Cuba

Vers un président qui ne s’appelle pas Castro

Pour la première fois depuis près de 60 ans, Cuba se dotera cette semaine d’un président qui n’est pas un Castro et qui n’a pas connu les combats révolutionnaires ayant mené à la prise du pouvoir en 1959. L’heure n’est pas pour autant aux grands chambardements puisque le chef d’État sortant conservera d’importants pouvoirs.

Qui est appelé à devenir président ?

À l’issue d’un complexe processus s’étalant sur plusieurs mois, les membres de l’Assemblée nationale doivent désigner notamment en fin de semaine prochaine le remplaçant de Raúl Castro, qui avait succédé à son frère Fidel à la tête du pays en 2008. Javier Corrales, spécialiste de l’Amérique latine affilié à l’Université Amherst, au Massachusetts, relève que l’élection est « largement théâtrale » et verrouillée par le Parti communiste, ce qui laisse peu de place aux surprises. Il devrait mener, dit-il, à la nomination comme chef d’État de l’actuel premier vice-président, Miguel Díaz-Canel, en poste depuis 2013. Cet ex-ministre de l’Enseignement supérieur, qui est ingénieur de formation, fait partie du bureau politique du parti depuis une quinzaine d’années.

À quoi faut-il s’attendre de sa part ?

M. Corrales note que tout changement de garde, même dans un pays doté d’un régime autoritaire comme Cuba, entraîne des transformations. L’arrivée de Miguel Díaz-Canel ne devrait cependant pas se traduire par des changements « abrupts » dans la manière dont Cuba est géré ou par une « rupture idéologique » avec ses prédécesseurs, prévient le chercheur. Peter Kornbluh, qui a coécrit un livre sur l’histoire des tractations secrètes entre le pays et les États-Unis, pense que le nouveau président tentera, une fois élu, de faire avancer lentement le processus de transformation lancé par Raúl Castro, notamment sur le plan économique. Le fait que l’ancien président conservera la main haute sur le Parti communiste et l’armée, qui joue un rôle important dans l’économie, limitera cependant sa latitude d’action, du moins à court terme.

Raúl Castro a-t-il réellement changé le pays ?

Selon Peter Kornbluh, le frère de Fidel Castro a substantiellement transformé l’économie en permettant au secteur privé de prendre de l’expansion. Il a aussi élargi substantiellement, dit-il, les libertés individuelles dont disposent les Cubains, par exemple en facilitant l’accès à l’internet et les voyages à l’étranger. Il a cependant dû composer avec de fortes résistances, notamment au sein de son propre parti, comme en témoigne le fait que la remise de licences permettant la création de nouvelles entreprises est actuellement bloquée. Diego Osorio, spécialiste de l’Amérique latine affilié à la chaire Raoul-Dandurand, pense que les réformes relativement au secteur privé étaient d’une portée limitée. « Raúl Castro a permis la continuation des choses avec un certain degré d’adaptation », souligne le chercheur en parlant du président sortant, qu’il décrit comme un dirigeant « pragmatique » plutôt qu’un véritable réformateur. Le constat s’applique aussi aux libertés individuelles, relève M. Osorio, en précisant que le régime balise la navigation sur l’internet et continue de limiter avec force le droit de libre association des citoyens à des fins politiques.

Qu’en est-il des relations avec les États-Unis ?

Le rapprochement historique annoncé par Raúl Castro et l’ex-président américain Barack Obama en 2014, après de longues négociations secrètes, est un autre élément important de l’héritage du président cubain sortant, juge Peter Kornbluh. Le nouveau chef d’État américain, Donald Trump, a dénoncé l’accord dans des termes agressifs l’été dernier, mais la plupart des mesures de rapprochement annoncées, dont le rétablissement des relations diplomatiques formelles, restent en place, souligne l’analyste. Diego Osorio relève que les relations diplomatiques ont été touchées par les mystérieux malaises neurologiques qu’ont subis l’année dernière plusieurs diplomates américains en poste à Cuba. Le personnel de l’ambassade a ensuite été sensiblement réduit, ce qui a compliqué les échanges.

Existe-t-il un risque d’implosion du régime ?

La situation économique de la majorité des Cubains demeure difficile, mais il n’y a pas, pour l’heure, de crise majeure, relève Javier Corrales. Dans de telles circonstances, il y a peu de chances que l’armée, qui conserve notamment la main haute sur des pans importants de l’industrie touristique, et le gouvernement ouvrent la porte à des réformes en profondeur. La situation pourrait cependant prendre une tournure plus dramatique si le régime vénézuélien, qui offre depuis des années un soutien important à Cuba, implose, ce qui priverait le pays d’un apport important de ressources naturelles et financières. Diego Osorio relève qu’une telle crise, conjuguée avec un resserrement des politiques migratoires américaines freinant le départ des citoyens les plus insatisfaits, pourrait faire monter substantiellement la tension dans le pays. Il faudra voir alors, dit-il, si le nouveau président et son entourage auront le « charisme » et la crédibilité requis pour garder la maîtrise de la situation.

Les Castro demeurent-ils populaires dans l’île ?

Malgré le manque de liberté politique et les souffrances économiques vécues au cours des années, de nombreux Cubains demeurent attachés aux Castro et à leur héritage, relève Diego Osorio. « Lors de la mort de Fidel, beaucoup de gens pleuraient », souligne le chercheur. La présence de Raúl Castro à la tête du Parti communiste et de l’armée constitue dans ce contexte une « sorte de garantie » de stabilité pour le pays, mais elle ne durera qu’un temps et la suite pourrait se corser. « Il n’est pas immortel », résume l’analyste. Peter Kornbluh ne prévoit pas pour sa part de grands chambardements. « Ce que nous allons voir à Cuba, c’est la poursuite d’une lente et hésitante transformation vers une société plus moderne et plus ouverte, sans soulèvement significatif ou détérioration marquée des institutions », souligne-t-il.

Cuba et les Castro

1959

Les révolutionnaires cubains menés par Fidel Castro prennent le pouvoir en renversant le régime du dictateur Fulgencio Batista.

1961

L’attaque de la baie des Cochons, soutenue par les États-Unis, tourne à la déroute. Le dirigeant cubain proclame la révolution socialiste cubaine et adhère au marxisme-léninisme.

1990

Mise en place de la « période spéciale » d’austérité en réaction à la crise économique causée par l’implosion de l’URSS.

2008

Fidel Castro, malade, annonce son départ du pouvoir. Il est remplacé par son frère Raúl.

2014

Raúl Castro et le président américain Barack Obama annoncent un rapprochement entre les deux pays qui débouche sur le rétablissement des relations diplomatiques.

Avril 2018

Raúl Castro termine son mandat à la présidence. Il demeure néanmoins à la tête du Parti communiste et de l’armée.

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