Santé

Le mythe de la noyade sèche

Il y a quelques semaines, les médias américains ont rapporté la mort d’un petit garçon âgé de 4 ans, Francisco Delgado, cinq jours après une baignade au Texas. Les médecins soignants ont indiqué aux parents que le bambin – qui aurait vomi plusieurs fois durant cette période – avait de l’eau dans ses poumons et autour de son cœur. Il serait mort de ce qu’ils ont appelé « une noyade sèche ».

La nouvelle s’est répandue sur les réseaux sociaux et sur des blogues (dont le populaire Maman pour la vie), avant d’être reprise par les médias nationaux.

La perspective de mourir plusieurs jours après une baignade a créé un sentiment de panique. Il suffisait, pour risquer la mort, de boire la tasse et d'emplir ses poumons d’eau.

De nombreux médecins ont fait le saut en entendant ces explications. C’est le cas de l’anesthésiologiste Marilyn Gravel, qui a jugé bon de remettre les pendules à l’heure.

« Quelqu’un qui prend un bouillon d’eau ne mourra pas cinq jours plus tard. »

— La Dre Marilyn Gravel, anesthésiologiste

« Pour être en véritable danger, il faut qu’il y ait eu une immersion dans l’eau. Si l’enfant n’a pas perdu conscience, mais qu’il est en détresse respiratoire parce qu’il a ingurgité de l’eau, les symptômes [essentiellement de la toux] auront lieu dans les minutes, alors, bien sûr, il faut se rendre aux urgences. Mais il faut qu’il y ait quasi-noyade ! », explique la médecin.

Selon la Dre Gravel, qui travaille à l’hôpital Pierre-Boucher, il est pratiquement impossible que le bambin de 4 ans soit mort d’une noyade sèche cinq jours après sa baignade.

« Est-ce que l’eau était souillée ? Est-ce que le petit garçon a fait une pneumonie ? On n’a pas encore les détails de l’autopsie, nous dit-elle. Mais ce que je peux vous dire, c’est que si la situation ne s’est pas dégradée dans les six heures suivant l’incident, elle ne va pas se dégrader après cinq jours. Ce n’est pas possible de fonctionner normalement pendant tout ce temps. »

La noyade sèche désigne en fait une mort par noyade, mais où il n’y a pas d’eau dans les poumons de la victime, explique la Dre Gravel. « C’est une situation qui survient lorsque le larynx se referme [un laryngospasme] en réaction à l’inhalation d’eau, mais qui, ce faisant, empêche l’oxygène de monter au cerveau. Dans ce cas, la mort survient dans les minutes qui suivent. »

De toute façon, le terme « noyade sèche » n’est employé ni par la communauté médicale ni par la Société de sauvetage, qui utilise la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir : « Une insuffisance respiratoire résultant de la submersion ou de l’immersion dans un milieu liquide. » Trois issues sont alors possibles pour la victime : la mort, la noyade avec séquelles et la noyade sans séquelles.

« On ne parle pas de noyade sèche parce que tous les mécanismes de noyade, que ce soit parce qu’il y a eu aspiration d’eau ou laryngospasme, vont mener à un manque d’oxygène au cerveau, nous dit la Dre Marianne Beaudin, chirurgienne pédiatrique et chef du service de traumatologie au CHU Sainte-Justine. On ne veut pas non plus que les gens croient qu’ils peuvent mourir cinq jours après avoir avalé un bouillon d’eau. »

« Une personne qui a dû être réanimée parce qu’elle a été trop longtemps sous l’eau [plus de cinq minutes] doit absolument se rendre aux urgences pour une évaluation, nous dit encore la Dre Beaudin. On va les observer pendant une période de 6 à 8 h. Si tout va bien à la fin de cette période, on est à l’aise de renvoyer le patient à la maison. Mais si les symptômes de détresse respiratoire réapparaissent, il faut retourner aux urgences. »

Vent de panique

Depuis l’incident du petit Francisco Delgado, le directeur général de la Société de sauvetage, Raynald Hawkins, a été joint par de nombreux parents inquiets.

« Il a fallu rassurer les gens, nous dit-il. Leur expliquer qu’il n’y avait pas de risque de mourir simplement parce que leur enfant avait pris un bouillon d’eau. Les personnes qui sont en détresse respiratoire après avoir été immergées dans l’eau, on ne les laisse pas partir toutes seules. Les sauveteurs interviennent et ils font appel aux services d’urgence. »

« Si quelqu’un boit la tasse, on va lui demander [à lui ou à ses parents] de surveiller certains signes qui pourraient faire leur apparition dans les heures qui vont suivre, nous dit son collègue François Lépine : des difficultés respiratoires qui peuvent s’apparenter à de l’asthme, une toux anormale, un teint pâle, ce sont les séquelles d’une quasi-noyade. Dans ces cas, on recommande aux gens de consulter un médecin. »

« Les sauveteurs sont entraînés à repérer les non-nageurs – nombreux dans les camps de jour –, poursuit-il. Sous l’eau ou à la surface de l’eau. Habituellement, ils n’appellent pas à l’aide, leur tête va monter et descendre, on voit rapidement qu’ils sont en détresse et on intervient immédiatement pour les sortir de l’eau. Mais il y a une foule de mesures préventives que nous mettons en place pour éviter ces situations. »

Parmi celles-ci, François Lépine mentionne entre autres la mise en place de tests d’habiletés dans l’eau pour s’assurer que tous ceux qui sont dans la piscine savent nager.

« La surveillance aquatique, l’indication de la profondeur des bassins sont d’autres mesures de prévention utilisées », note-t-il. Raynald Hawkins, qui inaugurera demain la Semaine nationale de prévention de la noyade, se réjouit de voir le nombre de morts par noyade diminuer d’année en année. « Il y a 30 ans, on parlait de 200 noyades par année au Québec ; aujourd’hui, c’est moins de 70 par an. »

La Semaine nationale de prévention de la noyade (SNPN) aura lieu du 16 au 22 juillet.

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