit groupe de soutien s’est fixé l’objectif de mieux appréhender la transition et de transposer cette expérience sportive dans le monde du travail.

Illustration avec Émilie Fournel, kayakiste olympique de 31 ans, qui se sentait à un carrefour lorsqu’elle a démarré le programme : « Mon objectif, avec la Maison des champions, était simplement d’avoir beaucoup plus confiance en mes capacités à l’extérieur du sport. Je voulais être certaine que tout ce que j’avais appris dans ma carrière olympique allait me servir dans mes prochains projets. Le programme a confirmé que ça allait être le cas. »

Des liens précieux

Durant l’année, les athlètes ont reçu la visite de conférenciers – Jean-Luc Brassard ou Rémi Tremblay [fondateur de la Maison des leaders, lieu de rencontre de patrons d’entreprises, de cadres et de dirigeants] – et fait divers ateliers entre eux. Maxime Boilard, ancien canoéiste olympique et instigateur du projet, souhaitait que les participants se projettent au-delà des codes d’athlète qui ont régenté leur vie. Une étudiante en psychologie a également suivi le rapport qu’entretenaient les athlètes à l’égard de leur discipline.

« À part deux années plus spécifiques en préparation de Jeux olympiques, le sport n’a jamais pris toute la place, situe Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, haltérophile de 29 ans et médecin de famille à London, en Ontario. La Maison des champions m’a cependant aidée à relativiser mon implication par rapport au sport. »

« Ce n’est pas quelque chose qui est si important que ça dans la vie. Oui, c’est important d’être en santé, mais il y a autre chose comme la famille et l’environnement. »

— Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, haltérophile

« Un athlète voit les choses en noir ou en blanc, tu gagnes ou tu ne gagnes pas, tu réussis ou tu ne réussis pas. Il n’y a pas de milieu, pas de gris. Dans la vie, ça ne fonctionne pas comme ça, affirme Fournel. C’est correct d’avoir de la misère à répondre à certaines questions. C’est une année où j’ai plus appris à composer avec le gris. »

Le coût du programme s’élève à 2000 $, mais les athlètes bénéficient de l’aide de la Fondation de l’athlète d’excellence du Québec, ainsi que du programme Plan de match.

« Ce n’est plus ce dont j’ai envie »

Bien des choses ont donc changé en une année. Au chapitre des heureux événements, Fournel a donné naissance à sa fille au beau milieu du programme. « J’avais encore le goût du sport, mais plus le goût d’être stressée par rapport à ça. J’avais envie de mettre mon stress ailleurs. Et quand j’ai appris que j’étais enceinte, la perspective a totalement changé », souligne celle qui a démarré une maîtrise en innovation, entrepreneuriat et management à l’Université Queen’s (Kingston).

À l’autre bout du spectre, celui des désagréments, Poudrier a subi une énième commotion cérébrale durant la saison 2017-2018 de la LCHF. À l’âge de 25 ans, elle a dit stop au hockey.

« Avec le programme, j’avais déjà accumulé plusieurs outils qui m’ont permis de prendre un pas de recul. Je pouvais regarder ce que cette blessure voulait dire et je me suis demandé si le temps n’était pas venu de prendre ma retraite. »

— Cassandra Poudrier, ancienne hockeyeuse

« Si c’était arrivé il y a un an, est-ce que j’aurais été capable de dire : “Non, je ne peux pas continuer, ce n’est pas bon pour ma santé et ce n’est plus ce dont j’ai envie”? Je serais sans doute retournée dans le même code d’athlète en me disant qu’il fallait que je continue parce qu’on va au hockey comme à la guerre. J’avais quand même eu cinq commotions avant ça. »

Certains épisodes vécus au cours de l’année ont donc éclairé plusieurs participants sur leur évolution. D’autres, comme Fournel, ont attendu la toute fin, en relisant leur texte écrit lors de la première séance, pour se rendre compte de leur cheminement.

Des amitiés se sont aussi forgées après une année à partager des histoires et des doutes. Chacun empruntera maintenant son propre chemin en sachant que le sport, au milieu des sacrifices, peut être une plus-value pour la suite des choses. 

Parmi ces 11 athlètes, 2, dont Beauchemin-Nadeau, ont cependant décidé de prolonger leur carrière. Elle vise les Jeux olympiques de Tokyo en 2020. « Je pense que mes chances de participation sont assez faibles, vu où je suis rendue dans ma vie. Je suis une athlète plus vieille et, par rapport aux derniers Jeux, les conditions de participation sont plus difficiles. Mais j’ai encore du plaisir à m’entraîner et tant que mon corps me le permet, aussi bien continuer. »

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Un pas de recul pour mieux avancer

Pendant une année, entre les mois de mai 2017 et 2018, 11 sportifs – dont plusieurs athlètes olympiques – se sont réunis mensuellement au Tableau blanc, dans le quartier Saint-Henri.

L’éventail était large : il y avait des étudiants de Polytechnique en début de parcours, mais aussi des pères de famille déjà sur le marché du travail. Qu’ils aient 22 ou 38 ans, tous s’interrogeaient cependant sur la transition qui suit leur carrière sportive. Et ils se sont tous tournés vers la Maison des champions en intégrant la première cohorte.

« Le dénominateur commun parmi les personnes qui étaient là, c’est qu’elles souhaitaient aller au-delà du code d’athlète. Cela veut dire que le rapport à leur sport a changé. Ça veut dire que la passion s’amenuise et c’est comme moins clair qu’elles ont le goût de poursuivre », définit d’emblée Maxime Boilard, ancien canoéiste olympique et instigateur du projet.

Chacune des séances, d’une durée de trois heures, débutait par un tour de table. Les athlètes revenaient alors sur le dernier mois et sur les éléments pertinents vécus dans le cadre de leur transition. À l’aide d’ateliers ou de conférences, les participants exploraient ensuite une thématique par séance.

« Notre objectif n’est pas de trouver un job à l’athlète, lance Boilard, président de la société CANU. On veut l’aider à prendre un pas de recul sur les codes qui lui ont servi comme athlète. Parce que durant sa carrière, le sportif se dit : “J’ai un objectif qui est plus important que tous les autres et j’organise ma vie en fonction de celui-ci.” »

Durant l’année, Boilard a donc cherché à placer les participants dans des conditions qui leur sont peu familières et à les guider afin d’éviter des erreurs communes.

« Le gros trait commun est qu’on a tendance à remplir notre vie durant une transition alors que, pour découvrir la prochaine étape, il faut faire de la place. »

— Maxime Boilard

Il fait un parallèle avec le monde des affaires.

« Dans le monde des organisations, un tel programme s’appelle un programme de développement du leadership. Dans le sport, c’est comme si on cherchait du data pour y croire. On est habitués à avoir un coach qui a les réponses alors que là, il y a un coach qui a des questions. »

« Une quête existentielle »

Boilard, aujourd’hui âgé de 40 ans, a lui-même dû trouver sa voie après une carrière marquée par un quatrième rang au C-1500 m aux Jeux olympiques de Sydney en 2000. Il a pris sa retraite en 2004 après 11 années au sein de l’équipe nationale de canoë. Trois ans plus tard, il a fondé la société CANU, spécialisée dans l’accompagnement des leaders et des équipes lors de transformations. 

« C’était une quête existentielle pour moi. Comment est-ce que j’allais intégrer la première partie de ma vie, qui m’a profondément défini, dans le restant de ma vie ? Ç’a été au cœur de mon projet et d’avoir ce véhicule-là, mon entreprise, m’a permis de trouver la valeur de mon cheminement d’athlète. »

L’idée de la Maison des champions a germé en 2016 lorsqu’il a vu sa conjointe et sa collègue assister à un groupe de codéveloppement. Lors d’activités en canoë impliquant ses clients d’affaires, il a également constaté le bénéfice retiré par les athlètes qui lui donnaient un coup de main. La prochaine étape : une deuxième cohorte au mois de mai, puis peut-être un projet semblable, en anglais, ailleurs au Canada.

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Accepter et s’adapter

Doctorante en psychologie industrielle à l’UQAM, Maude Guilmette a suivi la première cohorte de la Maison des champions pendant toute une année. Elle en a fait un rapport dont elle dévoile les grandes lignes en entrevue.

Dans le rapport, vous avez suivi l’évolution de la passion harmonieuse et de la passion obsessive des athlètes par rapport à leur sport. Comment cela se distingue-t-il et qu’avez-vous constaté comme évolution ?

La passion harmonieuse décrit les personnes qui vont être impliquées dans leur passion, mais de manière saine. On est capable de mettre notre passion de côté quand ça va moins bien et de faire d’autres activités reliées à la famille ou au travail. La passion obsessive est un peu plus comme du workaholisme, c’est-à-dire qu’on n’est pas capable d’arrêter de le faire et qu’on est très englobé dedans. Au niveau du bien-être, ça peut mener à plus de burn-out, d’anxiété et de fatigue. En transition, on peut avoir de la misère à laisser aller notre carrière parce qu’on est davantage obsessif par rapport à cette activité-là. 

La littérature dit que les athlètes de haut niveau sont habituellement passionnés des deux façons, harmonieusement et obsessivement. Le niveau de passion harmonieuse chez les athlètes de la Maison des champions était très élevé et n’a pas bougé en un an. La passion obsessive a diminué, ce qui est très bien, parce que cela permet d’aller de l’avant et de changer de direction. La passion obsessive peut amener de la persistance rigide et nous empêche de lâcher prise alors que, dans un contexte de changement de carrière, on est obligé.

Cette diminution de la passion obsessive facilite-t-elle le niveau d’acceptation chez ces athlètes qui étaient en période de transition ?

Maxime [Boilard] leur disait souvent de faire confiance au processus. Il aimait travailler l’inconfort et l’incertitude que les athlètes avaient. Il les laissait dans le doute pour qu’ils s’entraînent à ne pas avoir les réponses ni le contrôle sur la suite des choses. Quand on est athlète, on a beaucoup le contrôle sur ce que l’on fait : nos performances, notre train de vie, notre alimentation, nos horaires, notre forme physique, nos heures d’entraînement. Quand on arrête, on n’a pas toujours le contrôle sur la direction que prend notre vie. Par exemple, est-ce que je vais être accepté dans un nouveau programme à l’école ? On est donc moins dans le contrôle et plus dans l’incertitude. L’acceptation allait avec ça, aussi.

Dans le rapport, vous abordez le mal-être, la dépression ou l’irritabilité. En avez-vous constaté durant cette année ?

À la fin, j’ai remarqué que les athlètes étaient beaucoup plus heureux de savoir qu’ils pouvaient toujours pratiquer leur sport, mais simplement par pur plaisir. Quand on fait du sport pour la performance, on oublie parfois qu’on l’a commencé parce qu’on aimait ça et que c’était un jeu à la base. Beaucoup sont retournés vers cette passion plus innocente de l’enfance, c’est-à-dire d’aimer le sport pour l’activité qu’elle représente. Au niveau de l’anxiété, elle a été très basse tout au long de l’année. Les athlètes sont habitués de travailler avec le stress. Par contre, le niveau de dépression ou d’irritabilité a diminué. C’est positif, parce que lorsqu’on apprend, au début, qu’on est dans une transition de carrière, ça peut engendrer un certain stress et une certaine tristesse.

Y a-t-il un avantage à vivre cette transition au sein d’un groupe ?

On a vu une vraie complicité parmi les participants. C’est important de pouvoir partager ces expériences-là avec les autres plutôt que de vivre cette période seul à la maison. Au début, les athlètes ne se connaissaient pas et j’ai remarqué un peu d’anxiété les uns envers les autres. Mais de pouvoir partager cette transition de carrière et de savoir qu’on n’était pas seul, c’était une bonne première étape pour les lancer dans le processus. En plus, les athlètes sentaient qu’ils faisaient quelque chose d’important pour s’aider dans cette transition.

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