Acériculture
Révolution dans le sirop
La Presse
« J’ai eu envie d’ouvrir la fenêtre pour laisser entrer un peu d’oxygène », compare Florent Gagné. Son rapport très attendu sur l’état de l’acériculture québécoise a été dévoilé hier midi, à Québec. Son contenu ébranle la façon dont se gère actuellement le marché de l’érable, contrôlé par la Fédération des producteurs acéricoles du Québec.
« C’est un système dépassé qui ne ressemble pas à notre société », lance en entrevue M. Gagné, ancien directeur de la Sûreté du Québec, qui a reçu le mandat de faire la lumière sur l’acériculture au printemps dernier. Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Pierre Paradis, était inquiet de voir que le Québec a perdu 10 % de la part de marché mondial du sirop d’érable. Durant ce temps, l’acériculture américaine a prospéré. « Le sirop d’érable n’est plus la seule affaire du Québec », estime Florent Gagné, qui propose plusieurs brèches dans le système de gestion commune mis en place et géré par la Fédération.
Le Rapport compte 21 recommandations, dont l’abolition des contingents, ces droits d’entailler les érables qui limitent la production québécoise. Si cette recommandation était mise en place, les acériculteurs pourraient augmenter leur production de sirop à leur guise. Autre recommandation majeure : la possibilité pour un acériculteur de faire ses affaires en marge de la Fédération, à condition qu’il paye sa contribution au régime collectif. C’est précisément ce que demandent certains producteurs qui s’opposent aux mécanismes mis en place par la Fédération et contestent ce système devant les tribunaux. Jusqu’à maintenant, la Fédération n’était pas favorable à un tel assouplissement.
Présentement, tous les producteurs qui font du sirop en vrac (90 % de la production québécoise) doivent passer par l’agence de vente de la Fédération, qui prélève 0,12 $ par livre de sirop livré.
Florent Gagné ne met pas un terme au système actuel. « Je vois plutôt mon rapport comme étant sous le signe de la continuité », explique-t-il. L’étude commence d’ailleurs en rappelant que l’acériculture québécoise se porte bien : la production de sirop, l’exportation et le prix payé aux agriculteurs ont tous augmenté. Il faut cependant rendre le système plus souple, dit Florent Gagné.
« Tous les feux sont verts sur le marché international. Alors, soyons assez intelligents pour nous enlever une rigidité que nous nous sommes nous-mêmes imposée. »
— Florent Gagné
En plus d’aborder les mécanismes de mises en marché des produits de l’érable, Florent Gagné parle de la qualité du sirop, un aspect qui est souvent laissé de côté. « On a beaucoup travaillé sur le volume et on a développé un produit standardisé, déplore Florent Gagné. Il faut aussi travailler sur la différenciation du produit. On a vraiment du chemin à faire. Les Québécois ont changé. Il faut arriver à faire un produit que les consommateurs veulent, plutôt que de leur imposer ce qu’on a en main. Présentement, les acheteurs sont condamnés à acheter les lots que la Fédération leur impose. »
Reste à voir maintenant ce que le ministre Pierre Paradis va faire de ces 21 recommandations. En 2008, Jean Pronovost avait présidé la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois qui avait conclu qu’il fallait mettre fin au monopole syndical de l’Union des producteurs agricoles du Québec. La recommandation n’avait pas eu de suite.
Hier midi, en conférence de presse, Pierre Paradis a clairement fait savoir qu’il entend mettre en œuvre les recommandations du rapport Gagné. « Je n’ai pas la réputation de tabletter des rapports », a-t-il dit, aux côtés de Florent Gagné. « En une dizaine d’années, nous avons perdu 10 % de nos parts de marché à l’échelle mondiale, et, si rien ne change, c’est un autre 10 % qui sera perdu d’ici 2025. Le repositionnement de cette industrie est devenu incontournable. En me projetant en 2025, je ne voulais pas laisser le souvenir d’un ministre qui n’a pas posé les gestes nécessaires pour enrayer ce déclin », a ajouté M. Paradis.
Le ministre a aussi fait une distinction fondamentale entre le système de gestion commune de l’érable et celui de gestion de l’offre qui existe dans le marché du lait, des œufs et du poulet. Ce dernier « permet de contrôler le marché au Canada, contrôler les frontières, découle d’un plan national et d’entente entre toutes les provinces » a précisé le ministre. Alors que le sirop d’érable est un produit en libre marché. Le sirop américain entre au Québec sans limites et environ 90 % du sirop québécois est exporté.
« D’entrée de jeu, il y a des recommandations auxquelles on adhère », explique le directeur général de la Fédération, Simon Trépanier. Certaines vont demander réflexion, dit-il. La Fédération a d’ailleurs prévu réagir au Rapport Gagné la semaine prochaine. Par contre, Simon Trépanier pouvait déjà avouer hier que certaines des suggestions faites par Florent Gagné sont irrecevables aux yeux de la Fédération. Comme celle d’abandonner les contingents. « Il faut comprendre l’impact que ça peut avoir, dit-il. Les gens qui ne connaissent pas le marché collectif ne le réalisent parfois pas. »