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Prêtres et pères de famille

Depuis l’âge de 5 ans, Christian Vermette rêvait d’être prêtre. Mais devenir adulte au milieu des années 70 rendait difficile la perspective de l’abstinence sexuelle. Qu’à cela ne tienne, il a fait une année de retraite pour y réfléchir en 1982. Mais en 1987, le sort lui a forcé la main : son fils Bryan est né.

« Quand j’ai vu la grandeur de la vie, la beauté d’une maman qui met au monde un enfant, j’ai senti la force de la création de Dieu, explique Christian Vermette. Ça m’a fait voir l’abstinence sous un autre jour. » Un séjour en 1995 comme missionnaire laïque au Pérou, alors déchiré par la guerre, a achevé de le ramener au rêve de son enfance. « J’ai annoncé à ma femme que je voulais devenir prêtre. Elle savait que j’y avais toujours pensé. On s’est séparés. »

Après des années difficiles où il étudiait pendant la journée au séminaire de Montréal et travaillait comme camionneur la nuit pour subvenir aux besoins de son fils, qui vivait avec sa mère, le père Vermette n’a pas pu immédiatement accomplir son rêve. L’Église ne voulait pas d’un prêtre avec un jeune enfant, information qui ne lui avait pas été transmise alors. 

« Le refus m’a fait beaucoup souffrir, je me sentais rejeté par Dieu. Je suis devenu l’aumônier officieux des camionneurs québécois. »

— Christian Vermette

En 2013, le responsable du centre où le père Vermette avait fait sa retraite en 1982, Lionel Gendron, est devenu évêque de Longueuil. « Je lui ai écrit pour le féliciter et je lui ai rappelé une question qu’il m’avait posée en 1982, à laquelle je n’avais pas répondu », dit le père Vermette, qui œuvre à Chambly. « On allait tous les deux faire faire la prière d’adoration à 5 h du matin et il m’avait demandé ce que je vivais dans mon silence. Je lui ai répondu en deux ou trois pages. » En 2015, Christian Vermette est finalement devenu prêtre et il entend bien baptiser son petit-fils Caleb, qui a 1 an.

Malgré l’obligation de célibat, il existe plusieurs prêtres catholiques qui sont aussi papas au Québec. Un veuf peut devenir prêtre, tout comme un homme dont le mariage a été déclaré nul par l’Église. Au diocèse de Longueuil, ils sont trois.

Quand Richard Saint-Louis est devenu prêtre, en mai 2015, ses deux enfants, ses petits-enfants, ses frères, sœurs, cousins ainsi que sa mère sont tous venus à son ordination. « Traditionnellement, le lendemain, un nouveau prêtre fait une messe pour sa famille, dit le père Saint-Louis, qui est curé de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste à Longueuil. Mais comme ma famille vient des Laurentides, j’ai fait cette messe là-bas, en même temps que notre traditionnel bouilli en l’honneur de la fête de ma mère. J’ai donné l’eucharistie à 80 personnes. »

Un passé mis au service du sacerdoce

Le père Saint-Louis, lui, était déjà diacre quand sa femme est morte, il y a sept ans, d’un cancer des os. « Je suis vraiment une exception parce que normalement, un diacre ne peut devenir prêtre. Un an après le décès de ma femme, le cardinal Turcotte m’a demandé si j’y avais déjà songé. Il m’a dit que comme évêque, il pouvait appeler un diacre au presbytérat. »

Avoir des enfants donne-t-il un avantage dans la vocation de prêtre ? 

« Je vois que les gens qui viennent me voir pour leurs problèmes de couple savent que pour moi, ce n’est pas juste de la théorie, mais aussi du vécu. »

— Mario Desrosiers

M. Desrosiers est devenu prêtre en 2013 parce que son mariage, qui n’avait pas duré longtemps, mais avait engendré deux enfants, avait été déclaré nul par l’Église en 2000. « Je sens aussi qu’ils sont moins gênés, qu’ils ont moins peur d’être jugés par le prêtre. Pas que mes confrères jugent les gens qui viennent leur parler de leur vie, ceci dit. »

Le père Vermette, lui, pense qu’il lui est plus facile de parler avec des ouailles ayant des problèmes de couple. « L’abstinence, ce n’est pas seulement le prêtre qui la vit. Un homme marié a une abstinence de la voisine. J’ai eu des cas concrets d’infidélité, des gens qui ne savaient pas aller prendre leurs forces pour faire un don de soi concret envers leur famille, leurs enfants, leur épouse. C’est très souffrant. »

Une décision difficile pour les proches 

Comment réagissent les enfants ? « Ils ont bien réagi. Quand ils étaient jeunes, je les emmenais souvent avec moi faire du bénévolat à l’église, servir la messe, je soupais avec des gens de ce milieu », dit le père Desrosiers, qui œuvre à La Prairie. « Ils ont eu un peu d’inquiétude parce que j’avais un bon salaire. Je leur ai dit que je garderais mon emploi tant qu’ils ne seraient pas autonomes. Ils m’ont seulement dit de faire attention à ma santé. Des fois, ils me rappellent à l’ordre : dans l’Église, on peut donner beaucoup. »

Le fils du père Vermette a trouvé la décision de son père plus dure à l’adolescence. 

« Il y avait plein d’histoires de prêtres pédophiles. Je me suis assis avec lui, on a discuté. Après un certain temps, il est devenu fier de mon désir d’être prêtre, même devant ses amis. »

— Christian Vermette

Et les ex-conjointes ? « Quand j’ai décidé de devenir prêtre, un ami m’avait dit qu’il avait été plus surpris que je me marie, dit le père Desrosiers. J’ai gardé de bonnes relations avec la mère de mes enfants tant qu’ils n’étaient pas autonomes, mais on ne se parle plus beaucoup. »

Le père Vermette rapporte lui aussi que son ex-conjointe (il n’a jamais été marié) n’a pas trouvé sa décision « très rose ». « Mais on a fait du travail, et quand j’ai été ordonné, elle m’a écrit un super beau mot : “Lorsque je t’ai vu à terre couché, je me suis rendu compte que tu étais vraiment à ta place.” Elle a aussi dit à mon fils que c’était moi qui lui avais montré à prier. »

En chiffres

De 20 à 30

Nombre de séminaristes au Québec ces dernières années. Ils étaient 600 en 1960.

46 000

Nombre de prêtres au Québec en 1960

4200

Nombre de prêtres au Québec en 2015

Sources : Le Devoir, Assemblée des évêques, Œuvre des vocations

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Christian Vermette

Âgé de 62 ans, il a travaillé tour à tour dans les commerces de sa famille, dans la construction et comme camionneur – il a 4,2 millions de kilomètres sous la cravate. Il a aussi été boxeur dans sa jeunesse. Son fils n’est pas marié – « c’est son affaire à lui » –, mais il pense bien que son petit-fils sera baptisé. Pendant la quinzaine d’années où il n’a pas été admis à la prêtrise même s’il en avait la formation, il a toujours eu la conviction que la Providence l’y mènerait un jour. « J’étais un baptisé qui croyait qu’il deviendrait prêtre, je faisais tout sauf les sacrements, j’ai accompagné 1500 familles. » Son message téléphonique se conclut par ces mots : « Je vous bénis au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

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Richard Saint-Louis

Âgé de 68 ans, il a longtemps été directeur des communications à Immigration Canada. Il est devenu diacre en 2001, statut qui est ouvert aux hommes mariés. Les diacres peuvent célébrer tous les sacrements, sauf la pénitence et l’extrême-onction, et ne peuvent consacrer les hosties. Il a deux garçons de 44 et 45 ans et quatre petits-enfants, qui ont reçu les sacrements – il les a baptisés comme diacre. Seul l’aîné de ses fils s’est marié à l’église et il est maintenant séparé. « Ça arrive dans les meilleures familles. » Il a aussi baptisé les deux filles de sa filleule. « Ç’a été notre première nièce, elle est un peu notre fille adoptive, on était son parrain et sa marraine. »

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Mario Desrosiers

Âgé de 59 ans, il était informaticien à l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Il s’est marié au milieu de la vingtaine, s’est séparé après deux ans, puis est retourné vivre avec sa femme, avec qui il a eu deux enfants. Le couple s’est séparé peu après la naissance de sa fille. « J’ai demandé l’annulation de mon mariage en 2000 parce que je me disais que si j’avais une autre relation, je voulais la vivre dans la foi, je voulais être libre. » Ses enfants ont été impliqués adolescents dans l’Église, mais ils ne sont pas mariés à l’autel. Ils n’ont pas non plus d’enfants.

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Un phénomène québécois

En Italie, très rares sont les prêtres catholiques qui ont des enfants, selon Sandro Magister, le vaticaniste de l’hebdomadaire romain L’Espresso. « On en entend aussi rarement parler aux États-Unis », dit Thomas Reese, jésuite qui enseigne à l’Université Georgetown à Washington. « Cela dit, il y a un certain nombre de prêtres protestants qui ont des enfants et qui deviennent catholiques. Ils peuvent rester mariés dans ce cas-là, un peu sur le modèle des catholiques de rite oriental. »

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