Ils y pensent de plus en plus au fil des ans, mais la redoutent jusqu’à parfois la reporter un peu trop longtemps. Et puis, le jour venu, c’est la page blanche pour les moins prévoyants ou, au minimum, quelques interrogations pour les autres.
Elle, c’est la retraite sportive, ce saut dans l’inconnu à un âge où le commun des mortels consolide généralement sa vie professionnelle. « Quand ça fait une vingtaine d’années qu’on fait la même chose, c’est dur de se dire : “Regarde, moi, je vais arrêter.” Au contraire, c’est beaucoup plus facile de se dire qu’on va continuer dans ce qu’on connaît. Ça donne une certaine sécurité », résume Cassandra Poudrier, ancienne joueuse des Canadiennes de Montréal, de la Ligue canadienne de hockey féminin (LCHF).
Comme 10 autres athlètes, Poudrier s’est tournée vers la Maison des champions au printemps 2017. Au moyen de rencontres mensuelles, ce petit groupe de soutien s’est fixé l’objectif de mieux appréhender la transition et de transposer cette expérience sportive dans le monde du travail.
Illustration avec Émilie Fournel, kayakiste olympique de 31 ans, qui se sentait à un carrefour lorsqu’elle a démarré le programme : « Mon objectif, avec la Maison des champions, était simplement d’avoir beaucoup plus confiance en mes capacités à l’extérieur du sport. Je voulais être certaine que tout ce que j’avais appris dans ma carrière olympique allait me servir dans mes prochains projets. Le programme a confirmé que ça allait être le cas. »
Des liens précieux
Durant l’année, les athlètes ont reçu la visite de conférenciers – Jean-Luc Brassard ou Rémi Tremblay [fondateur de la Maison des leaders, lieu de rencontre de patrons d’entreprises, de cadres et de dirigeants] – et fait divers ateliers entre eux. Maxime Boilard, ancien canoéiste olympique et instigateur du projet, souhaitait que les participants se projettent au-delà des codes d’athlète qui ont régenté leur vie. Une étudiante en psychologie a également suivi le rapport qu’entretenaient les athlètes à l’égard de leur discipline.
« À part deux années plus spécifiques en préparation de Jeux olympiques, le sport n’a jamais pris toute la place, situe Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, haltérophile de 29 ans et médecin de famille à London, en Ontario. La Maison des champions m’a cependant aidée à relativiser mon implication par rapport au sport. »
« Ce n’est pas quelque chose qui est si important que ça dans la vie. Oui, c’est important d’être en santé, mais il y a autre chose comme la famille et l’environnement. »
— Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, haltérophile
« Un athlète voit les choses en noir ou en blanc, tu gagnes ou tu ne gagnes pas, tu réussis ou tu ne réussis pas. Il n’y a pas de milieu, pas de gris. Dans la vie, ça ne fonctionne pas comme ça, affirme Fournel. C’est correct d’avoir de la misère à répondre à certaines questions. C’est une année où j’ai plus appris à composer avec le gris. »
Le coût du programme s’élève à 2000 $, mais les athlètes bénéficient de l’aide de la Fondation de l’athlète d’excellence du Québec, ainsi que du programme Plan de match.
« Ce n’est plus ce dont j’ai envie »
Bien des choses ont donc changé en une année. Au chapitre des heureux événements, Fournel a donné naissance à sa fille au beau milieu du programme. « J’avais encore le goût du sport, mais plus le goût d’être stressée par rapport à ça. J’avais envie de mettre mon stress ailleurs. Et quand j’ai appris que j’étais enceinte, la perspective a totalement changé », souligne celle qui a démarré une maîtrise en innovation, entrepreneuriat et management à l’Université Queen’s (Kingston).
À l’autre bout du spectre, celui des désagréments, Poudrier a subi une énième commotion cérébrale durant la saison 2017-2018 de la LCHF. À l’âge de 25 ans, elle a dit stop au hockey.
« Avec le programme, j’avais déjà accumulé plusieurs outils qui m’ont permis de prendre un pas de recul. Je pouvais regarder ce que cette blessure voulait dire et je me suis demandé si le temps n’était pas venu de prendre ma retraite. »
— Cassandra Poudrier, ancienne hockeyeuse
« Si c’était arrivé il y a un an, est-ce que j’aurais été capable de dire : “Non, je ne peux pas continuer, ce n’est pas bon pour ma santé et ce n’est plus ce dont j’ai envie”? Je serais sans doute retournée dans le même code d’athlète en me disant qu’il fallait que je continue parce qu’on va au hockey comme à la guerre. J’avais quand même eu cinq commotions avant ça. »
Certains épisodes vécus au cours de l’année ont donc éclairé plusieurs participants sur leur évolution. D’autres, comme Fournel, ont attendu la toute fin, en relisant leur texte écrit lors de la première séance, pour se rendre compte de leur cheminement.
Des amitiés se sont aussi forgées après une année à partager des histoires et des doutes. Chacun empruntera maintenant son propre chemin en sachant que le sport, au milieu des sacrifices, peut être une plus-value pour la suite des choses.
Parmi ces 11 athlètes, 2, dont Beauchemin-Nadeau, ont cependant décidé de prolonger leur carrière. Elle vise les Jeux olympiques de Tokyo en 2020. « Je pense que mes chances de participation sont assez faibles, vu où je suis rendue dans ma vie. Je suis une athlète plus vieille et, par rapport aux derniers Jeux, les conditions de participation sont plus difficiles. Mais j’ai encore du plaisir à m’entraîner et tant que mon corps me le permet, aussi bien continuer. »