Chronique

Parce que c’est compliqué ?

Vous ne connaissiez probablement pas Jian Ghomeshi avant dimanche dernier, avant qu’un scandale sexuel ne fasse imploser l’étoile de cet animateur de la CBC.

Maintenant, vous savez probablement que huit femmes accusent Gomeshi de s’être comporté comme une brute avec elles, lors de relations sexuelles. Une autre femme l’accuse de lui avoir fait des attouchements quand elle travaillait avec lui à Q, l’émission quotidienne gigapopulaire qu’il avait créée et qu’il a perdue, quand CBC l’a congédié, dimanche dernier.

C’est le Toronto Star qui a révélé l’essentiel des témoignages incriminants contre l’ex-star de la radio publique anglophone, témoignages qui pulvérisent sa version des faits, selon laquelle Ghomeshi aime le sexe sado-maso entre adultes consentants.

Dans les premières phases de l’affaire Ghomeshi, dimanche et lundi, des milliers de personnes ont eu ce commentaire : « Pourquoi elles ne sont pas allées à la police ? »

Ben oui, pourquoi raconter ces histoires à un journaliste plutôt qu’à la police ?

Réponse, après réflexion : « Parce que c’est compliqué. »

Non, en fait, permettez que j’ajoute un point d’interrogation. Ça fait une réponse un peu bâtarde, mais c’est tout à fait en phase avec la complexité des cas d’agressions sexuelles : « Parce que c’est compliqué ? »

C’est ma meilleure réponse, après avoir lu ces derniers jours plusieurs femmes raconter leurs mauvaises expériences intimes, dans la foulée de l’affaire Ghomeshi. La débâcle de l’animateur aura eu ceci de bon : la question de la violence sexuelle, sous toutes ses formes, est à l’ordre du jour.

Les femmes parlent, disent ce qu’elles ont enduré, ce qu’elles ont choisi de faire après avoir croisé un Ghomeshi, ou une autre de ses versions plus ou moins soft.

Aller à la police ? Bien souvent, pour dire quoi ? Y a pas de traces. Pas de vidéos. Pas de témoins. Ma parole contre la sienne. Et dans le cas de Ghomeshi, rappelez-vous, la parole d’un demi-dieu à Toronto et ailleurs dans ce pays.

Aller à la police, pour aboutir en cour ? Me faire demander par un avocat combien de vodkas-canneberges j’avais bues ? Si j’avais fumé un joint avant ? Avec combien de gars j’ai couché dans ma vie ? Pourquoi je n’ai pas crié plus fort ?

Fuck that, se disent-elles bien souvent.

La vie continue. Et elles tentent d’oublier, de passer à autre chose.

Puis, un jour, dans le cas des filles qui ont croisé la route de Jian Ghomeshi, le téléphone sonne : « Hi, it’s Kevin Donovan, from The Toronto Star… »

Quand ils pensent à une agression sexuelle, les gars ont tendance à imaginer le viol dans le fond d’une ruelle commis par un inconnu. Ça existe. Mais il y a tout un spectre d’actes, quand on parle de l’agression sexuelle, toute une palette de gris aussi, entre l’attouchement et le viol par un inconnu.

Toutes les filles savent ça. La plupart ont expérimenté une agression qui se situe dans ce spectre. Je lis dans vos pensées, les gars : il exagère, que vous vous dites…

Votre projet de fin de semaine, les gars : sondez les filles autour de vous. Quatre, cinq, disons. Et demandez-leur si elles se sont déjà fait tripoter par un mononcle cochon dans un party de famille. Si elles ont déjà eu peur, une fois seule avec un gars. Si elles ont toujours été pleinement consentantes. Si elles ont croisé, une fois dans leur vie, un Ghomeshi qui les avait conviées, sans le leur dire, au remake intime d’un film porno violent.

Et vos blondes, vos mères, vos sœurs, vos amies vont vous raconter des choses surprenantes.

Ce ne sera pas toujours le viol au fond de la proverbiale ruelle. Des fois, on parle de trucs qui ne déclencheraient même pas d’enquête policière, mais qui vous donneront quand même le goût de casser une gueule. Ou deux.

La violence sexuelle, c’est un peu comme le racisme. Blanc dans une société de Blancs, tu peux facilement penser que le racisme, bien sûr que ça existe, mais il y a quand même un peu d’exagération…

La violence sexuelle, pareil. C’est rarement le gars qui se fait pogner les fesses, qui se fait tasser dans un coin au party de Noël par un mononcle ou un collègue libidineux, qui gèle de peur au point de ne pas pouvoir dire, à un moment donné, « non » ou « arrête ».

C’est l’autre 50 % de l’humanité qui vit ça, les femmes.

Pas tout le temps, pas partout. Mais assez souvent pour qu’une petite peur de l’homme les habite, malgré tout.

Je vous jure, les gars, parlez aux femmes de votre entourage, avant de juger, avant de voir le spectre que j’évoque plus haut en noir et blanc.

Et après, tant qu’à y être, parlez à vos fils. La sexualité et le respect de la femme, c’est comme le hockey et le vélo : ça s’enseigne.

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