Éditorial François Cardinal

La politique de la destruction

Dans Le Journal de Montréal cette semaine, le chroniqueur Joseph Facal a publié un texte sur les dérives de la politique aux États-Unis. Il déplore que le débat entre élus ait laissé place, là-bas, à des attaques vicieuses constantes, comme si les adversaires étaient devenus des ennemis à abattre.

Son titre : « La politique de la destruction ».

Or, voilà une expression qui résume à merveille le passage du propriétaire de son journal devant le CRTC mercredi dernier.

Pierre Karl Péladeau ne s’est pas contenté de s’opposer à l’achat de V par Bell, il a haché menu son concurrent, qu’il a attaqué tel un ennemi… à détruire.

Le grand patron de Québecor a traité Bell de « danger public » et d’entreprise « prédatrice ». Il a qualifié ses pratiques d’« abusives ». Il a déploré sa « funeste domination ». Et il a appelé le CRTC non seulement à rejeter l’offre d’achat de Bell, mais aussi à démanteler son concurrent « avant qu’il ne soit trop tard »…

Par où commencer ?

Par l’ironie d’entendre M. Péladeau se plaindre de la concentration d’un groupe médiatique rival ?

Par le ton utilisé dans les trois pages de publicité matraquées chaque jour dans Le Journal de Montréal contre le grand méchant #bigbell, qu’on présente curieusement comme le « seul joueur dominant » du monde médiatique ?

Par ses attaques répétées contre cet « écrasant monopole » qui menace finalement… son propre « monopole » ?

En fait, mettons de côté toutes ces questions tant elles sont évidentes et concentrons-nous sur une interrogation plus fondamentale : aux yeux de PKP, y a-t-il de la place au Québec pour d’autres entreprises que celles de PKP ?

La question est rhétorique, mais elle vaut la peine d’être posée à la lumière de l’agressivité croissante de M. Péladeau contre tout ce qui bouge à l’extérieur de son conglomérat.

Pour reprendre un passage du texte de Joseph Facal, le président et chef de la direction de Québecor ne semble plus vouloir débattre, il cherche aujourd’hui à abattre.

Il n’y a qu’à jeter un œil sur son fil Twitter pour s’en convaincre. M. Péladeau cible avec hargne les politiciens qui se dressent devant lui, comme Pierre Fitzgibbon et François Legault. Il critique régulièrement le travail, l’intégrité et la rigueur de ses concurrents, comme La Presse (44 tweets négatifs en un an !). Et il donne même parfois des surnoms aux personnes qu’il vise, comme le fait Donald Trump.

Et sur le terrain, l’homme est impitoyable. Il attaque souvent en justice ceux qui ne pensent pas comme lui. Il exige qu’on ferme les services qui font de l’ombre à son entreprise, comme le service Extra d’ICI Tou.tv. Et il profite de chaque occasion qui se présente pour dire tout le mal qu’il pense de ses concurrents en ridiculisant leurs positions et demandes.

Jamais à court de contradictions, M. Péladeau ne veut pas que les médias écrits touchent de l’argent public, par exemple, même si ses propres publications (magazines) en profitent.

Le patron du Journal de Montréal attaque l’opacité des chiffres de La Presse, même si son entreprise a choisi l’an dernier de ne plus divulguer les profits ou les pertes de ses journaux.

Le président de Québecor appelle tantôt à plus de concentration (quand ça fait l’affaire de ses entreprises), tantôt à un refus de la concentration (quand ça nuit à ses entreprises).

Prenez le Groupe Capitales Médias. La seule façon de sauver les journaux du groupe, comme Le Soleil et La Tribune, était de les fusionner à son groupe… parce que la concentration était alors l’unique solution à ses yeux.

Mais quelques semaines plus tôt, il conspuait la fusion d’Air Canada avec Transat… justement parce qu’il jugeait la concentration « inacceptable ».

Entendons-nous. PKP a droit à ses stratégies d’affaires. Il est assis sur une entreprise dont la convergence est un modèle d’efficacité. Il fait aussi des gestes honorables pour la collectivité, comme avec le projet Éléphant ou le rachat de Téo.

Mais il importe néanmoins de se questionner sur les conséquences de l’attitude belliqueuse d’un acteur aussi important de Québec inc.

Il importe de se demander à quel point les flèches envoyées par l’ancien chef du Parti québécois empoisonnent le débat public, entachent la réputation d’individus et dégradent la crédibilité d’institutions et d’entreprises.

M. Péladeau a beau être un ex-parlementaire, ses attaques à répétition minent la réputation des politiciens. Même ceux du PQ.

Il a beau être à la tête d’un journal, ses attaques multiples contre la « complaisance » et les « fake news » de ses concurrents nuisent à la réputation des journalistes au Québec. Y compris les siens.

Et les insultes dont il se sert pour qualifier l’un de « complaisant », l’autre de « quêteux » ou encore de « prédateur » augmentent le cynisme contre le monde des affaires. Dont il fait partie.

Manifestement, il n’y a pas qu’au sud de la frontière que la politique de la destruction fait des victimes.

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