La Presse aux Mondiaux de Seefeld/Ski de fond

La dernière grande course

À la veille de la dernière grande course de sa carrière, Alex Harvey est parfaitement serein. Ni « nostalgique » ni « émotionnel », le tenant du titre est prêt à se battre pour le podium au 50 km des Championnats du monde de Seefeld, aujourd’hui.

Les bagages d’Alex Harvey sont déjà faits. Avec le reste de l’équipe canadienne, il prendra la route de Munich aujourd’hui après la course. La question est de savoir s’il passera d’abord par la cérémonie des médailles.

À 24 heures du départ, le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges suivait à la télévision le 30 km des femmes avec deux coéquipiers, dans la salle à manger de son hôtel. L’Américaine Jessica Diggins piochait comme une bonne dans son style particulier. Elle a finalement terminé quatrième, s’écroulant dans la neige après avoir traversé la ligne.

« Demain [aujourd’hui], je veux me battre comme Jessie, a-t-il annoncé. Je veux avoir ce feeling-là. C’est sûr que j’en veux, un podium, mais ce qui va dicter si je suis satisfait ou non, c’est vraiment de m’être battu. »

En maillot d’entraînement et chaussettes, Harvey ne donnait pas l’impression d’être à la veille de disputer la dernière grande course de sa carrière, le 50 km style libre des Championnats du monde de Seefeld, où il s’élancera avec le dossard jaune du vainqueur sortant.

Détendu avant sa sieste, l’athlète de 30 ans a pris une grosse demi-heure pour discuter avec les deux journalistes québécois venus l’interviewer.

« J’y pense un peu, mais pas tant que ça, honnêtement. Je n’ai pas l’impression, en tout cas, que ça change mon approche pour demain. Je ne suis pas nostalgique, je n’ai pas l’impression que je suis plus émotionnel ou quelque chose comme ça. »

— Alex Harvey

Après son jogging de fin d’après-midi, le souper et la rencontre d’équipe, il envisageait de visionner quelques fins de course sur son ordinateur, dont le 15 km disputé au même endroit l’an dernier, où il avait terminé deuxième derrière le Suisse Dario Cologna.

Il connaît la dernière boucle par cœur, sait exactement où il devra se positionner (« Pour gagner, il faut que je sois dans les trois premiers à la dernière montée »), prévoit déjà les tendances de ses adversaires (« Sundby va essayer là, c’est sûr »).

Au moment de s’endormir, son cœur aura battu un peu plus fort, mais pas plus qu’à la veille du skiathlon, où il a fini sixième la semaine dernière.

« Ç’a quand même été ma meilleure course de distance de l’année, s’est-il encouragé. Je me sentais mieux qu’à n’importe quel moment de la saison. Mais là, j’ai l’impression que je me sens encore mieux. »

Une photo de Harvey orne la vitrine d’une boutique d’équipement située près de l’entrée du stade de Seefeld. Bouche grande ouverte, le Russe Sergey Ustiugov à ses trousses, le Canadien produit un effort ultime avant de gagner la médaille d’or du 50 km à Lahti en 2017. « La volonté de compétitionner, la volonté de jouer », dit le slogan de son équipementier Salomon.

Harvey se souvient surtout qu’à trois kilomètres de l’arrivée, au moment où Martin Johnsrud Sundby et les Norvégiens tentaient de le décrocher, il a senti que la victoire lui appartenait.

« Je voyais que les gars commençaient à se faire lâcher autour de moi et j’étais vraiment en contrôle de mes moyens. J’étais là : “Aujourd’hui, je gagne.” C’était vraiment tripant. Ç’a été l’une des courses les plus faciles de ma vie. Ce jour-là, je volais. »

Premier non-Européen vainqueur de l’épreuve reine du ski de fond, il avait franchi la distance en 1 heure 46 minutes, un record.

Avec le soleil et les 13 °C annoncés aujourd’hui, les conditions risquent d’être plus molles et moins rapides dans le Tyrol autrichien. Théoriquement désavantagé face à des rivaux plus légers, Harvey n’en fait pas de cas.

« Mes meilleurs résultats, ç’a été dans de la sloche comme ça, surtout à Falun, le skiathlon que j’avais gagné devant Sundby et ma première victoire dans un prologue [en 2014]. »

Il note aussi que son style est moins explosif que celui d’Ustiugov, par exemple, son amplitude de mouvement lui permettant de minimiser l’impact négatif de la neige qui défonce. En revanche, il admet que des poids plume comme les Norvégiens Simen Hegstad Krüger et Sjur Røthe, spécialistes des longues distances, seront favorisés sur une telle surface.

En revanche, Harvey a une confiance énorme en ses skis Salomon, dont il possède des prototypes ultrarapides sur fond mou. Diggins, qui partage le même équipementier, en a fait une démonstration éloquente dans les descentes hier. Après sa médaille d’or au skiathlon, Røthe lui a également avoué n’avoir jamais disposé « de skis aussi rapides de [sa] vie ».

Les adversaires

Le tenant du titre a déjà identifié ses principaux adversaires. À la peine au relais, Ustiugov ne l’inquiète pas trop. Son compatriote Alexander Bolshunov, qui s’est beaucoup amélioré en pas de patin, sera cependant un rival de taille. Les quatre Norvégiens sont incontournables, « surtout Sundby et Røthe », déjà doubles médaillés d’or à Seefeld. Cologna, « un grand champion », monte en puissance, « et quand il est proche comme ça, il est capable de créer des choses ».

« Honnêtement, j’ai de la misère à en voir d’autres [des prétendants] », a affirmé Harvey. Lui-même se voit jouer la gagne, surtout si la course se décide au sprint, scénario pour lequel il n’envisage pas d’autre rival qu’Ustiugov. « Si j’arrive en haut de la côte avec eux, ce sera ma faute si je perds. » La route pour Munich pourra bien attendre un peu.

« Arrête d’en faire, du bécycle ! »

Une autre affaire de dopage à grande échelle aura donc entaché ces Mondiaux, comme un rappel du contexte dans lequel Harvey a évolué pendant une décennie. 

Quelques-uns de ses rivaux directs, au premier chef le Kazakh Alexey Poltoranin, se sont fait prendre la main dans le sac – ou une aiguille dans le bras pour l’Autrichien Max Hauke – et ont avoué leurs méfaits hématologiques. Harvey n’a évidemment aucune pitié pour ces tricheurs. Il se demande pourquoi la justice sportive est souvent si clémente. Après tout, relève-t-il, « participer aux Jeux olympiques n’est pas un droit fondamental, c’est un privilège ».

Dans la même veine, hier, il s’indignait un peu de la publication d’un texte au « je » de l’ex-cycliste Floyd Landis, lu plus tôt dans la journée sur le site internet de Radio-Canada. « Ils veulent quoi, qu’on se sente mal pour Floyd Landis ? »

L’ex-cycliste américain déchu y raconte l’« affreux dilemme moral » devant lequel il s’est trouvé au moment de céder au dopage. « Tu la prends, cette décision, a réagi Harvey. Floyd Landis vit aux États-Unis, nous, on vit au Canada. Ce n’est pas une question de vie ou de mort. Arrête d’en faire, du bécycle ! »

Soulagement pour Stewart-Jones

Après deux courses difficiles, après lesquelles elle est allée pleurer sa peine dans la tente de l’équipe, Katherine Stewart-Jones a rebondi pour sa dernière épreuve aux Mondiaux de Seefeld, hier. La fondeuse de Chelsea a pris le 28e rang du skiathlon de 30 km, son meilleur résultat à vie à ce niveau de compétition. « C’est sûr que j’ai connu un début un peu décevant, je suis donc contente de finir comme ça, a-t-elle commenté. Je savais que j’avais un top 30 en moi. » Elle a terminé à plus de huit minutes de l’intouchable Norvégienne Therese Johaug, qui a décroché un troisième titre sur la distance. Stewart-Jones s’est félicitée d’avoir changé de skis aux deux tiers de l’épreuve, ce qui lui a permis d’être plus à l’aise par la suite dans les descentes. À partir du 13 mars, l’athlète de 23 ans participera aux Championnats canadiens, présentés à son club local de Nakkertok, dans la région de Gatineau, avant de participer aux finales de la Coupe du monde de Québec, du 22 au 24 mars.

— Simon Drouin, La Presse

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