dans l’univers de david saint-jacques

Le compte à rebours a débuté. Dans neuf mois, David Saint-Jacques s’arrachera à l’attraction terrestre pour gagner la Station spatiale internationale. Pendant trois jours, La Presse vous emmène dans les coulisses du Centre spatial Lyndon B. Johnson, à Houston, pour suivre l’intense entraînement auquel est soumis l’astronaute québécois. Aujourd’hui : flotter dans les airs au milieu d’un entrepôt, transpirer à grosses gouttes attaché à un tapis roulant et apprendre l’art critique de refroidir la Station spatiale internationale.

Un astronaute à l’entraînement

À quoi ressemble une journée dans la vie d’un astronaute à l’entraînement ? Hier, David Saint-Jacques a appris à prélever des échantillons de son propre sang, a flotté au milieu d’un entrepôt et a transpiré à grosses gouttes dans un gymnase bien particulier. Compte rendu.

Voler au milieu d’un entrepôt

D’une main, David Saint-Jacques déconnecte un tuyau d’un appareil qui reproduit une boîte de raccordement électrique de la Station spatiale internationale. De l’autre, il se tient fermement à une poignée jaune. S’il la lâche, il se retrouvera dans les airs et aura bien du mal à regagner son poste de travail. Nous sommes dans l’immense bâtiment numéro neuf du Centre spatial Lyndon B. Johnson. Et David Saint-Jacques y flotte au-dessus du sol comme s’il était en apesanteur.

L’astronaute québécois est en train de simuler une sortie spatiale dans le système ARGOS, pour Active Response Gravity Offload System. « ARGOS est un robot géant qui simule la gravité zéro », lui a expliqué préalablement Paul Valle, gestionnaire de projet pour le système ARGOS. C’est la toute première fois que David Saint-Jacques teste ce système.

Coiffé d’un casque de hockey avec une visière, l’astronaute s’est d’abord allongé sur une table pendant qu’on lui fixait un corset muni de plusieurs cordes. On a ensuite attaché ces cordes à une espèce de grue de près de huit mètres de hauteur, qui a soulevé l’astronaute dans les airs.

Calibré avec une précision maniaque, le système compense le poids de l’astronaute afin de simuler l’apesanteur. Au-dessus de lui, des appareils roulent sur des rails pour déplacer l’astronaute et réagir à ses mouvements comme s’il était dans l’espace. Le directeur de test Mike Amoroso le conseille dans ses déplacements. Deux opérateurs, derrière des ordinateurs, surveillent aussi ses moindres mouvements. Si David Saint-Jacques se saisit d’une pièce qui pèse 2 kg, ils ajustent immédiatement le système en conséquence pour compenser le poids et maintenir l’apesanteur. L’objectif, pour cette première séance, est de familiariser David Saint-Jacques avec la façon de se mouvoir dans l’espace et d’y manipuler des outils.

« C’est tout un entraînement », lance David Saint-Jacques, visiblement fatigué, au terme de l’exercice. Il vide une bouteille d’eau en quelques gorgées, puis discute avec les entraîneurs. « C’est très différent de la piscine, observe-t-il. Dans la piscine, l’eau nous arrête. Ici, il n’y a rien pour arrêter nos mouvements. La facilité avec laquelle on peut pivoter est surprenante. À quelques reprises, je me suis mal stabilisé et je me sentais tourner, en me disant : il faut que j’arrête ça ! »

Prélever son propre sang

Dans l’espace, la moitié du temps de mission de David Saint-Jacques sera consacré à la science. L’Agence spatiale canadienne a orienté la totalité du programme scientifique sur la santé humaine. L’objectif : étudier les maux dont souffrent les astronautes dans l’espace afin de mieux comprendre les maladies similaires qui touchent les Terriens.

David Saint-Jacques fera donc office de cobaye d’expérience pendant son séjour. Il doit apprendre à prélever son propre sang, mais aussi sa salive, son urine et ses selles. Les échantillons seront congelés dans la Station spatiale internationale, puis ramenés sur Terre par les vaisseaux qui approvisionnent le laboratoire flottant. Pas moins de six formateurs entourent David Saint-Jacques pour lui montrer les équipements qu’il devra manipuler. Et certains tests se feront à l’abri du regard des médias. « Je crois qu’ils vont ensuite aller aux toilettes pour discuter de la façon de prendre des échantillons d’urine », révèle Rebecca Wingfield, chef de l’entraînement au Centre spatial Lyndon B. Johnson.

Réagir quand ça chauffe

La Station spatiale internationale, où séjournera David Saint-Jacques pendant six mois à partir de novembre prochain, a peu à voir avec un hôtel de villégiature. Lorsque le soleil la frappe, la face exposée peut rapidement grimper à 120 degrés Celsius. La face cachée, pendant ce temps, est à-157 degrés. Inutile de dire que le contrôle de la température y est critique.

Attablé devant les formateurs Chris Feng et Tom Evans, David Saint-Jacques révise d’abord quelques notions sur le système interne de régulation thermique de la Station spatiale internationale.

« David a déjà eu plusieurs cours sur ces systèmes. Il y a une liste de choses bien précises qu’il se doit de retenir, et on veut voir s’il les a retenues. »

— Tom Evans

Après la discussion, David Saint-Jacques se courbe pour entrer dans ce qui ressemble à une boîte de conserve géante. Nous sommes dans l’immense bâtiment numéro neuf du Centre spatial Lyndon B. Johnson. Ici, sous un gigantesque drapeau américain, les 16 modules de la Station spatiale internationale sont reproduits, grandeur nature, à des fins d’entraînement. L’astronaute québécois vient de pénétrer dans le laboratoire américain de la station, qu’on surnomme aussi Destiny.

David Saint-Jacques insère une tige métallique dans un cube de plastique blanc, exécute des manœuvres, pose des questions. « Pour ça, il va y avoir des photos en haut. Tu n’as pas besoin de tout retenir », le guide Chris Feng.

À côté du module, des ordinateurs permettent de créer des pannes dans les systèmes pour voir comment les astronautes y réagissent.

« On entraîne David pour les scénarios d’urgence, dit Tom Evans. Il doit être familier avec les systèmes et savoir comment réagir. »

La « chambre de torture »

« Ma chambre de torture », lance David Saint-Jacques en entrant dans ce qu’on appelle ici le « laboratoire de contre-mesures ». Contre-mesures, parce qu’on vise ici à contrer les effets ravageurs de l’espace sur le corps humain.

« Dans l’espace, les os se décalcifient et perdent en masse et en densité, et les muscles peuvent s’atrophier si on n’y prend garde », explique Bob Tweedy, instructeur du laboratoire de contre-mesures. Pour ça, les astronautes sont contraints à l’exercice six jours sur sept pendant leur séjour dans la Station spatiale internationale. Et on a reproduit ici les appareils qui s’y trouvent. Les utiliser dans l’espace est une expérience en soi qui ne peut être reproduite sur Terre. Mais David Saint-Jacques doit quand même se familiariser avec les appareils.

« Je veux que David connaisse ces machines comme le fond de sa poche. Qu’il puisse les utiliser, mais aussi les réparer si elles brisent. »

— L'instructeur Bob Tweedy

Le visage crispé, David Saint-Jacques commence par faire des flexions, soulevant sur ses épaules une barre qui ne semble pas particulièrement facile à déplacer. Puis il enfile un harnais fait sur mesure pour lui, qui l’attache à un tapis roulant sur lequel il doit courir. Dans la Station spatiale internationale, les élastiques du harnais plaqueront l’astronaute contre le tapis, simulant son propre poids. 

L’astronaute s’échine finalement sur un curieux vélo stationnaire qui semble avoir été bricolé par des étudiants dans le cadre d’un projet de fin d’année. Pour éviter que ses pieds partent de tous les côtés lorsqu’il l’utilisera en l’absence de gravité, il est chaussé de souliers qui se fixent aux pédales. L’astronaute est maintenant en nage, et la sueur goutte de son visage. Mais il n’a pas perdu son sens de l’humour. « Je fais juste semblant, lance-t-il aux journalistes qui l’observent. En réalité, c’est très facile. »

Oser voir grand

Polo gris à l’effigie de l’Agence spatiale canadienne, pantalons noirs, David Saint-Jacques s’avance pour saluer chacun des journalistes venus cette semaine à Houston pour suivre son entraînement. « Comment ça va ? », lance-t-il en plantant ses yeux bleus dans les vôtres et en vous écrasant la main d’une poigne particulièrement vigoureuse.

Après avoir distribué les sourires, l’astronaute québécois plonge toutefois dans ses cours et ses exercices avec sérieux. Il écoute les nombreux instructeurs qui défilent devant lui avec l’attention d’un écolier.

«  David est connu ici pour poser beaucoup de questions, dit Rebecca Wingfield, chef de l’entraînement au Centre spatial Lyndon B. Johnson de la NASA. Il veut s’assurer de comprendre tout ce qu’on lui dit. »

Elle décrit l’astronaute québécois comme un « chic type ». « Il est toujours de bonne humeur, il carbure aux blagues et aux accolades », dit-elle à La Presse

« Il amène un bon esprit de camaraderie ici. Évidemment, quand c’est le temps d’être sérieux, il est sérieux. »

— Rebecca Wingfield

Bardé de diplômes, polyglotte, sportif, surdoué : comme tous les astronautes, David Saint-Jacques a un parcours digne d’éblouir les plus difficiles. Mais n’allez surtout pas lui dire qu’il est un héros.

« Je veux que les jeunes sachent que je ne suis pas un héros. Je suis un gars ben ordinaire qui a travaillé fort. Tout le monde peut faire ce que je fais », avait-il dit à La Presse au moment de l’annonce de sa mission vers la Station spatiale internationale, en mai 2016.

L’ambition de comprendre

David Saint-Jacques naît à Québec en 1970 et grandit à Saint-Lambert, à une époque où le Canada n’a même pas de programme spatial. Le jeune garçon, pourtant, prend tout de suite les astronautes comme modèles.

« Quand j’avais des choix à faire, je me disais toujours : qu’est-ce qu’un astronaute ferait ? L’astronaute ferait du sport, il mangerait bien, il étudierait les sciences, il voyagerait, il apprendrait des langues étrangères, il serait brave et digne de confiance », a déjà raconté M. Saint-Jacques.

Dès son jeune âge, David Saint-Jacques est consumé par une « ambition folle, démesurée » de tout comprendre. En grandissant, le besoin se fait moins intellectuel et plus « physique ». L’obsession de comprendre se transforme en besoin d’explorer.

Planche à voile, ski, plongée sous-marine, pilotage d’avions, voyages : David Saint-Jacques, selon ses proches, fait tout avec intensité. Après un baccalauréat en génie physique à l’École polytechnique de Montréal, il s’inscrit au doctorat en astrophysique à la prestigieuse Université Cambridge, en Angleterre. Puis il fait sa médecine à l’Université Laval, où il se spécialise dans la médecine de première ligne en régions éloignées.

En 2001, quand les tours du World Trade Center s’effondrent, David Saint-Jacques part pratiquer la médecine au Liban dans les camps palestiniens.

« Je voulais comprendre ce qui est derrière ça. Cette grogne dans le monde arabe, ce choc des civilisations, je voulais les voir et en faire moi-même l’expérience. »

— David Saint-Jacques à La Presse en novembre 2016

Après avoir pratiqué la médecine dans le Grand Nord canadien, il est recruté par l’Agence spatiale canadienne en 2009, au terme d’un processus incroyablement compétitif auquel avaient répondu plus de 5300 candidats. En mai 2016, après des années d’entraînement, il apprend qu’il partira pour la Station spatiale internationale.

Depuis, il partage son temps entre Houston, aux États-Unis, où vit aussi sa famille, et Moscou, en Russie. L’entraînement est intense. Et malgré la confiance qu’il dégage, David Saint-Jacques n’a jamais caché son stress.

« On ne peut pas nier le danger des missions spatiales, a-t-il confié à La Presse. Je serais naïf si je disais que je n’ai pas peur. »

Dure conciliation

Le plus difficile, pour le père de trois enfants, est toutefois une réalité beaucoup plus terre à terre dans laquelle se reconnaîtront bien des gens.

« C’est la conciliation travail-famille, dit-il. Être un bon astronaute, je suis capable. Mais il faut aussi rester un bon père et un bon mari. »

À moins d’un an du départ, il sait que tous les yeux sont braqués vers lui. Et s’il refuse le titre de héros, son message a toujours été le même : oser voir grand.

« J’encourage les jeunes à avoir un rêve, si possible fou, grand et impossible, dit-il. Et à garder en tête que ce n’est pas grave s’ils ne l’atteignent pas. Beaucoup de gens font l’erreur de dire qu’ils seront malheureux s’ils ne réalisent pas leur rêve. Ils ne s’en fixent pas par peur de l’échec. C’est, à mon avis, une terrible raison de ne pas poursuivre un rêve. »

Houston, cité de l’espace

« Houston, nous avons un problème. » La phrase, une déformation d’un message envoyé par l’astronaute Jack Swigert lors de la mission Apollo 13, a collé à la ville de Houston. Si bien qu’aujourd’hui, la plus grande ville du Texas est spontanément associée à la conquête spatiale.

Le cœur du secteur spatial de Houston est évidemment le Centre spatial Lyndon B. Johnson de la NASA. Ce vaste campus, situé au sud-est de la métropole, occupe une superficie près de 3,5 fois plus grande que le parc du Mont-Royal. Ses 10 000 employés y circulent entre les bâtiments sur des vélos en libre-service, longeant des pelouses où broutent les chevreuils… et même de rares alligators.

Du programme Mercury aux missions vers la Station spatiale internationale en passant par les mythiques programmes Gemini et Apollo, c’est d’ici que s’établissent les communications entre les astronautes et la Terre depuis les années 60. Avec ses écrans géants et son armée d’ordinateurs, le légendaire centre de contrôle des missions est exactement comme dans les films. 

Hier, on y voyait flotter en direct les astronautes dans la Station spatiale internationale alors qu’elle survolait le Pacifique. Chaque employé doit demander la permission pour quitter son poste, ne serait-ce que pour aller aux toilettes. Et le directeur de vol, identifié par un écriteau lumineux où on peut lire « Flight Director », a les pleins pouvoirs. Même le président ne peut outrepasser son autorité.

Une ville rythmée par l’espace

Le Centre spatial Lyndon B. Johnson a donné son visage à toute une partie de la ville, où les rues portent des noms comme Gemini, Apollo, Mercury ou Saturn. Les touristes affluent au Space Center Houston, la partie du complexe ouverte au public. On peut notamment y voir les modules de commande des missions Apollo 11 et 17, une fusée Saturn V et une combinaison spatiale encore tachée de poussière lunaire portée par l’astronaute Charles Conrad.

Dans une ville où l’équipe de baseball s’appelle les Astros et l’équipe de basketball, les Rockets, le secteur spatial ne se résume cependant pas à la NASA. La région de Houston compte pas moins de 150 entreprises du secteur de l’espace et de l’aviation.

Ils « avaient » un problème

Pour la petite histoire, ce sont les mots « Houston, we’ve had a problem here » qu’a prononcés l’astronaute Jack Swigert. Ils suivaient l’explosion d’un réservoir d’oxygène pendant la mission Apollo 13, qui a elle-même déclenché l’explosion d’un réservoir d’essence. Ces graves incidents ont empêché les astronautes de se poser sur la Lune, mais on a réussi à les ramener sur Terre sains et saufs. Avec le temps, c’est la phrase « Houston, we have a problem », telle que prononcée dans le film Apollo 13, qui s’est gravée dans l’imaginaire.

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