Coronavirus

Le COVID-19 pourrait déclencher des pénuries de médicaments

En frappant le cœur de l’industrie pharmaceutique mondiale, le COVID-19 qui sévit en Chine pourrait entraîner des pénuries de médicaments à l’échelle de la planète, y compris au Canada.

C’est ce qu’affirment des experts, qui incitent les autorités à suivre la situation de près.

« Les pharmacies ont des stocks, les grossistes ont des stocks, les fabricants ont des stocks. Mais dépendamment des médicaments, il y aura fort probablement des problèmes quelque part si ça se prolonge. Il faut s’attendre à ce que ça cause des soucis dans les prochaines semaines ou, plus probablement, dans les prochains mois », estime Bertrand Bolduc, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec.

M. Bolduc se montre particulièrement inquiet pour « certaines vitamines et certains antibiotiques ».

En Chine, où le nombre de cas dépasse maintenant les 70 000, un grand nombre d’employés sont confinés à la maison. Le transport entre certaines villes est interrompu et les usines tournent souvent au ralenti. Or, la Chine s’est imposée au cours des dernières décennies comme le plus grand fournisseur mondial d’ingrédients actifs entrant dans la fabrication de toutes sortes de médicaments.

Selon la publication spécialisée Pharmaceutical Technology, la province du Hubei, l’épicentre de l’épidémie de COVID-19, compte pas moins de 42 usines pharmaceutiques.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux dit suivre « attentivement la situation des problèmes d’approvisionnement en médicaments tout comme les ingrédients qui les composent ».

« Par ailleurs, de façon préventive, il a été demandé aux établissements de santé de s’assurer que leurs inventaires de médicaments nécessaires au traitement de support d’infections respiratoires ne soient pas à découvert. »

— Le ministère de la Santé et des Services sociaux

Santé Canada dit n’avoir connaissance d’aucun impact de l’éclosion du nouveau coronavirus en Chine sur l’approvisionnement pharmaceutique du Canada. Le Ministère a toutefois demandé de manière « proactive » aux intervenants de l’industrie de « rechercher tout signal précoce qui pourrait indiquer des répercussions sur la chaîne d’approvisionnement ». Ottawa rappelle aussi que les entreprises qui commercialisent des médicaments au Canada sont tenues de rapporter toute pénurie de médicaments réelle ou prévue. 

La FDA sur le qui-vive

Aux États-Unis, la Food and Drug Administration, l’équivalent de Santé Canada, a déjà déployé des « ressources additionnelles » pour tenter de prévoir et éventuellement prévenir les pénuries de médicaments dues au COVID-19.

« Nous sommes très au fait que l’épidémie aura probablement des répercussions sur la chaîne d’approvisionnement de produits médicaux, y compris de potentielles interruptions d’approvisionnement ou des pénuries de produits médicaux critiques pour les États-Unis », a écrit la FDA dans un communiqué daté du 14 février.

La FDA dit avoir contacté des « centaines de manufacturiers » pour être en mesure de « détecter les signes avant-coureurs d’interruptions dues à l’épidémie ». Notons que la FDA a aussi stoppé toutes les inspections d’usines pharmaceutiques en Chine pour protéger son personnel.

Stella Kyriakides, commissaire européenne à la Santé, a aussi affirmé la semaine dernière que son groupe disposait d’un groupe de travail qui suit les approvisionnements.

Pour l’instant, a-t-elle dit, aucune pénurie ne se dessine à l’horizon.

Selon Bertrand Bolduc, de l’Ordre des pharmaciens du Québec, il est important de déployer des mesures dès maintenant.

« Plus on a d’informations d’avance, plus on peut se préparer, dit-il. Si on découvre qu’une entreprise utilise un ingrédient actif fait en Chine qui n’est plus disponible, il faut voir si on peut autoriser temporairement ou plus rapidement d’autres sources.» 

« Il y a une proactivité à mettre en place : voir de quoi on va manquer et comment on peut se retourner de bord. »

— Bertrand Bolduc, de l’Ordre des pharmaciens du Québec

Rosemary Gibson est associée au Hastings Center, un centre de recherche américain qui s’intéresse aux aspects sociaux et éthiques du monde de la santé. Elle a publié l’an dernier un livre intitulé China Rx, qui vise à « exposer les risques de la dépendance américaine envers la Chine pour les médicaments ».

Elle estime qu’en plus des pénuries, des hausses de prix sont à prévoir pour certains produits si l’une des sources principales situées en Chine se tarit. Cette situation s’est déjà fait sentir en Inde, un géant de la fabrication de médicaments génériques qui s’approvisionne largement en Chine pour ses ingrédients actifs. Selon l’agence Bloomberg, le prix de l’acétaminophène, commercialisé ici sous la marque Tylenol, a bondi de 40 % en Inde. Celui de l’azithromycine, un antibiotique, a explosé de 70 %.

Rosemary Gibson estime que les inquiétudes actuelles illustrent bien le risque qu’il y a à dépendre autant de la Chine pour la production de médicaments. « Ce que nous vivons actuellement est un avertissement. J’espère qu’il sera pris au sérieux », dit-elle.

En novembre dernier, La Presse a publié un dossier sur la dépendance canadienne envers la Chine pour les médicaments.

L’industrie canadienne rassurante

L’industrie canadienne du médicament générique, considérée comme plus dépendante aux ingrédients chinois que celle des médicaments innovateurs, se fait quant à elle rassurante. « Nous n’anticipons aucun problème avec notre chaîne d’approvisionnement pour le moment. Seule une petite quantité de notre portfolio contient des composantes provenant de Chine et notre inventaire de produits est suffisant pour satisfaire les besoins de production et de distribution à court et moyen terme », a écrit mardi sur son site web l’entreprise Sandoz, qui possède notamment des installations à Boucherville.

« Jusqu’à présent, nous n’avons pas été avisés de préoccupations de la part de nos entreprises membres. Nous restons en contact étroit et régulier avec elles sur ce sujet et sur des questions connexes, mais pour l’instant, nous n’avons entendu parler d’aucun problème d’approvisionnement », affirme aussi l’Association canadienne du médicament générique.

Pierre Morin, consultant pharmaceutique lié au Groupement provincial de l’industrie du médicament, dit aussi suivre la situation de près. « Jusqu’ici, les indices n’indiquent pas de pénurie prévisible d’ingrédients pharmaceutiques actifs », dit-il.

« Pour le moment, nous n’avons pas d’inquiétudes particulières », dit également Jean-Nicolas Aubé, porte-parole du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui englobe notamment l’hôpital Notre-Dame.

L’experte Rosemary Gibson prévient que la confiance actuelle peut s’expliquer par le fait que les stocks accumulés permettent encore de fabriquer la grande majorité des médicaments, mais qu’il est impossible de prévoir combien de temps et à quel point l’industrie pharmaceutique chinoise sera ralentie par le COVID-19.

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