Chronique

Donnez-nous des nouvelles de l’Abitibi

Le Québec n’est pas à un paradoxe près.

D’un côté, il vient d’élire, surtout grâce au vote à l’extérieur des grands pôles urbains, un gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), dont un des axes électoraux fut d’exprimer certaines réserves par rapport à l’immigration.

Et de l’autre, la province cherche désespérément, surtout en région, des travailleurs pour venir pourvoir des postes essentiels à la croissance de ses entreprises !

On le dit, on l’entend partout : le Québec manque de travailleurs. Et ce n’est pas une prévision pour l’avenir. C’est la réalité quotidienne. Parlez-en aux gens du groupe Cambli à Saint-Jean-sur-Richelieu ou SBC Cedar, en Beauce… Les commandes ? Ce n’est pas ça qui manque, mais plutôt les gens pour les remplir.

Ces immigrants face auxquels on apparaît frileux en politique, sur le terrain, on en a vraiment besoin.

C’est pour répondre à cette problématique que la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) a lancé en 2017, avec l’appui financier du gouvernement provincial, un projet-pilote appelé « Un emploi en sol québécois », qui consistait à amener en région des travailleurs immigrés en quête de boulot pour les présenter à des employeurs motivés. L’initiative vient d’être reconduite par le gouvernement du Québec, oui, celui de François Legault. Un projet de 3 millions. 

Je vous en ai parlé cet été. J’ai pris le car avec la FCCQ et ces chômeurs en quête de travail pour aller en Beauce, une des régions où la pénurie de main-d’œuvre est marquée. Là-bas, l’accueil préparé a été si généreux, autant de la part des Beaucerons de toujours que des immigrés convertis, que si j’étais restée un jour de plus, peut-être qu’ils auraient fini par me convaincre, moi aussi, « coudon », d’y déménager ! 

Pas d’embouteillages ni d’épidémie de cônes orange, des maisons et des terrains pas chers, des médecins de famille en masse, de la place dans les CPE, des gens accueillants. Et du boulot, du boulot et encore du boulot.

Les entreprises avaient envoyé des représentants pour rencontrer les candidats présélectionnés et leur faire passer de courtes entrevues. L’énergie dans la salle était palpable. Si on m’avait dit ça quand j’écrivais des articles quotidiennement sur les graves problèmes de chômage au Québec au début des années 90, je ne suis pas certaine que je l’aurais cru.

Et si on m’avait dit, en plein cœur de la crise d’Hérouxville en 2007, que tous ces travailleurs issus de notre diversité finiraient par être non seulement accueillis, mais attendus, j’aurais trouvé tout ça un peu surprenant.

Mais en 2018, voilà où nous en sommes.

Donc dans l’autocar, en rentrant de la Beauce, la plupart des voyageurs avaient le cœur léger et quelques-uns, une offre d’emploi en poche. 

Hier, la FCCQ a publié son bilan de cette première phase. Trois des personnes que j’avais interviewées dans mon article sont maintenant au travail. Mais elles ne sont pas en Beauce, elles sont toutes en Abitibi ! 

Parce que le programme de la FCCQ sillonne la province. Et les candidats étaient allés du côté de cette région aussi quelques semaines auparavant.

En tout, 268 entreprises ont participé aux activités de maillage d’« Un emploi en sol québécois », le tout pour tenter de pourvoir 4125 postes. Et 205 personnes immigrantes y ont participé.

Ainsi, 889 entrevues ont été réalisées et 77 offres d’emploi ont été faites, dont un peu moins de la moitié, soit 34, ont été acceptées.

D’autres statistiques fournies par la FCCQ sont toutefois révélatrices d’autres morceaux cruciaux de ce casse-tête.

Quelque 79 % des participants avaient fait des études universitaires, mais seulement 6 % des emplois offerts nécessitaient une formation universitaire. En fait, 50 % des emplois ne nécessitaient pas de formation particulière. Et 44 % des emplois, donc la différence, nécessitaient un diplôme de formation professionnelle ou technique.

Donc la vaste majorité des personnes qui sont parties chercher du boulot en région étaient surqualifiées. Et c’est ça qui bloque leur déménagement en région, et non pas l’idée d’aller vivre au Saguenay ou en Estrie. Selon les données récoltées par la FCCQ, 95 % des personnes immigrantes qui ont participé aux activités ont dit qu’elles accepteraient de déménager à l’extérieur de Montréal pour un emploi correspondant à leurs compétences.

Et cela correspond à ce que j’ai entendu sur la route : des témoignages de plusieurs personnes bien contentes qu’on veuille d’elles, et touchées par l’enthousiasme des Québécois des régions, mais des gens avec des années d’études et d’expérience déplorant qu’on leur offre des emplois aussi décalés par rapport à leur potentiel et à leurs capacités.

On insiste souvent sur la nécessité de trouver des façons d’aiguiller les immigrants, dès leur départ de leur pays d’origine, vers les régions où sont les emplois, plutôt que vers les grands centres pour qu’ensuite ils doivent redéménager. Souvent, on pense que c’est le double déracinement qui bloque les déménagements vers l’extérieur.

Mais ce qui apparaît de plus en plus, c’est un immense décalage entre la formation qu’on attend des travailleurs à qui on accorde le droit d’immigrer et le type d’emplois offerts sur le terrain, ici.

Comme si le discours éternel sur l’économie de l’avenir réservée au savoir n’était pas encore collé à la réalité. Comme si on n’osait pas s’avouer qu’on a encore besoin de jeunes pas nécessairement hyper scolarisés, prêts à être formés en entreprise.

Le programme se poursuit l’an prochain. 

Hâte de voir ce qui arrivera à ces 34 nouveaux Québécois des régions qui ont trouvé du boulot. Envoyez-nous des nouvelles de l’Abitibi.

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