inondations printanières

Courtier en bottes de pêche

Être chef des nouvelles, c’est généralement s’assurer qu’aucune nouvelle ne nous échappe, dépêcher des reporters là où l’action se déroule, discuter avec les collègues sur le terrain de l’angle que prendra leur couverture, ou de la forme que prendra leur reportage. Mais lors des inondations printanières qui ont touché une bonne partie du Québec, le boulot de courtier en bottes de pêche s’est ajouté à la définition de tâche de l’auteur de ces lignes.

Effort collectif

De Quyon, aux confins de l’Outaouais, à Yamachiche en Mauricie, près d’une vingtaine de reporters et photographes de La Presse ont été dépêchés pendant des semaines sur le terrain pour aller à la rencontre des milliers de sinistrés. Une véritable gymnastique logistique afin de s’assurer que tous les collègues participent à l’effort, et qu’aucun de ceux qui raffolent des couvertures au cœur de l’action ne soit laissé de côté. Au bout du compte, des reporters couvrant habituellement les sports ou la politique fédérale ont appuyé nos généralistes, les deux pieds dans l’eau.

« As-tu des bottes ? »

Mais pour se rapprocher des gens au cœur du drame, ont dû s’ajouter aux habituels calepins et stylos les bottes et salopettes de pêche. Un photographe qui a décidé d’aller sur le terrain avec de simples bottes de pluie l’a appris à ses dépens. Elles se sont remplies d’eau, et il a attrapé un bon rhume. Il a donc fallu envoyer nos reporters faire la tournée des Canadian Tire pour en trouver. « As-tu des bottes ? » est rapidement devenue la phrase la plus souvent écrite dans mes courriels aux reporters affectés sur le terrain. Plus qu’aux photographes d’ailleurs, ceux-ci étant généralement plus prévoyants que les journalistes en matière d’équipement. L’attirail était essentiel, comme le rapporte le photographe Alain Roberge. « Il restait moins de deux centimètres, en Mauricie, pour ne pas être inondé dans la salopette. »

Face à la pénurie

Le hic, c’est que les bottes de pêche disparaissaient des étalages comme des petits pains en raison des inondations. « J’ai acheté la dernière paire dans un magasin, en même temps que l’avant-dernière paire achetée par un sinistré. Très sympathique, le monsieur m’a invité à sa résidence inondée. Il s’agissait du premier matin d’inondations à Pierrefonds », se remémore le photographe Patrick Sanfaçon, qui a passé pas mal de temps à l’eau. Cela nous a aussi permis de nous rappeler qu’idéalement, il était préférable de s’approvisionner en bottes dans les magasins un peu plus éloignés des zones sinistrées, pour ne pas en priver les résidants qui en avaient besoin. « Il y a encore des 8 au magasin de Saint-Léonard », ai-je ainsi texté à une collègue, un matin. « Toutes les paires à 90 $ sont soldées à 50 $ », ai-je fait remarquer, un autre jour. Un collègue s’est quand même offert LE modèle de luxe à 250 $. « C’est tout ce qui restait », nous a-t-il expliqué.

Question de tailles

Finalement, c’est une bonne douzaine de paires de bottes que nos troupes se sont procurées. Chaque jour, nous dressions l’inventaire afin de s’assurer que tout le monde affecté à la couverture du lendemain ait les siennes. « Bonjour Sara ! Pour demain, je te suggère de récupérer les bottes qu’utilisait aujourd’hui Gabrielle, qui chausse la même pointure que toi. Elle habite près de chez toi sur la rue… », est le courriel type de fin de journée envoyé aux troupiers presque à chaque fin de journée. Nous connaissons maintenant la pointure chaussée par quasiment tous nos collègues.

Bottes à tout faire

Ce magasinage n’aura pas été vain. Les bottes ont été réutilisées pour d’autres événements à l’automne. Audrey Ruel-Manseau les a apportées à Miami pour affronter l’ouragan Irma, et Philippe Mercure les a trimbalées au Texas frappé par la tempête Harvey. Il les a réutilisées récemment pour la visite en primeur de la grotte découverte sous Saint-Léonard.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.