Cave de garde de la saq

Le trésor du Pied-du-Courant sera préservé

Lorsque la SAQ a confirmé qu’elle allait déménager dès l’an prochain son siège social de l’avenue De Lorimier pour le reloger dans l’est de Montréal, à proximité de son centre de distribution, j’ai eu un pincement au cœur. Qu’allait devenir la Cave de garde de la société d’État qui abrite l’une des plus prestigieuses collections de grands crus en Amérique du Nord ?

Alain Brunet, PDG de la SAQ, a entrepris de me rassurer en me confirmant qu’il n’était pas question de déménager cette véritable caverne d’Ali Baba qui renferme des trésors inestimables, comme ce Château d’Yquem 1834, élaboré avant l’avènement de l’ère industrielle dans une bouteille en verre soufflé qui pourrait facilement se vendre à plus de 100 000 $, mais dont la SAQ ne se départira jamais.

Pour mieux me convaincre de la profondeur de son engagement, Alain Brunet m’a invité à faire la visite de cette cave unique au Canada et parmi les mieux dotées en Amérique du Nord.

Une visite à couper le souffle et à donner soif quand on jette un coup d’œil aux étiquettes des bouteilles qui sont couchées pour mieux vieillir. On a ici un Château Haut-Brion 1912, un Mouton Rothschild 1985, des Château Lafite, des Château Cheval Blanc, des caisses de Petrus 2005 dont les bouteilles se détaillent à plus de 6000 $ pièce…

« On a vendu le bâtiment de l’avenue De Lorimier à Télé-Québec et à la SODEC, qui vont poursuivre une occupation respectueuse du caractère patrimonial des lieux que la SAQ a totalement restaurés dans les années 80.

« On voulait regrouper nos équipes administratives dans un même endroit et c’est pourquoi on déménage dans l’est, où on a 1,3 million de pieds carrés », explique le PDG.

« On a mis quatre ans avant de réaliser la transaction parce qu’on voulait s’assurer que le site de la vieille prison du Pied-du-Courant, la Maison du gouverneur et le Musée des patriotes soit préservé. »

— Alain Brunet, PDG de la SAQ

Mais l’acte de vente a prévu une servitude qui accorde à la SAQ le droit d’usage de sa Cave de garde, conservée au sous-sol du bâtiment, ainsi que la préservation des 300 celliers que la société loue à des amateurs de vins qui y entreposent chacun quelque 600 bouteilles en moyenne.

Les locataires des espaces celliers ont accès à leur réserve par une entrée propre. La Cave de garde est pour sa part totalement sécurisée par un système d’accès complexe réservé exclusivement à quelques personnes. Même le PDG est incapable d’y accéder sans qu’un sommelier l’accompagne.

Une cave lumineuse de trésors

La Cave de garde de la SAQ conserve dans des conditions optimales 85 000 bouteilles de grands vins, de toutes les époques. La plus vieille relique, un vin espagnol de la maison Malaga, date de 1800. La Cave est principalement garnie de grands crus de Bordeaux, de Bourgogne, d’Italie et d’Espagne.

Ce petit trésor a été accumulé au fil des 90 ans d’histoire de la société d’État, mais la pratique de la mise en garde s’est systématisée au cours des 20 dernières années.

« Il y a une demande pour ces produits exceptionnels. On achète encore de vieux millésimes rares des grandes maisons parce qu’on est un bon client.

« On fait toutefois de plus en plus la garde de grands vins dès qu’ils sont commercialisés en redirigeant 10 % des commandes vers notre Cave de garde, où ils vont pouvoir prendre de la maturité durant 20, 30 et 40 ans », précise Alain Brunet.

Au fil des ans, la SAQ a aussi réalisé l’acquisition de collections personnelles importantes, dont celle du restaurateur Champlain Charest, qui lui a vendu quelque 13 000 bouteilles, en 2012.

Alain Brunet m’a d’ailleurs fièrement présenté un magnum de Romanée-Conti 2004, spécialement embouteillé pour Champlain Charest, dont la valeur commerciale est évaluée aujourd’hui à 100 000 $.

Quels sont donc les clients qui peuvent s’offrir pareille extravagance ?

« Il y a des connaisseurs passionnés qui sont prêts à investir beaucoup pour réaliser leur rêve. Mais nos principaux clients font partie des 20 000 abonnés à notre revue Le Courrier vinicole destinée aux amateurs de grands vins et nos habitués de nos deux succursales Signature à Montréal et Québec », explique le PDG.

Chaque année, la SAQ informe ces riches clients quels grands crus de sa Cave de garde elle prévoit mettre en marché. La société tente d’assurer le roulement d’environ 10 % de ses stocks de garde.

Mais comme dans les contes des Mille et une nuits, les trésors servent d’abord à faire rêver. Celui que la SAQ entretient et renouvelle chaque année est bien réel, mais il restera un rêve inaccessible pour la plupart d’entre nous. Pourtant il existe et continuera d’exister, sous un pont, dans l’ancien village du Pied-du-Courant.

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