Légalisation du cannabis

Gare à la banalisation, prévient le directeur de santé publique

Québec — La légalisation de la marijuana ne doit pas entraîner la banalisation de ce produit qui doit être traité avec précaution, prévient le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda. Une libéralisation mal évaluée préparerait la voie à de sérieux problèmes de santé publique, explique-t-il dans une entrevue accordée hier à La Presse.

« Légaliser, ce n’est pas banaliser. Cela veut dire s’en occuper, réglementer », souligne le patron des directions de santé publique du Québec. Les profits de la mise en marché de la marijuana devraient « fournir l’argent nécessaire pour des programmes de prévention et d’éducation », lance-t-il. Si les gains économiques dominent le débat, les gouvernements voguent vers des problèmes.

Dossier délicat pour un médecin que celui de la libéralisation de la drogue, convient-il d’entrée de jeu. « C’est une question teintée de beaucoup d’éléments émotifs. Il y a un paradoxe : on est devant une substance considérée comme mauvaise, qui est dangereuse. Utilisée occasionnellement, passé un certain âge, il n’y a pas de conséquences. »

« Chez les jeunes ou les gens qui ont des problèmes de santé mentale, [la marijuana] peut entraîner des dommages énormes. »

— Le Dr Horacio Arruda

Partout dans le monde, l’approche qui se dégage en matière de drogues va vers la décriminalisation. Persister à considérer la possession de marijuana comme un crime embourbe inutilement le système de justice, mais surtout, cela incite les consommateurs à ne pas solliciter d’aide, souligne le médecin.

« Le Québec n’est pas le Colorado ni le Portugal. » Au Portugal, le gouvernement a libéralisé l’utilisation de toutes les drogues, même dures. Résultat ? La consommation a baissé et les personnes dépendantes ont eu un bien meilleur suivi médical. Si le cannabis est légalisé au Québec, il faut s’attendre à une augmentation de la consommation. Toutefois, cette recrudescence, liée aux « curieux » désireux d’essayer la nouvelle tendance, sera de courte durée.

Trouver l’équilibre

Les études sont éloquentes. Dans un marché où une drogue est prohibée, on constate un niveau élevé de problèmes de santé publique. Cela diminue avec la légalisation, mais si on libéralise à tout crin, les problèmes augmentent. « Il s’agit de trouver l’équilibre », observe le Dr Arruda.

« Si on fait la promotion du cannabis comme “art de vivre”, comme pour la cigarette il y a quelques décennies, ou si on commence à penser d’abord aux questions de financement, on est en route pour des problèmes de santé publique », insiste-t-il. Comme ses collègues, il constate que si un adolescent est exposé trop jeune, les conséquences peuvent être importantes. « L’âge reste à voir, mais ce ne doit certainement pas être en bas de 18 ans », l’âge suggéré par le projet de loi C-45. Il est vrai que l’Ontario a mis la barre à 19 ans pour la consommation d’alcool. Mais il faut doser les interventions.

« Si on est trop restrictif, on ne sera pas capable d’amener les gens qui consomment du produit illégal à se tourner vers un produit licite. »

— Le Dr Horacio Arruda

Le Canada et le Québec sont parmi les endroits dans le monde où le cannabis est le plus consommé. La consommation est légèrement en régression actuellement. Mais si on ouvre la barrière « et que cela part de tous les côtés, on est à risque », estime le médecin. « On ne devrait pas faire la promotion du cannabis », tranche-t-il. Les emballages devraient informer les consommateurs des risques que comportent ces produits pour la santé. Sur les points de vente, pas question de permettre l’accès dans les succursales de la Société des alcools. De plus, il faudra selon lui éviter de favoriser l’accès dans les secteurs où la population est vulnérable.

Éliminer le marché noir

Les prix seront déterminés par les gouvernements, mais au début, il ne faudra pas trop se démarquer des prix exigés sur le marché noir, observe-t-il. Il s’agit d’éliminer le marché illicite. Or, comme pour le tabac, celui-ci perdurera si les consommateurs voient un avantage à acheter au noir.

Une fois que le profil de consommation favorisera le marché licite, les gouvernements pourront augmenter le prix « pour obtenir un effet dissuasif ». « La contrebande ne s’élimine pas complètement, mais elle se contrôle si on pose les gestes appropriés. Les gens à la base préfèrent savoir ce qu’ils fument… », rappelle le Dr Arruda.

« Des gens qui consomment du cannabis, actuellement, il y en a plein. Il y a des parents qui initient leur enfant au pot, disant que ce n’est pas si grave. Or le pot d’aujourd’hui n’est pas celui d’avant. Les concentrations de THC [l’ingrédient psychoactif] ont augmenté de façon très importante. »

Sur la conduite automobile, la recherche n’est pas terminée. Tout le monde rêve d’un test aussi simple que l’alcootest. Des tests de salive sont en voie de développement, mais il faudra pouvoir aussi mesurer l’effet conjugué du cannabis et de l’alcool, qui peut avoir des conséquences dramatiques. Au-delà de la conduite automobile, il faut songer aussi à la sécurité au travail, rappelle le spécialiste.

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